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Les premières. Ariane

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Les Premières
Opéra. — Ariane, opéra en cinq actes, de M. Catulle Mendès, musique de M. Jules Massenet.

Après avoir écrit Médée, pour chanter la délaissée empoisonneuse et meurtrière, M. Catulle Mendès a voulu faire Ariane, pour nous dire à son tour l’histoire de la délaissée douloureuse que Voltaire a définie « un des plus heureux sujets de l’antiquité », et qui a inspiré jadis, il y a quelque deux mille ans, à C. Valerius Catullus — le premier Catulle connu — l’épisode demeuré célèbre (et imité d’ailleurs du grec) de son poème le plus connu, Épithalame de Thétis et de Pélée.

Combien d’Arianes depuis la Renaissance à travers les musiques et les littératures ! II serait vain d’en faire le compte. Il en est une cependant qui a joui d’un renom exagéré : l’Ariane de Thomas Corneille qui fut faite en quarante jours, et qui le laisse un peu trop voir. Elle émut si fort les gens, en 1672, que sa vogue fit tort au succès du Bajazet de Racine, représenté en même temps. En dépit de sa forme lâche, abondante en solicismes et en expressions impropres, elle se maintint longtemps au répertoire, parce que le rôle d’Ariane, le seul intéressant de l’œuvre, offrait de quoi tenter les premières tragédiennes. Elle est bien morte aujourd’hui, mais l’héroïne reste éternelle.

Vous surprendrai-je en vous disant que, dans le drame passionnel de son atroce abandon, M. Catulle Mendès n’a pas pu s’empêcher — il s’en serait bien gardé ! — de mettre du « joli » partout où il y a trouvé prétexte ? Cela me fâche-t-il ? Point du tout, puisque ce « joli » a du charme en sa précocité même, et qu’il inspire très heureusement la muse de M. Massenet ; mais il étonne quelquefois, surtout lorsqu’il nous est fourni par la pitoyable Phèdre, au plus fort de ses égarements.

L’impression initiale est de grâce langoureuse, avec le chant des Sirènes qui tentent les matelots de Thésée, cependant que leur chef combat le Minotaure derrière la porte de bronze du Labyrinthe dédalien. Aux mâles accents de Pirithoüs, célébrant la gloire de Thésée, succède vite de la grâce encore : c’est une exquise romance d’Ariane, priant Cypris pour le héros aimé, à qui elle a déjà donné le fil sauveur. Indignation de Phèdre, la chaste chasseresse, qui, — sans ironie peut-être, — joue ici même personnage que le futur Hippolyte, et qui maudit Cypris, la déesse affolante, persécutrice de sa race. Ayant maudit, elle suit quand même Ariane, qui l’emmène à sa prière, lorsqu’elle s’enfuit avec Thésée, vainqueur. Le chœur des vierges et des éphèbes rendus à la vie par Thésée (et tous jolis, bien entendu), met un cadre toujours gracieux à cet enlèvement dramatique.

La même note se continue pendant tout le deuxième acte, qui se passe en mer et n’est point indispensable à l’action. Il pourrait disparaître, sans qu’elle fût modifiée. Ce serait dommage pourtant, car l’orchestre y est délicieux. Et puis, on ne peut pas dire que cet acte est inutile : on y voit s’y allumer la jalousie de Phèdre, devant l’étreinte, surprise, de Thésée et d’Ariane. Après le court intermède d’une tempête, la galère aborde à Naxos, guidée par les Sirènes elles-mêmes — ce qui est encore gentil.

La tragédie arrive avec le troisième acte et elle est noblement traitée par le poète et par le musicien. La trahison de Thésée est abordée de front. Il confesse à Pirithoüs qu’il a cessé d’aimer Ariane et que Phèdre l’a conquis : Ariane a à peine eu le temps, en une scène très lyrique, d’exprimer ses craintes à Phèdre, que Thésée, à son tour, clame son amour à Phèdre et lui arrache par force l’aveu du sien.

Éperdus, dans une stupeur qui rappelle nécessairement celle de Tristan et d’Iseult — au moins quant à la situation — ils tombent aux bras l’un de l’autre. Et Ariane s’évanouit pour les avoir surpris. Lorsqu’elle revient à elle, c’est pour voir Phèdre fuir, non sans avoir de nouveau maudit et menacé Cypris. Ariane alors exhale sa plainte en un fort beau monologue, dont la douleur musicale est intense, mais dont la douleur poétique finit par être trop jolie, à force de beauté morale.

Que, dans l’obscur sentier des bois
Ils ne cueillent, mêlant leurs doigts,
Que des violettes fanées !
Et sur leur lit du soir, qu’un remords envahit
Que le baiser se meure en parfum d’Asphodèle !

Est-ce là le langage d’une amante aussi terriblement trahie ? Patience, il n’est que de s’entendre, et vous allez voir la suite, qui est une conclusion logique et... très jolie.

Cypris est vengée de Phèdre, qui, pour meurtrir le cœur de la déesse amante, — encore une idée de poète — a mutilé une statue d’Adonis. La statue s’est abattue et l’a écrasée sous son poids. Ariane ira, pour toute vengeance, redemander Phèdre aux Enfers, et elle implore l’aide de Cypris, qui touchée, accède à son vœu et lui donne les grâces pour cortège.

L’apparition de Cypris, accompagné d’un Éros casqué et cuirassé dans le style Louis XIV, est une charmante vision anachronique. Volontairement anachronique aussi est le départ d’Ariane et des Charités (ou des Grâces, si vous préférez), sur le thème d’un menuet qu’aurait signé Sully. Cette fois, vous le sentez, nous sommes en plein « joli » ; nous y sommes de plus en plus.

Nous continuons d’y être aux pieds de Perséphone, la pâle et sombre déesse, qui regrette toujours la terre et à qui rend un peu de joie la vue de la vivante Ariane, porteuse de roses rouges et blanches. Pour ces belles roses, elle lui rend Phèdre. Les Trois Grâces n’avaient donc que faire de vaincre les Trois Furies en un ballet fort superflu et qui nuit au style de l’œuvre.

Revenue sur la terre, où Thésée demi fou appelle toujours Ariane et Phèdre ensemble, Ariane, sublime rend Phèdre à l’amour de Thésée. Phèdre et Thésée, muets d’abord en leur extase admirative, n’acceptent pas le sacrifice ; Ariane pense donc un instant avoir retrouvé ensemble et son amant, et sa sœur. Mais, dès qu’ils se sont regardés, Thésée et Phèdre sont repris... Tandis qu’Ariane s’est écartée pour se parer en signe de fête, leur nef abandonne Naxos, les emportant vers Athènes. Ariane les voit partir sans haine, — notez ce point — et fait même des vœux pour eux.

Vous n’empêcherez pas qu’un jour je fus aimée
Et que j’aimerai toujours
C’est d’aimer en pleurant que l’âme est mieux charmée !

Puis elle s’abandonne aux Sirènes, dont le chant l’attire vers les flots, et qui la viennent quérir, bercées sur leurs grandes ailes de mouettes blanches, car elles ont des ailes, les Sirènes de M. Catulle Mendès.

Le succès a été très vif pour le poème, très musical, ainsi qu’on peut s’en rendre compte, et pour belle partition de M. Massenet, qui, sans rompre absolument avec la trame continue, est cependant un retour à la formule de l’ancien opéra, avec ses airs détachés et ses morceaux de facture. Les amateurs de fragments pourront s’en donner à cœur joie.

Il faudrait presque tout citer. Au premier acte, le chant mélodieux des Sirènes et la prière d’Ariane à Cypris ; la symphonie orchestrale du deuxième acte, avec son thème de hautbois ; — au troisième acte, (le plus long et aussi le plus dramatique), les stances d’Eunoé, la scène d’Ariane et de Phèdre, celle de Phèdre et de Thésée, le monologue d’Ariane déjà cité et la reprise, si émouvante, par le violon solo, du thème de l’amour d’Ariane, entendu dès le début ; — au quatrième acte la plainte de Persiphone. — Au cinquième acte, le plus court, les appels de Thésée « Phèdre-Ariane », et son duo rapide avec Phèdre, dont la fin répète exprès un thème de l’ouverture de Phèdre, œuvre déjà très ancienne. Et je n’ai pas dit toutes les pages. Jamais la grâce et la maîtrise de M. Massenet ne se sont mieux affirmées que dans cette œuvre écrite à sa mesure, et où il est, de plus, servi par une interprétation superbe.

Mlle Bréval est une magnifique Ariane. Elle a tout : la poésie et la profondeur de l’accent, la noblesse divine du geste et la puissance de l’émotion. Elle a été acclamée.

Remarquables de tous points sont Mlles Grandjean (Phèdre), M. Muratore (Thésée), très en voix et très vibrant, M. Delmas (Pirithoüs), toujours bien disant.

Des compliments aussi sont dus à Mlle Lucy Arbell (Persiphone), à Mlle Demougeot (Cypris), à Mlle Mendès (Eunoé) et à Mlle Laute (Chromis).

Dans le ballet des Furies et des Grâces, on a applaudi Mlle Zambelli (Joséphine), et Mlle Sandrini (Agloïa).

M. Paul Vidal a magistralement conduit l’orchestre où, cette fois, dominaient les cordes, puisque l’on jouait du Massenet, et où M. Brun a eu un grand succès personnel pour son interprétation du solo du troisième acte.

René Benoist.

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Composer, Pianist

Jules MASSENET

(1842 - 1912)

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