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Parmi nos théâtres. Opéra

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Parmi nos Théâtres
OPÉRA

L’Opéra ! on ne saurait le nier, est un palais somptueux mais qui ne répond pas aux exigences lyriques.

Sur une scène immense se débattent de pauvres et minuscules poupées dont les micro gestes et les paroles étouffées parviennent à peine jusqu’à nous au travers des éclats d’un orchestre trop puissant. L’Opéra-Comique (qui n’est plus comique du tout) satisfait mieux notre recherche d’art, permet de mieux apprécier certaines délicatesses de jeu, de voix, et d’orchestration. Mais, dans les ouvrages, comme les élaborations modernes, où le mouvement sur scène est parfois réduit à la simple expression d’un personnage qui s’ennuie ou se lamente — car les auteurs lyrico-psychologues ne mettent plus de mouvement que dans leurs harmonies — Oh combien ! — l’isolement trop prolongé du héros, le rend plus petit à nos yeux et nous le cherchons d’une lorgnette inquiète comme une épave, dans la brume, mollement agitée par les flots.

Voilà donc deux vieux — Massenet, le roi des mélodistes et Catulle (Mendès) le roi des poètes — après Rostand — qui, fiers de leurs souvenirs classico-scolaires, ont déterré l’ancienne légende d’Ariane pour la faire revivre — à l’Opéra… modernisée !…

D’abord, n’est-ce pas un grave écueil que de prendre pour héroïne grecque une femelle tendre… (quel style !) veule, satisfaite d’aimer. Cette conception de l’héroïne manque absolument de grandeur et les grecs à l’âme éminemment tragique l’auraient désavouée !… Je me permets de douter qu’Ariane n’ait jamais eu ni une révolte, ni un cri. Et ce cri nous eut émus ; sa révolte nous eut fait pleurer. Or nous ne pleurons pas.

Avant la descente aux enfers, sublime sacrifice d’Ariane, pour recouvrer une sœur traîtresse, il n’y a pas un de ces frissons de terreur communs aux vieux Héllènes. Antigone, Electre, Andromaque, Sphigénie, sont sœurs d’Ariane ;… comme elles tremblent devant les Ténèbres de l’Inconnu :

Je ne verrai plus la douce lumière des cieux

Ce cri, cette terreur, Ariane les ignore. Elle descend aux Enfers, y promène son fastidieux enfantillage en compagnie des Grâces sur un motif de pas de quatre ! Enfin lorsque Thésée part sous ses yeux… elle pleure… Soit ! mais ainsi que l’ont conçue, traduite Catulle (l’ancien), Ovide et Thomas Corneille, elle devrait se révolter enfin et l’imprécation aurait enchaîné, comme dans les anciennes trilogies, l’abandon de la sœur au crime de Phèdre, à son atroce fin.

Phèdre ? Ah, la pauvre ! Si j’ai trouvé Racine parfois mou dans la plus belle de ses tragédies, c’est que je ne connaissais pas Catulle (le moderne) !

Elle ne sera pas par les crocs déchirés
Plus effroyablement que par l’amour les cœurs
Las ! las ! li lo lu

Divinités du Styx ! c’est de la poésie. Heureusement que Catulle — Mendès — rachète, par une ample moisson de jolis vers et de pensées profondes, cette cacophonie digne de Victor-Hugo.

Quel joli portrait :

Ariane aux cheveux de brume et d’or
Aux yeux comme la mer, au sein comme les roses…

Quelle nuance charmante dans la prière d’Ariane :

Ne dis pas que tu m’aimeras, dis que tu m’aimes !

Et plus tard, après… la tempête, soupirant et doucement lasse :

Dis que tu m’aimes. Roi des délices fidèles,
Dis aussi que tu m’aimeras.

Et nombre encore d’autres beaux vers qui ont inspiré des phrases musicales sublimes au maître des amours.

Massenet, pour cette conception veule, animalement amoureuse, était le vrai, l’unique maître français désigné pour y apporter la tendre caresse d’une âme à une autre âme. À cette figure morte et unicolore, que l’on a fait d’Ariane, il attache un leit-matia — joli — une espèce de valse lente, un miaulement de chat perdu dans les gouttières et je ne m’étonnerais pas que les tziganes, cet hiver aux five O’clock n’en fissent leit motif des flirts.

La partition débute par le chant des Sirènes, barcarolle d’un charme captivant que nous retrouverons dans le cours de l’action chaque fois que ces dames auront l’occasion de se montrer. D’un lyrisme doux et passionné, les litanies de Cypris sont fort belles ; nous les entendrons sûrement piauler cet hiver par toutes les jeunes filles en mal de mari.

À signaler, la délicieuse phrase :

Très pâle, en pleurs, le cou baissé
Comme une tige brisée
Elle semble un grand lys blessé
Qui pleurerait… sa rosée

puis, l’ensemble de sistres et lyre, très grec d’allure, qui accompagne le chant d’Eunoé :

Ariane ! Épouse ! Pourquoi pleurez-vous ?

seulement cela me fait songer à Glück — Laissez-vous toucher par mes pleurs. À Gluck qui a mieux compris l’âme grecque, simple, naïve, tendre mais dont le fond est tragique.

L’acte de la Galère est une barcarolle aux longues ondes. — Douceur des nuits blanches, murmure des flots, tempête, riant matin, toutes les manifestations de la mer sont ressenties pendant cette scène forcément un peu longue.

Le IVe acte aux Enfers est fort beau ! — Le plus complet de l’œuvre. — Une morne désespérance y plane dans l’atmosphère tranquille, et, bizarre rapprochement ! je songe encore au « riant séjour de félicité » de Glück — riant que le destin nous loge aux enfers ou aux Champs Élysée ! l’éternel repos serait donc éternellement même ! Seulement lamentations, plaintes d’âmes, l’infinie de la douleur nous plongent, vivants, dans le domaine obscur de l’immobile Hadès en cela seul réside la nuance.

Perséphone est une bonne création ; Ariane un tendre agneau bêlant, affublé d’un nom d’héroïne. — Ne lui demandons rien autre que de nous charmer. Mais de Phèdre, j’attends plus de mâle énergie. Nulle part je ne la vois, fière chasseresse, justifier les cris de Thésée :

Ô Vierge guerrière nous sommes
Héros tous deux.
Vainqueurs, par un égal courage
Éperdus d’un amour pareil
Nous ferons de la gloire atroce du carnage
Notre lit vermeil

Et Thésée ! ce pauvre ! dont Ariane dit :

… Le regard, féroce un peu
De sa prunelle d’acier bleu
Semblait la caresse d’un glaive

Pauvre dieutelet ! Aimer deux femmes ? Bagatelle ! — Jupiter en a fait bien d’autres ; mais vivre dans cette humiliante hésitation !!!

Thésée. — Phèdre ! Ariane ! mes deux bonheurs !
Le pratique Pirithoüs. — Si l’une revenait ?
Thésée. — J’attendrais encore l’autre !
Pirithoüs. — Que ferais-tu, les deux venant ?
Thésée. — Je ne sais pas, j’hésite à m’avouer laquelle je préfère.

Quelle culbute pour un demi dieu !

Ah ténors ! soupirants malades ! roucoulez des amours, escaladez les balcons ! mais laissons aux basses tailles, tout au plus aux barytons les amours virils, brutaux et tragiques.

Je n’ai entendu faire aucune allusion aux admirables interprètes de cet ouvrage Mesdames Bréval, Grandjean, Luc, Cerbell [sic pour Lucy Arbell], Messieurs Muratore et Delmas, qui ont su tirer merveilleux parti des rôles à eux confiés. En citant Mesdemoiselles Zambelli et Sandrini je n’émettrai qu’un regret : elles nous charment pendant un temps qui nous paraît trop court.

Le compositeur Massenet possède une maîtrise indiscutable, il nous le prouve une fois de plus, dans l’expression des sentiments tendres et passionnés, mais ses énergies de grande masses orchestrales conservent un relent de mollesse amoureuse. Cette réserve faite on peut affirmer que la partition possède des pages exquises où l’on retrouve parfois un peu de couleur locale, mais si peu ! et la faiblesse enfin de l’œuvre réside en ce qu’on a déterré des héros grecs pour leur faire jouer quelque chose qui n’est pas grec du tout. Voila tout !

PONCE-VITA.

Grand Poète ! On dit que vous préparez un Bacchus !!!… Autant la collaboration Massenet se trouvait indiquée pour votre Ariane, autant une autre s’impose pour un Bacchus ! j’ai nommé Erlanger. Ce n’est pas une réclame, je ne le connais pas, mais si vous en voulez savoir la raison-pourquoi daignez, cher maître, lire mes modestes critiques.

P. V.

Related persons

Composer, Pianist

Jules MASSENET

(1842 - 1912)

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Ariane

Jules MASSENET

/

Catulle MENDÈS

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