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Revue dramatique. Le Voyage dans la Lune

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REVUE DRAMATIQUE […]

Le nouveau spectacle de la Gaîté, le Voyage dans la Lune s’annonce décidément comme un très-grand succès. C’est une féerie fort amusante, aussi originale que le genre le comporte. Les décors sont splendides, la mise en scène réglée avec un art infini, et pour compléter cet ensemble une des plus jolies partitions de Jacques Offenbach, la plus vive et la plus chantante sinon la plus originale, enguirlande toutes ces merveilles de ses mille petites notes brillantes comme des perles. Une seule chose empêchera le Voyage dans la Lune d’être un succès d’aussi longue haleine que ce prodigieux Tour du monde qu’on joue tous les soirs depuis un an sans interruption, ce sont certaines plaisanteries d’opérette, un peu risquées et effarouchantes… Il est vrai que ce qui éloigne les uns attire les autres. En quelques mots voici la fable : Le prince Caprice, enfant gâté s’il en fut, a déclaré à son illustre père le roi Vlan qu’il voulait aller dans la lune. Le roi Vlan, pour qui les désirs du Dauphin sont des ordres, a convoqué tous les astrologues à bonnet pointu du royaume et les menace de les casser tous aux gages s’ils ne lui trouvent pas un moyen d’aller dans la lune avec son fils. — « J’ai trouvé, sire. » dit le savant Microscope qui a lu les romans de Jules Verne. Aussitôt il fait construire, d’après les procédés de l’illustre Barbicane, un canon gigantesque qu’on braque sur la lune, il s’installe avec le roi Vlan et le prince Caprice dans un énorme obus ouaté intérieurement comme un coupé-lit, puis, sur un signal convenu : Envoyez ! une épouvantable détonation retentit aux quatre coins du monde et l’obus-wagon coupe l’air en sifflant, avec une vitesse de cinquante mille lieues à l’heure. On s’explique aisément la stupéfaction des Sélénites en voyant tomber au milieu d’eux ce monstrueux aérolithe qui s’ouvre pour livrer passage à trois bipèdes à face humaine. L’étonnement de ces derniers n’est pas moins compréhensible, quand on songe aux peuplades bizarres, parmi lesquelles ils se trouvaient jetés. En effet, depuis le fameux « Voyage de mon cousin La Routine, » raconté par le bon Louis Desnoyers, personne n’ignore que dans la Lune tout se passe à l’inverse de chez nous. Ceci une fois admis, vous voyez le vaste champ qui s’ouvrait à la fantaisie de trois jeunes auteurs, gens d’esprit et de belle humeur, ayant à leur disposition tout un monde de mimes, de chanteuses, de danseuses, de figurants, d’autruches, de dromadaires, avec le crayon de Grévin pour dessiner les costumes, et les premiers décorateurs du monde pour peindre les toiles de fond. Au milieu d’une foule d’inventions plus ou moins ingénieuses, l’action se développe, amusante et naïve, comme une action de féerie. Le prince Caprice devient amoureux de la princesse Fantasia, fille du roi Cosmos, souverain des pays lunaires. Mais voilà le terrible : dans la Lune, on ne connaît pas l’amour, et la jeune Fantasia, aussi froide qu’un petit bloc de glace, écoute sans y rien comprendre les déclarations passionnées de ce bel étranger. Caprice avait heureusement emporté quelques pommes pour croquer pendant le voyage ; l’idée lui vient d’en faire goûter une à Fantasia. À peine a-t-elle mordu dans le joli fruit de l’arbre de science, la petite princesse est tout de suite éprise et prête à suivre le jeune homme partout où il voudra l’emmener. Ils partent. Furieux, le roi Cosmos, s’élance à leur poursuite, finit par s’emparer d’eux et les condamne à passer cinq ans au fond d’un vieux volcan refroidi depuis des siècles. Ici encore un souvenir de M. Jules Verne, dont nos jeunes auteurs semblent connaître merveilleusement tous les ouvrages. Cette fois, c’est au Voyage au centre de la terre qu’ils ont emprunté leur dénouement. Pendant que les captifs cherchent une issue pour sortir du cratère où on les a descendus, le volcan éteint se rallume et rejette dans une pluie de pierres, de cendres, parmi des torrents de lave enflammée, nos gens qui se retrouvent sains et saufs au bord du gouffre, un peu moulus par la secousse, mais pas le moins du monde étonnés. De quoi s’étonner en effet quand on a fait le voyage de la terre à la lune en obus ? Seul le roi Cosmos éprouve quelque surprise d’événements aussi imprévus, et le prince Caprice profite de son trouble pour tomber à ses pieds avec Fantasia et lui demander de bénir leur union. Cosmos n’a pas le courage de résister. Or tandis qu’il est en train d’unir les deux amants, un beau rayon blanc glisse jusqu’à eux à travers l’espace, la terre se lève, monte à l’horizon, et ce n’est pas une mince fierté pour nous autres pauvres terriens de songer que notre triste globe, si plein de haines, de colères, de tempêtes de toutes sortes, ne laisse rien paraître de tout ce qui l’agite, et de le voir se mouvoir silencieusement comme un bel astre en secouant de la lumière autour de lui. […]

Alphonse Daudet

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(1819 - 1880)

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Alphonse DAUDET

(1840 - 1897)

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