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Chronique musicale. Ariane

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CHRONIQUE MUSICALE
Académie Nationale de Musique : Ariane, opéra en cinq actes de M. Catulle Mendès, musique de M. Jules Massenet. 
Théâtre National de l’Opéra-Comique : La Princesse jaune, opéra-comique en un acte de Louis Gallet, musique de M. Camille Saint-Saëns ; — Bonhomme Jadis, opéra-comique en un acte de M. Franc Nohain (d’après Henri Murger), musique de M. Jaques Dalcroze ; — Les Armaillis, légende dramatique en deux actes, paroles de MM. Henri Cain et Daniel Baud-Bovy, musique de M. Gustave Doret.

Saisi d’une activité inaccoutumée, l’Opéra nous gratifie cet hiver de deux spectacles nouveaux. L’un est la Salomé de Richard Strauss, que nous entendrons bientôt, mais en dehors de l’abonnement, afin de ne pas choquer, paraît-il, le public ordinaire de la maison. L’autre vient de nous être révélé, et c’est Ariane. Beau sujet s’il en fut : Minos, le plus juste des hommes, et Pasiphaé hantée d’un désir indomptable ; le Labyrinthe où mugit la Minotaure nourri de victimes innocentes ; les sept garçons et les sept jeunes filles, tribut d’Athènes ; Thésée, surgissant en pleine gloire parmi cette sombre horreur, et courbant d’un bras victorieux le front cornu du monstre ; auprès de lui, douce et furtive, Ariane qui le guide et que bientôt il abandonne, en héros que n’embarrasse pas l’amour d’une femme. Du sang, de la volupté, de la mort ; un amour payé d’une trahison ; une mystérieuse légende, venue du plus lointain des âges, d’un temps où l’on immolait des victimes humaines et où l’on rendait un culte aux animaux ; si mystérieuse même et si cruelle qu’Eschyle ni Sophocle n’osèrent la mettre à la scène. Euripide eut cette audace et s’en tira, à ce qu’il semble, avec plus d’esprit qu’il n’aurait fallu. M. Catulle Mendès n’a pas craint après lui de tenter l’aventure ; et il y a montré, si j’ose dire, un certain excès de talent. La lutte contre le monstre et l’abandon d’Ariane lui paraissant une trop faible matière, il lui a plu d’y ajouter un épisode de sa façon : car Phèdre, ayant trahi sa sœur, est saisie de remords et maudit Cypris ; elle va même, en sa fureur sacrilège, jusqu’à blesser d’un caillou la statue d’Adonis, laquelle aussitôt se renverse sur elle et l’écrase, aussi implacable que la Vénus d’Ille dont Mérimée narrait jadis la terrible vengeance. Cette invention serait assez dans le goût alexandrin ; c’est dire qu’elle n’est guère à sa place ici. Mais elle nous procure une descente aux Enfers où Ariane, sublime d’abnégation, va chercher sa rivale, et un dénouement mélancolique où l’on voit Thésée et Phèdre repris par leur passion ancienne et abandonnant Ariane une seconde fois. Ainsi sont formés les deux derniers actes ; les trois premiers nous ont montré l’arrivée de Thésée vainqueur, la galère détournée de sa route par la tempête, et, à Naxos, la première trahison. Tel est le drame. Si l’on veut juger du style, voici en quels termes galants Thésée, au sortir du Labyrinthe, déclare à Ariane la flamme dont il brûle :

Ariane, ô bouche fleurie
Comme une touffe de baisers,
Ô chevelure qui charrie
De l’ombre et des ors embrasés,
Ariane, sein pur, bras enlaçant, liane
De fraîche innocence et de volupté,
Virginal printemps aux splendeurs d’été,
Voulez-vous me suivre, Ariane ?

Et tout est à l’avenant, tout se chante sur ce ton-là, avec une profusion d’ornements, et de compliments, et de lis, et de roses, et d’étoiles, et de parfums, qui ne laisse pas de fatiguer un peu. Trop de fleurs ! trop de fleurs ! et pas assez d’accents sincères ! Le triomphe de la « littérature » au sens le plus étroit du mot ; nos pères eussent dit : de la rhétorique.

Les décors, qui pouvaient être fort beaux, sont des plus maladroits. Je n’ai pas besoin de dire que M. Gailhard ne s’est en rien inspiré de découvertes récentes et qu’il n’a pas restauré à nos yeux le palais de Minos avec sa massive architecture, ses chambres oblongues, ses peintures murales d’un style si vivant ; non plus qu’il n’a su nous montrer ces costumes d’un étonnant modernisme, ces manches bouffantes et ces mèches de cheveux coquettement recourbées, ni rien, enfin, de ce que nous savons aujourd’hui d’une civilisation somptueuse et raffinée, très éloignée de l’art grec des âges classiques. Il est certain qu’un directeur de théâtre, même subventionné, n’est pas un archéologue ; il pourrait tout au moins connaître son ignorance, s’éclairer, prendre conseil. Il est vraiment regrettable que tous les opéras, qu’ils se passent en Crète ou en Palestine, à Carthage ou en Islande, empruntent les mêmes décors, les mêmes casques, les mêmes cuirasses à tout faire et les mêmes vagues tuniques à volonté. Nous ne sommes plus au temps où l’« habit à la romaine » était l’uniforme obligé de toutes les tragédies ; nous voulons aujourd’hui, sinon plus de vérité, du moins plus de variété, de caractère et de couleur. M. Gailhard n’a cure de tout cela. Uniquement occupé de remplir sa vaste scène, il y jette pêle-mêle d’incroyables rochers pointus, ou y campe d’aplomb un gigantesque vaisseau qui garde au sein de la tempête la plus rassurante immobilité ; des figurants penauds s’appuient sur des lances ou tirent mollement des avirons parmi ces lourdes machines, sous la lumière terne, fausse, tantôt grise et tantôt verdâtre ou rougeâtre, sans rien jamais qui rappelle la nature. Un seul décor contient un assez bel effet : c’est celui des Enfers, où l’on voit l’un des fleuves infernaux rouler, depuis le fond de la scène, ses eaux sulfureuses ; mais le premier plan reste sombre, sans relief, avec un groupe confus de divinités entassées ; il n’y a là nulle entente de la perspective ni des valeurs. La décoration théâtrale est un art aujourd’hui ; mais à cet art il faudrait un artiste.

[…]

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