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Frédégonde de Guiraud et Saint-Saëns

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CAUSERIE ARTISTIQUE

L’Opéra vient de monter une œuvre, laissée inachevée par le compositeur Ernest Guiraud et terminée par Camille Saint-Saëns : Frédégonde sur un poème de M. Louis Gallet. 

Au premier abord, on serait tenté de faire de graves reproches au librettiste pour la façon par trop cavalière dont il a traité un pareil sujet. C’est sans paraître s’en douter, en effet, que le poète pénètre dans le monde barbare où se déroula le terrible drame mérovingien. Les violences, les fureurs, les emportements féroces de ces Francs qui avaient quitté depuis trop peu de temps les forêts germaniques pour avoir dépouillé la primitive sauvagerie, la haine des deux reines de Neustrie et d’Austrasie, si implacable, si inextinguible qu’elle se présente dans l’histoire comme un fait à peu près unique, les efforts ininterrompus des évêques pour essayer de faire lever dans cette société farouche la semence de chrétienne pitié, tous ces éléments sous lesquels s’agitait alors l’éternel problème vital dans des conditions telles qu’il nous y apparaît sous un des aspects les plus tragiques qu’il ait jamais revêtus, toutes ces ressources dramatiques, M. Louis Gallet les laisse de côté, au moins pendant trois actes, pour ne nous présenter qu’une aventure romanesque parfaitement vulgaire. 

Mais est-ce bien ici l’auteur du livret qu’il faut seul accuser ? Les librettistes sont bien obligés de broder leurs canevas suivant les moyens dont disposent les musiciens pour lesquels ils travaillent. C’est là une condition Sine qua non de leur collaboration. Ernest Guiraud, dont le talent fait de grâce et de charme se plaisait particulièrement au pittoresque qu’il rencontrait dans des sujets comme Gretna-Green ou Piccolino, n’avait rien de ce qu’il fallait pour peindre les horreurs du plus sombre des drames historiques. Dès lors que M. Gallet consentait à écrire pour lui une Frédégonde, ce devait être non pas celle de l’histoire, mais une petite, toute petite Frédégonde de très petite fantaisie. Sans cela, le pauvre Guiraud n’eut su par quel bout aborder le sujet.

Vous me direz que rien n’obligeait Guiraud et Gallet à frédégonder ensemble. C’est aussi mon avis, mais ce ne fut pas le leur. Ils nous ont donc donné la Frédégonde qu’ils ont pu. Encore ne l’achevèrent-ils pas, puisque ce pauvre Guiraud mourut avant d’avoir pu toucher au quatrième et au cinquième acte. Saint-Saëns intervint alors. Il posa une tête et une tête bien vivante sur les vêtements que Guiraud avait tant bien que mal ajustés, et le librettiste l’y aida, car il n’est que juste de reconnaître que le poème est, comme la partition, moins loin de la vérité historique dans les deux derniers actes que dans les trois premiers. Il se rapproche même du drame lyrique autant qu’il est possible. 

Au lever du rideau, Brunehaut, ou plutôt Brunehilda, pour parler comme les auteurs, nous est montrée dans le palais des Thermes de Paris, environnée d’une cour brillante, et respirant l’encens des flatteries que lui débite le poète Fortunatus. Heureusement pour les auditeurs, Fortunatus est interrompu. Frédégonde et son époux Hilpérick, qu’on croyait tous deux enfermés dans Tournai et sur le point d’être pris par les Austrasiens, sortent brusquement de la boîte à surprises de M. Gallet et font irruption sur la scène à la tête d’une bande armée. Comment sont-ils venus de Tournai sans que Brunhilda ait seulement pu se douter qu’ils en étaient sortis ? Le librettiste évidemment le sait bien ; mais il ne nous l’a pas dit. 

Quoi qu’il en soit, Brunhilda, qui croyait prendre, est prise, et condamnée par Hilpérick à. vivre, ou plutôt, comme dit le poème, à pleurer dans l’ombre d’un couvent. C’est Mérowig, le fils de Hilpérick, qui est chargé de la conduire dans « l’asile » qui lui est réservé. 

Le second acte n’est qu’un duo entre Mérowig et Brunhilda qui parvient à attendrir le cœur du fils de Hilpérick. Au lieu d’être son geôlier, il sera son époux et, en attendant, il va se mettre à la tête des leudes d’Austrasie qui sont campés à deux marches de Rouen, et qui ne demandent qu’à combattre contre Hilpérick et Frédégonde. 

Au troisième acte, nous voyons les leudes rassemblés autour de Brunhilda et de Mérowig, insister près de l’évêque de Rouen, Prétextat, pour qu’il consente à unir le fils de Hilpérick et la reine d’Austrasie. L’évêque, après avoir résisté, finit par consentir et l’acte s’achève sur un chant de guerre provoqué par l’approche de l’armée neustrienne. 

C’est sur ces trois actes qu’a eu à travailler Ernest Guiraud. Il faut dire qu’il n’a que bien imparfaitement réussi. En dehors des stances de Fortunatus, de danses d’un caractère archaïque et de rhythmes curieux traversés par des trilles qui courent d’un instrument à l’autre dans l’orchestre, je ne vois rien à signaler dans cette première partie de Frédégonde. À peine doit-on parler du Pange lingua chanté dans la chapelle où Prétextat bénit les deux époux et accompagné par des cloches. Cela vise à l’effet et n’en produit qu’un : celui de bizarrerie. 

C’est maintenant qu’avec Saint-Saëns nous allons voir apparaître Frédégonde.

Merowig a été vaincu. Il s’est réfugié avec Brunhilda dans l’asile de Saint-Martin qui est inviolable. Frédégonde hait ce fils que Hilpérick a eu d’une première femme. Tant qu’il sera vivant, elle ne pourra se sentir assurée de l’avenir de ses propres enfants. Elle use donc de toute sa puissance sur l’imagination et le cœur de Hilpéric pour l’amener à tirer Mérowig de son refuge par la ruse, c’est-à-dire en commettant un sacrilège. Hilpérick, dominé, finit par céder. Cette scène remplit tout le quatrième acte. Elle est bien conduite, et au point de vue musical simplement et fortement traitée. 

Le cinquième acte se passe sur la limite de l’asile de Saint-Martin. Hilpérick s’efforce d’en faire sortir Mérowig auquel il affirme qu’il peut sans danger s’en remettre à sa justice, tandis que Frédégonde dicte aux évêques qu’elle a amenés à sa suite, la condamnation qu’ils auront à prononcer contre le fils coupable. Mérowig, se fiant à la promesse paternelle, sort enfin de l’asile. Condamné aussitôt par le chœur des évêques, il se frappe d’un poignard et tombe aux pieds de son implacable ennemie. 

Tout ce cinquième acte, très dramatique, est supérieurement tracé par le compositeur. M. Saint-Saëns semble, dans cette partition, s’être appliqué à réserver une partie des moyens qu’on lui connaît pour ne pas y faire naître des dissemblances trop excessives. Il ne l’en a pas moins transformée, mais sans lui donner l’éclat et la vie qu’il aurait pu y mettre en s’y abandonnant tout entier. Ce n’est pas à lui qu’il faut faire reproche de ce qui manque à la pièce ; c’est aux circonstances dans lesquelles lui a été demandée sa collaboration. 

Paul Demarly. 

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