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À Monte-Carlo. Première de Déjanire

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« COMŒDIA » À MONTE-CARLO
Première de Déjanire de M. Saint-Saëns

Je vous ai rendu compte mardi de la répétition générale de Déjanire, qui avait obtenu le plus grand succès. Ce succès s’est accentué à la première qui vient d’être donnée au bénéfice de la caisse de secours de la colonie française. 

J’aurai, l’occasion d’examiner cette partition plus en détail, mais, dès à présent, il faut louer le style d’un humaniste, qui fait le plus grand honneur à Saint-Saëns.

Déjanire est une frise tragique dont la beauté demeure strictement linéaire ; ses personnages, comme ceux des vases grecs, sont dessinés au trait, mais d’un trait plus expressif que les modèles [sic pour modelés] ambitieux dont s’enorgueillissent certaines toiles modernes.

Le sujet, simple et puissant, met en scène la symbolique légende de la Tunique de Nessus. Hercule, amoureux d’Iole, veut, pour l’épouser, répudier Déjanire. Celle-ci commet l’imprudence de faire revêtir par le héros infidèle la tunique, du centaure. Aussitôt, d’atroces douleurs déchirent Hercule qui, pour leur échapper, se précipite dans un bûcher, d’où, purifié, il s’élève vers l’Olympe, parmi les dieux.

Les spécialistes pourront s’amuser à relever dans la partition de Déjanire plusieurs leit-motives. Celui du héros emprunte au poème symphonique La Jeunesse d’Hercule, et qui revient habilement modifié, celui de la mélancolique Iole ; d’autres encore.

Mais ce n’est pas par l’ingéniosité du travail que cette œuvre méritera surtout l’admiration ; c’est par sa superbe, tenue classique, noble et fière, qui l’apparente aux chefs-d’œuvre de l’ancien opéra français. Certain récit d’Hercule : « Ô toi, le plus fidèle », fait songer aux plus belles inspirations de Gluck, tandis que d’autres formes semblent empruntées à Bach, notamment dans le dialogue d’Hercule et de Déjanire au second acte, où les mélomanes, se délectaient à entendre des progressions harmoniques, amenées note par note, et mesure par mesure, comme dans les plus curieuses pièces d’orgue du grand cantor de la Thomaskirche. 

Raoul Gunsbourg est pour beaucoup dans le triomphal accueil qui a salué Déjanire. Non seulement il a donné à Saint-Saëns des décors merveilleux et des décors admirables dont il a réglé lui-même les évolutions, mais les interprètes qu’il a choisis ont soulevé d’unanimes bravos. 

Mme Litvinne, splendide d’attitude, rend avec une vigueur saisissante les jalouses fureurs de Déjanire. On l’a acclamée, ainsi que Muratore, impressionnant Hercule, dont la sculpturale beauté et l’intensité vocale forcent l’admiration. 

Mlle Yvonne Dubel, drapée et coiffée à ravir, chante avec beaucoup de charme le rôle d’Iole, d’une tessiture particulièrement malaisée. Son fiancé, Philoctète, est incarné par Dangès, artiste sûr, d’une excellente allure classique ; enfin, Mlle Bailac s’est fait remarquer dans le personnage de Phénice, auquel elle sait donner une couleur mystérieuse et puissante. 

Sous la direction de Léon Jehin, l’orchestre a réalisé de véritables prouesses. Bref, je n’ai pas vu un triomphe pareil à Monte-Carlo, depuis Ivan le Terrible.

HENRY GAUTHIER-VILLARS.

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