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Une première à l'Opéra. Ariane

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Une première à l’opéra. « Ariane »
Des Vers de M. Catulle Mendès. De la Musique de Massenet

M. Massenet est revenu, avec M. Mendès, à l’antiquité grecque dont il s’était écarté depuis sa collaboration musicale aux Erynnies, de Leconte de Lisle. La légende des « larmes d’Ariane » avait de quoi tenter un compositeur élégant et tendre ; et M. Mendès était très désigné pour la lui rimer et la lui dialoguer.

Le poète et le musicien semblent s’être accordés pour ne pas symboliser. Ils ont conté un drame d’amour, d’un sentimentalisme sans doute subtil et nuancé, mais d’une trame dramatique très sobre. C’était leur droit d’artistes ; mais de là vient peut-être qu’il y a disproportion entre l’effet intrinsèque de leur ouvrage et celui du cadre qu’on lui a donné.

La mise en scène de l’Opéra a voulu faire vaste ; elle a commis là une erreur en dispersant, dans un décor épique, l’effort d’attention qui devait se concentrer sur les ténuités galantes d’un épisode presque intime. L’intrigue, en effet, n’intéresse que trois personnages, si intensément absorbés dans leurs conflits privés, que le Ciel, l’Enfer, la Terre et l’Humanité même ne développent autour d’eux que des perspectives indifférentes.

Au premier acte, c’est un tableau des bords de la mer, en Attique, avec le mont Ida, et la porte du labyrinthe fameux où Thésée vient de pénétrer pour combattre le minotaure, dévorateur de vierges athéniennes.

L’ami du héros, le fervent Pirithoüs, surprend le peuple du rivage, attardé aux délices d’écouter le chant des sirènes, lui reproche de ne pas donner, en un tel moment, toute sa pensée au vaillant qui risque sa vie pour le salut de tous. Les deux princesses sœurs, la tendre Ariane et la farouche Phèdre, reparaissent et, tout de suite, entrent en conflit. La seconde reproche à son aînée d’avoir commis une trahison impie en donnant à Thésée le fil conducteur qui devait l’orienter dans le dédale et d’avoir préparé le salut de l’homme voué à la mort.

Thésée se montre. Il est vainqueur ; le minotaure a péri. Sur sa nef triomphale, il emporte l’aimante Ariane. Phèdre, dominée, se laisse entraîner et suit les amants dans leur essor.

Au second acte, c’est la pleine mer. La galère vogue vers Naxos. Sous une tente, Ariane et Thésée s’enivrent d’être l’un à l’autre. Hors de l’abri, veillent Phèdre et Pirithoüs. Les sentiments de Phèdre ont cruellement changé. Elle aime maintenant l’amant de sa sœur et souhaite qu’une tempête survienne et engloutisse le vaisseau d’amour. Les éléments semblent lui obéir. L’orage éclate. Phèdre tressaille :

Hadès ! Est-ce mon vœu qui suscita la rage
Des gouffres et du ciel combattant dans l’orage ?
Ai-je voulu, pour eux et pour moi, dans la mer
Un tombeau de colère et de tumulte amer ?

Mais les décors s’éteignent, la rafale décroît, le soleil se montre et la nef touche aux bords du Naxos.

Naxos des lys et des colombes.
Où le corbeau lui-même a des ailes de jour,
Naxos qui n’a point de tombes
Et n’a que des lits d’amour !

C’est dans l’île embaumée qu’au troisième acte Ariane confie à Phèdre qu’elle sent l’amour de Thésée lui échapper et supplie sa sœur de plaider pour elle.

Partagée entre sa tendresse pour Ariane et sa passion pour Thésée, la farouche Phèdre s’efforce au sacrifice. Elle parle au héros et lui dépeint les angoisses de sa sœur. Mais Thésée, brutal, lui répond que s’il n’aime plus Ariane, c’est que son cœur appartient maintenant tout entier à elle-même, à Phèdre, la superbe :

Ariane a fui, pour me plaire.
Sa famille et ses dieux. Elle en eut le salaire !
Toi, fière, aux noirs cheveux,
Tu n’as rien fait pour moi ; je t’aime et je te veux !

Phèdre, épouvantée et ravie, se débat, se défend ; mais l’épreuve est trop forte. L’étreinte dominatrice de Thésée la subjugue ; elle subit son étreinte. Ariane les surprend, pousse un cri d’horreur et tombe devant eux évanouie. Phèdre, pleine de remords, s’efforce à la ranimer tandis que Thésée s’éloigne en une retraite assez piteuse.

Ariane se réveille, chasse Phèdre et, seule, exhale sa douleur en une romance d’une douceur pénétrante :

Ah ! le cruel ! Ah ! la cruelle !
Je ne vivais plus que pour lui ;
Et je serais morte pour elle ;
Ah ! le cruel ! Ah ! la cruelle !

Mais des rumeurs et des lamentations résonnent de toutes parts. On apporte le corps de Phèdre qui s’est châtiée elle-même en se laissant écraser par la statue d’Adonis, bousculée et renversée.

Ariane ne connaît pas les joies de la vengeance. Elle se reproche d’avoir causé ce désespoir et ce suicide horrible. Dans une invocation désolée à Cypris, elle supplie la déesse de vaincre la mort. Cypris apparaît ; et, touchée de tant de noblesse, détache de son cortège les trois charites, Agiota, Pasithée, Euphrosine. Elles serviront de guides à la clémente Ariane, la conduiront aux Enfers et l’aideront à en ramener Phèdre ressuscitée.

C’est cette descente aux Enfers qui fournit le sombre tableau du quatrième acte. Sur les bords du Tartare, la déesse Perséphone règne, gardée par ses Furies. Ariane paraît avec ses conductrices. Les Trois Grâces en un divertissement léger et rapide, écartent les sombres gardiennes. Ariane présente sa pieuse requête à la Reine des froides ténèbres. Celle-ci, toute troublée d’avoir vu une forme vivante venir à elle, une rose à la main, se laisse attendrir, en respirant délicieusement la fleur offerte :

Emmène ta sœur ! Emmène ta sœur !
Des roses ! Des roses ! Des roses !

Le dernier tableau, c’est le retour à la terre. Sur le rivage, Thésée, seul et désolé, pleure la perte de ses deux amours.

Phèdre ! Ariane ! Mes amours ! mes désespoirs !
Mes deux bonheurs et mes deux crimes !

Et les deux sœurs répondent à son appel, toutes deux réapparues.

L’enchantement de Thésée va de l’une à l’autre ; mais c’est sur Phèdre qu’il se fixa cruellement, ingratement. Ariane punie d’avoir été surhumainement confiante et bonne, n’entrevoit plus qu’un recours à son désespoir infini. Les sirènes se montrent sur la plage et lui tendent les bras ; elle descend vers elles et se laisse emporter dans l’écume des vagues.

Si j’ai conté fidèlement et longuement cette féerie aux lyrismes cruels, c’est que ses vers précieux, souples, déliés, contiennent toute l’harmonie et toute la couleur de l’œuvre.

M. Massenet les a brodés de mélodies légères, aisées, madrigalesques ; il semble avoir craint d’insister sur les pessimismes de ce drame de trahisons voluptueuses et ne s’être pas avoué que tout le caractère du sujet était dans ces noirceurs mêmes. Assurément, la romance des plaintes d’Ariane est une charmante chose ; mais le fait qu’elle soit une romance suffit à définir comment le compositeur a compris sa tâche musicale. Aussi éprouve-t-on un malaise à l’entendre s’exprimer si galamment dans une atmosphère de crime, de cynisme et de torture, rendue plus sensible encore par une mise en scène classiquement tragique.

L’interprétation, soigneuse et souvent brillante, se ressent de ces disproportions. Mlle Bréval, toujours supérieurement douée, est une Ariane noble et charmante, à qui le dessin de son rôle ne permet que trop peu d’émotion poignante. Mlle Grandjean, dramatique et prestigieuse dans les scènes de conflit et de remords, semble moins bien servie par les situations passionnées, pour donner la pleine impression des excès d’amour dont déborde le poème. M. Muratore a la force et la beauté d’un jeune prince vainqueur de minotaure ; mais il n’a pas le réalisme impudent d’un bourreau de femmes, comme il l’eût fallu pour exhaler certains implacables cris du cœur, qui sont le vrai relief de son personnage. Mlle Demougeot est une Cypris d’un charme absolu. Mlle Arbell a de belles notes et une belle ligne. M. Delmas s’acquitte loyalement de ses fonctions de confident en artiste impeccable. Les rôles d’ensemble sont bien tenus par Mmes Mendès, Laute, MM. Stamler, Triadou et par les dames du corps de ballet, qui ne font qu’apparaître dans un élégant et bref divertissement.

L’orchestration, très tempérée, exigeait un concours instrumental souple et léger. M. Paul Vidal, chef habile et ferme, a su assurer cette exécution homogène et intelligente.

Camille de Sainte-Croix.

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Camille de SAINTE-CROIX

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