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Ariane de Massenet

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Chronique Musicale

THÉÂTRE DE L’OPÉRA. — Première représentation de Ariane, opéra en cinq actes, poème de M. Catulle Mendès. Musique de M. Massenet.

Dans une œuvre d’art la forme est tout, le fond du sujet n’est rien, car il appartient à tout le monde et il est bien rare que poètes et musiciens n’aillent pas chercher leur inspiration dans un thème déjà choisi par leurs devanciers.

C’est ainsi qu’en ouvrant le dictionnaire lyrique de Clément et Larousse, vous ne compterez pas moins de 22 opéras, portant le titre de Ariane ou de Ariane et Thésée.

La fable mythologique qui a excité l’enthousiasme de MM. Massenet et Catulle Mendès est donc aussi vieille que le monde, c’est le cas de le dire. Mais ce qui est nouveau c’est l’art avec lequel ils l’accommodèrent et la rajeunirent.

Le spectacle que nous avons vu hier soir est plein de charme. On n’y parle que d’amour. Et pour un pareil langage on ne pouvait mieux s’adresser qu’à MM. Catulle Mendès et Massenet.

De leur collaboration tardive, mais qui ne saurait surprendre les admirateurs de ces deux grands artistes, est sortie une œuvre, tendre, poétique, souvent douloureuse et qui aurait pu être une véritable œuvre d’art si le poète et le musicien l’avaient réduite sans se préoccuper des exigences de notre première scène lyrique. Ils n’ont pas voulu qu’il en fût ainsi et pendant cinq actes ils ont essayé de nous intéresser aux malheurs d’Ariane et à la folle passion de Thésée et de Phèdre. Le premier et surtout le troisième acte nous ont donné une pleine satisfaction et c’est avec une joie sans mélange que le public a manifesté tout son enthousiasme après le troisième acte. Les deux derniers actes ont été écoutés avec l’estime que mérite un effort artistique aussi noble et aussi intéressant, mais sans verser dans l’âme des spectateurs une émotion aussi profonde.

C’est avec son incomparable maîtrise que M. Catulle Mendès a porté à la scène la fable d’Ariane. Dans les cinq actes de son poème vous retrouverez toutes les ressources de son âme de grand poète et toutes les délicatesses de son imagination de dramaturge.

Puisant à toutes les sources de l’antique mythologie, coordonnant tous les épisodes relatifs à Ariane, à Thésée et à Phèdre, M. Catulle Mendès a construit un poème peut-être un peu mince pour être développé en cinq actes mais sans cesse poétique et charmant.

Dans son drame, M. Catulle Mendès a pris Thésée au moment où il sort du labyrinthe au fond duquel il a pu se retrouver grâce au fil d’Ariane et vaincre le Minotaure. Le rideau se lève sur un décor sombre et sauvage. On aperçoit la porte du labyrinthe. Tout près est la mer. Des matelots sont étendus sur les roches. On entend le chant des Sirènes. Tout d’un coup apparaît Ariane. Elle se soutient à peine. Elle attend avec la plus vive angoisse l’issue de la lutte entre Thésée et le Monstre. Elle exhale ses plaintes et confie son amour à sa sœur Phèdre. Et quel amour ! Pour le satisfaire Ariane n’a pas craint de trahir les dieux, les mânes de son frère, son père et son pays. Mais elle aime Thésée et ne désire qu’une chose : qu’il vienne et l’emporte.

Ses vœux sont exaucés. Thésée revient victorieux et au deuxième acte nous le voyons voguant en pleine mer sur une galère avec Ariane devenue sa femme et avec Phèdre qui n’a pas voulu abandonner sa sœur.

Dans le deuxième acte il ne se passe rien de particulièrement important à l’action et il faut arriver au troisième — le point culminant — de l’ouvrage pour entrer en pleine lutte de sentiments et pour voir aux prises les trois personnages, Thésée qui n’aime plus Ariane. Ariane qui l’aime toujours autant et Phèdre amoureuse de Thésée qui le lui rend bien.

Ce troisième acte est parfait de développements scéniques, d’analyse psychologique. Le poète et le musicien ont fait de leur mieux, c’est à dire tout à fait bien. Au quatrième acte Phèdre morte de désespoir est descendue aux enfers. Ariane va l’y chercher et dans un admirable esprit d’abnégation veut s’immoler et ramener Phèdre à Thésée qu’elle aime et dont elle est aimée. Il faut fléchir Perséphone gardienne des enfers. Pour obtenir que Ariane [sic] puisse quitter le sombre séjour des morts, Ariane offre à Perséphone des roses « Emmène ta sœur, lui répond Perséphone : Des roses, des roses, des roses, je vois, j’espère et touche et baise la douceur de toutes les humaines choses, dans leurs chères fraîcheurs écloses ! »

L’idée est charmante, n’est-ce pas ?

Revenue sur la terre, au cinquième acte, Phèdre retrouve Thésée et tous deux jurent de se séparer et de faire leur devoir. Serment d’amoureux que la passion a égarés et qui ne résisteront pas à cette passion. En effet le rideau tombe sur la fuite de Thésée et de Phèdre enlacés et sur la mort d’Ariane qui répond à l’appel fatal des Sirènes.

Sur ce sujet M. Massenet a écrit une partition où se révèlent à chaque page les qualités merveilleuses de son talent si souple, si averti et si prompt à se renouveler. Il est incontestable qu’avec Ariane M. Massenet a voulu élargir encore sa « manière » et en maints endroits s’inspirer de Gluck. Mais cet effort vers un art plus sévère que ne l’est en général celui de M. Massenet n’a rien enlevé au talent du compositeur de ses qualités de charme ; sa sensibilité est restée la même et ce n’est pas dans une analyse aussi brève qu’on peut citer tout ce qui mérite d’être retenu dans une partition aussi importante. Le premier acte et le troisième sont parfaits d’un bout à l’autre et il n’y a qu’à les écouter dans la joie qu’ils vous procurent. Les deuxième, quatrième et cinquième actes sont d’une belle tenue musicale, mais d’un intérêt moins immédiat.

L’interprétation est excellente, Mlle Bréval est une Ariane douloureuse à souhait et d’une grande beauté d’attitudes. Mlle Grandjean a chanté tout le rôle de Phèdre avec une autorité et une bravoure incontestables. Sa voix est superbe et ne connaît pas de défaillances. MM. Muratore et Delmas complètent un ensemble très satisfaisant. M. Paul Vidal conduit la partition de M. Massenet avec son âme d’artiste comme l’a si bien dit M. Massenet lui-même. Enfin M. Gailhard a donné l’hospitalité la plus généreuse à Ariane, sa nouvelle pensionnaire. Il en sera certainement récompensé par de nombreuses représentations.

Albert Montel.

Texte également publié dans Le XIXe siècle, 2 novembre 1906 et L’Événement, 3 novembre 1906.

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Composer, Pianist

Jules MASSENET

(1842 - 1912)

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