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Ariane de Massenet

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OPÉRA : Première représentation d’Ariane, opéra en cinq actes. Poème de Catulle Mendès ; musique de Massenet. — CONCERTS COLONNE : Réouverture.

La saison musicale s’ouvre de façon brillante. Au Châtelet, M. Colonne, avec ses deux premiers concerts, a offert aux dilettantes d’admirables séances d’art, auxquelles je ne pourrai, malheureusement, consacrer l’étendue qu’elles méritent, car j’ai également à parler de la nouvelle œuvre de Massenet, jouée à l’Opéra, cinq actes écrits sur un poème de Catulle Mendès.

Il y a beaucoup d’affinité entre la nature artistique de Mendès et celle de Massenet. Tous deux témoignent d’une sorte de prédilection pour les sujets imprégnés des séductions féminines. Le charme captivant qui émane de la femme les attire l’un et l’autre. Pourtant, jusqu’ici, ils n’avaient jamais collaboré. Ariane les a fait se rencontrer ; elle leur a inspiré une œuvre des plus séduisantes.

Et, tout d’abord, résumons le poème de Mendès ; il est un des meilleurs qui soient sortis de sa plume féconde. Il est disposé de façon à offrir au compositeur une action émouvante, très humaine, de caractère intime, tout en se prêtant à des tableaux très variés.

Les libertés prises avec l’antique légende se justifient par l’ingéniosité et l’originalité des scènes qu’elles engendrent.

Dès le début du premier acte, Ariane, profondément éprise de Thésée, lui a indiqué le fil conducteur qui lui permettra de vaincre le Minotaure dans le labyrinthe « plein d’inextricable nuit ». La reconnaissance s’unit, dans le cœur de Thésée, à la tendresse que, déjà, il éprouvait pour Ariane ; il épouse la jeune fille, et la fin du premier acte nous le montre voguant sur une galère richement parée, avec le cortège des jeunes gens qui devaient être la proie du Minotaure.

Cependant, Phèdre, la sœur d’Ariane, ne peut se défendre d’une violente passion pour le beau et valeureux héros qu’est Thésée, et, de son côté, ce dernier se brûle au contact de cette flamme intense.

Il leur est impossible de maîtriser les sentiments dont ils sont agités ; ils s’avouent leur amour, y cèdent, et sont surpris par Ariane. Cette scène du troisième acte est très pathétique et forme comme le point culminant de l’œuvre.

Phèdre, dans sa colère, veut se venger sur Cypris, qu’elle accuse de l’égarement qu’elle a subi, et, l’outrage à la bouche, elle frappe d’une pierre la statue de la déesse ; mais la statue s’abat aussitôt sur elle, et,

Dans le ravin plus creusé

Par la chute meurtrière,

Ce n’était plus, dans la ronce et la pierre,

Qu’un monceau de chair blême et de marbre brisé.

Ariane, qui aime profondément sa sœur, implore la pitié de Cypris ; elle lui demande de rendre Phèdre à la vie. Mais Phèdre est déjà descendue dans le domaine de Pluton ; elle erre parmi les morts. Ariane, être tout d’instinct, d’impulsion, de sentiment, se résout à l’aller chercher. Elle apporte à Perséphone, la femme de Pluton, des fleurs, et l’on sait que Perséphone, autrement dit Proserpine, fut enlevée par Pluton alors qu’elle cueillait des fleurs dans les campagnes de la Sicile. Or, ce souvenir, en même temps que cette bouffée printanière, pour ainsi dire, qui arrive à Perséphone en sa sombre demeure, la dispose favorablement envers Ariane, qui pourra ramener sur terre celle qui n’a pas cessé, pour elle, d’être sa sœur bien-aimée.

Cependant, à peine Phèdre et Thésée sont-ils de nouveau en présence, que leur passion se rallume, se ravive. Malgré tous leurs efforts, ils ne peuvent encore se contraindre ; ils se jettent dans les bras l’un de l’autre ; la pauvre Ariane les voit fuir enlacés ; elle demeure solitaire, abîmée dans sa douleur, sur son rocher, et les vers célèbres et si harmonieux de Racine, qu’il prête à Phèdre, à cette sœur sur qui s’acharne Cypris, chantent dans notre mémoire :

Ariane, ma sœur, de quel amour blessée

Vous mourûtes aux bords où vous fûtes laissée.

Ce poème, d’une jolie couleur, très lyrique, où dominent la grâce, le sentiment, et qui est tout entier consacré à mettre en lumière l’invincible puissance, la force irrésistible de l’amour, était des mieux appropriés à la nature artistique de Massenet. Toutefois, Massenet ne s’est pas borné à laisser s’épandre les jolies phrases mélodiques qui, tout naturellement, s’échappent de lui ; il a étudié profondément son œuvre et a cherché à dessiner musicalement, en quelque sorte, chacun de ses personnages. Pirithoüs, le brave et rude compagnon de Thésée, s’exprime avec une sorte de robuste cordialité ; Thésée avec une vigueur héroïque ; Phèdre avec cette force décidée, cette netteté dans l’intention, cette résolution qu’elle doit au goût prononcé que les auteurs nous indiquent qu’elle éprouve pour la chasse. Quant à Ariane, il est visible que toutes les sympathies du compositeur allaient à elle. Aussi lui a-t-il confié les plus touchantes et les mieux inspirées des pages de sa partition. Ce rôle comptera parmi les meilleurs qu’ait écrits le compositeur. Il faut ajouter tout de suite que Mme Bréval l’a interprété de façon incomparable, inoubliable. On a l’impression, non d’une cantatrice qui chante un rôle, mais bien d’une âme blessée qui exhale sa douleur. C’est admirable ; c’est d’une profonde, émouvante et délicieuse impression artistique.

Tous les personnages sont, au reste, fort bien tenus. La voix un peu dure, et de timbre clair et vibrant, de Mme Grandjean, se prête fort bien au caractère de Phèdre, tel qu’il a été tracé par les auteurs.

M. Muratore, qui personnifie Thésée, a agréablement surpris tous ceux qui ne s’attendaient pas à trouver en lui ces accents vigoureux auxquels il ne nous avait guère habitués jusqu’à ce jour. Delmas est et demeure l’impeccable chanteur que l’on sait.

J’aurais voulu pouvoir m’étendre sur l’harmonieux intérêt qu’offre la partition, sur la façon dont certains vers de Catulle Mendès ont été traduits par Massenet, sur la grâce charmante avec laquelle le compositeur a ramené certains motifs, comme, par exemple, celui qui sert à exprimer l’impression ressentie par Ariane à la première rencontre de Thésée et qui revient si mélancoliquement à l’orchestre, lorsque Ariane s’aperçoit de la trahison de son époux ; j’aurais voulu dire aussi l’heureux parti qu’a tiré Massenet, à la fin de son œuvre, d’une des phrases passionnées de sa belle et si célèbre ouverture de Phèdre, et je regrette qu’il ne s’en soit pas servi davantage ; mais l’abondance des matières m’oblige à être bref.

[…]

ALBERT DAYROLLES.

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Composer, Pianist

Jules MASSENET

(1842 - 1912)

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