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La musique à Paris. Ariane de Massenet

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La musique à Paris

Cette année, à l’Opéra, la saison musicale a débuté par un événement important : la première d’« Ariane », opéra dû à la collaboration de deux noms illustres : Mendès et Massenet.

Voici comment M. Lucien Greilsamer le critique musical de l’« Indépendance belge » bien connu à Mulhouse, rend compte de cette première :

Le sujet est tiré de ce fond de la mythologie grecque tant exploité par l’art lyrique depuis Cambert : Thésée est vainqueur du Minotaure. Il s’embarque pour retourner à Athènes avec Ariane et Phèdre, sœur de cette dernière, laquelle a demandé d’accompagner les deux nouveaux époux. Une tempête survient pendant la traversée et les jette sur l’île de Naxos. Thésée n’aime déjà plus Ariane ou plutôt il brûle d’un amour criminel pour sa belle-sœur, amour que cette dernière partage. Ariane les surprend au moment où, succombant, ils tombent dans les bras l’un de l’autre. Blessée au cœur, elle supplie la déesse Cypris, protectrice des amours légitimes, de la venger. Le châtiment ne se fait pas attendre et la lourde statue de marbre de la déesse tombant sur le passage de Phèdre l’écrase. Ariane n’avait pas demandé une telle punition ; elle invoque de nouveau Cypris, lui redemandant sa sœur. La déesse compatissante lui donne le moyen de descendre aux enfers et d’y chercher la coupable. Lorsque Ariane, heureuse, ramène Phèdre vivante à la lumière, une passion plus violente que jamais s’empare des deux amants qui s’embarquent pour Athènes et Ariane abandonnée se noie.

Au premier acte, nous voyons Thésée sortir du Labyrinthe ; il a tué le Minotaure. S’adressant à la foule qui l’entoure, il déclare que c’est à Ariane qu’il doit sa victoire et, se tournant vers cette dernière, il lui dit son amour :

Mais comme un avare
Veut augmenter son trésor.
D’un trésor plus rare,
Je demande mieux encore...

Ariane, ô bouche fleurie
Comme une touffe de baisers,
Ô chevelure qui charrie
De l’ombre et des ors embrasés
Voulez-vous me suivre, Ariane ?

Ariane lui répond :

Je n’ai plus de parents, je n’ai plus de pays,
Je n’ai plus qu’un amour ! Tu parles, j’obéis

Et on s’embarque pour Athènes.

Le second acte nous représente le vaisseau de Thésée en pleine mer. Pendant que les deux époux chantent leur amour en un long duo qui se termine par ces mots d’Ariane :

Dis que tu m’aimes. Roi des délices fidèles
Dis aussi que tu m’aimeras,

une tempête survient et l’on aborde à Naxos.

Le troisième acte nous montre l’adultère de Thésée et de Phèdre, la mort de cette dernière et l’invocation d’Ariane à Cypris. La déesse lui apparaît.

Au quatrième acte, nous sommes dans les enfers. Ariane, après avoir assisté au ballet qu’il est d’usage d’offrir en spectacle aux étrangers qui visitent ces lieux, obtient de Perséphone la permission de ramener Phèdre à la lumière. Ariane lui donne des roses pour la remercier et Perséphone chante :

Emmène ta sœur ! Emmène ta sœur !
Des roses ! des roses ! des roses !
Je vois, j’aspire et touche et baise la douceur
De toutes les humaines choses
Dans leurs chères fraîcheurs écloses.

Dans le cinquième acte, nous sommes transportés sur les bords de l’île de Naxos. Ariane revient avec Phèdre ressuscitée. Les deux amants coupables s’embarquent. Ariane regarde disparaître leur vaisseau et se jette à la mer où les sirènes l’emportent.

Comme on le voit, un sujet si peu fertile en situations pouvait difficilement fournir la matière d’un long spectacle. Trois actes auraient largement suffi, pour épuiser ce fait divers suranné. Allégé de la scène du vaisseau, remplissage fastidieux et de la banale descente aux enfers, cet opéra eût été réduit à de plus justes proportions. La mise en scène ne rajeunit pas un sujet et ne crée pas des situations. Or, l’affublation d’« Ariane » n’est ni jeune ni intéressante. La critique doit s’interdire de reprocher à un auteur le choix de son sujet et la manière dont il est traité seule reste l’objet du procès. Cependant, ne semble-t-il pas un lieu étrange, dans notre époque de modernisme à outrance, de voir cette mythologie classique, qui fut la manne des faiseurs d’opéras depuis ses origines jusqu’à Gluck et avec laquelle on croyait à jamais avoir fini, refleurir sous les rimes savantes d’un poète tel que M. Mendès ? Qui osa jouer le « Carnaval de Venise » depuis Paganini ? Quelle témérité de nous conduire aux enfers après Gluck !

Si l’auteur du livret d’« Ariane » a choisi un tel sujet, il faudrait ne pas connaître son œuvre pour en déduire que c’est par pauvreté qu’il a agi. Ce poète, aussi puissant créateur qu’observateur érudit, eût trouvé à son gré cent autres poèmes s’il l’eût voulu. Il a choisi une des mille fables de la mythologie parce que cette dernière se prête admirablement à l’introduction d’un élément nouveau dont il est, je crois, le premier à doter le théâtre lyrique.

Cherchant à élever la conception du livret, M. Mendès introduit dans l’opéra le « symbole » et il attribue lui-même à cette innovation une importance capitale. Dans sa préface du « Fils de l’Etoile » il a écrit :

« Au plus médiocre poète n’est pas interdit le symbole, sans lequel, comme je le disais dès 1871, aucune œuvre d’artiste ne saurait avoir de prolongement dans l’humanité entière ».

Je ne sais s’il est des arts dans lesquels le symbole jouisse d’une telle vertu, mais je doute fort que dans l’opéra il ajoute quelque chose à l’intérêt scénique. Il passe même inaperçu au spectateur non averti et qui n’a pas « lu » la préface du livret.

Dans l’opéra qui nous occupe, Ariane, c’est l’amour instinctif, absolu, sans complications intellectuelles, sans subtilité, l’amour satisfait de lui seul, etc., etc.

Phèdre, c’est l’amour imposé par le destin, la fatalité de la passion, etc.

Thésée, c’est la virilité jeune, très forte et très charmante. Il est le mâle séduisant, etc.

Donc, voilà des symboles que l’auteur est obligé de nous expliquer « en dehors de la scène ». Alors, pourquoi lève-t-on le rideau ?

J’ajouterai que le théâtre vit dans le particulier et non dans le général. Il n’est intéressant que par le cas concret qu’il nous représente, par la situation des personnages par rapport au moment. La généralisation ne pique pas notre curiosité et ne peut nous émouvoir. L’amour de Thésée nous intéresse, parce que nous croyons à l’« existence réelle » de Thésée pendant tout le temps qu’il est devant nos yeux, mais l’« amour » du « symbole » de Thésée nous est indifférent.

Je ne crois pas, en somme, que cette innovation fasse revivre dans l’opéra des sujets qu’il faut abandonner. Autrefois, sous les monarchies, le théâtre, avec son antiquité de convention, ses héros personnifiant en une suprême flatterie les princes régnants, pouvait trouver ses clients. Il avait sa raison d’être, tout le monde étant sincère, auteurs et spectateurs. Aujourd’hui, l’esthétique a changé de point de vue et l’on est en droit de se demander si c’est faire œuvre sincère que de nous montrer encore ces oripeaux du passé.

M. Massenet, lui, n’a pas la prétention de nous donner une musique nouvelle. Fidèle à ses procédés, avec lesquels il sait si bien prendre son public, il a trouvé encore quelques-unes de ces intonations dont il a le secret et qui sont d’un effet certain.

Je citerai, entre autres, l’air du premier acte, chanté par Ariane et qui se termine par ces deux vers :

Je me sentais une humble chose
Dont il ferait ce qu’il voudrait,

le chant d’Eunoé au troisième acte :

Ariane, Ariane, Reine !
Pourquoi pleurez vous ?

d’une tendresse infinie avec son accompagnement de harpe et de hautbois, rythmé d’une façon si touchante, et la cavatine du même acte :

Ah ! le cruel ! Ah ! la cruelle !
Je ne vivais plus que pour lui
Et je serais morte pour elle.

Cependant, malgré les belles qualités de facture, les trouvailles heureuses que contient cette œuvre, on regrette de n’y rencontrer aucune trace de couleur locale, d’ambiance musicale qui eussent distingué cet opéra des précédentes créations du maître stéphanois.

Devant ces auteurs heureux, qui réussissent facilement et à coup sur, je ne puis m’empêcher de songer à ces quelques-uns, chercheurs sincères, novateurs convaincus, précurseurs peut-être, dont les essais parfois si imparfaits, toujours impitoyablement dédaignés ou ridiculisés, sont autrement glorieux.

Les rôles d’« Ariane » sont distribués comme suit : Mlles L. Bréval : Ariane ; L. Grandjean : Phèdre ; L. Arbel : Perséphone ; Demougeot : Cypris ; Mendès : Eunoé ; MM. Muratore : Thésée ; Delmas : Pyrithoüs. Danses : Mlles Zambelli et Sandrini.

Lucien GREILSAMER.

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Composer, Pianist

Jules MASSENET

(1842 - 1912)

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