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Premières représentations. Théâtre de Monte-Carlo. Roma

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Premières représentations
Théâtre de Monte-Carlo. – Roma, tragédie lyrique en cinq actes, tirée par M. Henri Cain de la « Rome Vaincue », d’Alexandre Parodi, musique de M. Massenet.

Nous sommes décidément obligé de nous rendre tous les ans sur la Côte d’Azur pour avoir la primeur des œuvres lyriques dont Paris ne fait que consacrer le succès.

Après le Jongleur de Notre-Dame, après Don Quichotte, après Déjanire, voici que Roma, de Massenet, apparaît pour la première fois devant le public spécial et privilégié qui vient chercher sur les bords de la Méditerranée la chaleur d’un soleil qui s’était montré, cette année, quelque peu avare jusqu’à hier de ses rayons.

Est-ce l’influence de la musique qui a, une fois de plus, calmé la colère d’Apollon, dieu du beau temps ? mais il faut reconnaître que c’est par une journée splendide, tout illuminée de lumière et de gaîté, que nous nous sommes rendu à Monte-Carlo pour entendre Roma.

L’œuvre nouvelle de l’auteur d’Ariane est tirée par M. Henri Cain de la Rome vaincue d’Alexandre Parodi.

On se rappelle l’émotion profonde que produisit, en 1876, cette tragédie d’une valeur littéraire contestable mais qui avait le mérite d’exalter devant un peuple à peine remis des angoisses de la défaite les vertus patriotiques qui préparent les revanches et ramènent la victoire.

Magnifiquement interprétée par Sarah Bernhardt dans le rôle de l’aveugle Posthumia « Rome Vaincue » dut son succès beaucoup plus à l’actualité du sujet qu’à la beauté des vers. Ce n’est donc pas un sacrilège que de l’avoir transformée en tragédie lyrique, la musique ne pouvant qu’ajouter à la grandeur des situations.

Au premier acte, qui se passe sur le forum, le sénateur Fabius s’efforce de rendre le courage aux Romains qui viennent d’apprendre par le tribun légionnaire Lentulus, seul survivant de la défaite de Cannes, la victoire d’Annibal et la mort de Paul-Emile et de Varron.

À ce moment, le grand pontife annonce au peuple que l’oracle a parlé. Une vestale est coupable. Si son déshonneur n’est pas châtié, Rome est perdue. Lentulus se trouble en entendant la sentence des dieux, et le grand pontife s’aperçoit de son émotion.

Au second acte, nous sommes dans l’atrium du temple de Vesta. Le grand pontife cherche à découvrir la Vestale flétrie qui devra, pour apaiser la colère divine, être ensevelie vivante. Il soupçonne Lentulus dont une vestale, Junia, est la sœur, d’être le complice de la coupable inconnue et brusquement il annonce à la jeune fille la mort de son frère. À cette fausse nouvelle, une autre vestale, Fausta, que Fabius chérit comme sa fille, chancelle et s’évanouit.

Au troisième acte, Fausta est encore libre, mais elle est soupçonnée et près d’être traduite devant le tribunal sacré. Un esclave gaulois, désirant assurer la défaite des Romains en empêchant l’expiation du crime de la Vestale, facilite sa fuite avec Lentulus. Après avoir hésité, Fausta, effrayée par l’horreur du supplice, se laisse entraîner.

Main au quatrième acte, elle revient volontairement se livrer au châtiment suprême. Elle accourt devant le Sénat, où Fabius pleure le déshonneur de sa maison, pour avouer son crime et se déclarer prête à recevoir la mort pour le salut de la patrie. Posthumia, sa vieille mère aveugle, supplie en vain les sénateurs, mais quand la condamnation est prononcée, Fabius lui remet un poignard qu’elle portera à sa fille pour que Fausta puisse se tuer avant d’être ensevelie dans le tombeau.

Au cinquième acte, Lentulus veut délivrer Fausta, mais la vestale le repousse. Elle est désormais tout à Vesta, tout à l’expiation qui doit sauver Rome. À ce moment, survient Posthumia qui tend à sa fille le poignard libérateur et comme Fausta, dont les mains sont liées, ne peut s’en servir, l’aveugle doit, frapper elle-même la vestale pour lui éviter l’atroce supplice.

Le drame finit là, et il importe peu aux spectateurs, par un anachronisme un peu fort, que Scipion apparaisse ensuite au fond du théâtre pour célébrer le triomphe d’une victoire aussi rapide qu’invraisemblable.

Sur ce sujet sévère, M. Massenet a écrit une partition dont le principal mérite est d’être d’une grande noblesse de lignes et d’une grande pureté de style.

Laissant de côté les habituels agréments d’une inspiration plus voluptueuse et plus passionnée que tragique, le compositeur de « Manon » a complètement transformé sa manière.

Il a tracé à grands traits le plan de son édifice musical et s’est efforcé d’obtenir ses effets par la simplicité du dessin et la sobriété des couleurs.

Cette nouvelle méthode surprend et déroute un peu de la part de cet orfèvre de l’harmonie qui nous avait habitués aux riches ornementations de son travail.

Mais il est certain que l’œuvre y gagne en grandeur et en beauté. L’ouverture symphonique est certainement l’une des meilleures pages du maître. Les thèmes principaux de la partition y sont habilement exposés et savamment combinés.

Au premier acte, les exhortations de Fabius au peuple, et le récit de la mort de Paul-Emile par Lentulus, appuyés sur la messe chorale qui ne cesse de les soutenir sont écrits dans un style large et grave.

Le second acte est tout de grâce et de sensibilité avec le charmant épisode des aveux de Junia la Vestale ingénue. L’évanouissement de Fausta, qui le termine, produit un grand effet par la simplicité même de la scène musicale qui le prépare.

Le troisième acte est celui qui a décidé du succès de la soirée. Après la chanson de l’esclave gaulois, dont je n’aime guère la brutalité un peu conventionnelle, nous avons retrouvé dans l’invocation de Lentulus, au « soir admirable », et surtout dans le duo plein de passion et de chaleur des deux amants qui vont s’enfuir, le Massenet des meilleurs jours.

Au quatrième acte nous : revenons au style sévère du premier acte, mais par contre il contient deux scènes tragiques d’un grand effet scénique, celles des aveux de Fausta et des supplications de Posthumia.

Le dernier acte contient la page musicale, à mon avis, la plus parfaite de l’œuvre. C’est la scène dans laquelle Fausta, résignée à la mort, invoque Vesta et repousse le secours de Lentulus.

Je n’aime pas le chœur dans l’obscurité qui précède cet acte, ni l’inutile défilé militaire qui le termine.

L’accueil fait « Roma » a été des plus chaleureux. C’est une œuvre d’une très belle tenue et d’une grande pureté d’écriture. Elle est évidemment inspirée des traditions classiques des opéras de Gluck et de Rameau, et si je devais la rapprocher d’un opéra contemporain, c’est avec « Déjanire » que j’aimerais à la mettre en balance.

L’interprétation de « Roma » a contribué dans une large mesure à son éclatant succès.

L’orchestre et les chœurs, sous l’habile direction de M. Jehin, ont exécuté la partition avec une perfection dans laquelle il n’y a rien à reprendre. Les plus petits rôles étaient tenus par des artistes de valeur. Quant aux premiers rôles, il suffit de citer Mmes Kousnezoff, Arbelle et Guiraudon, et MM. Delmas, Muratore, Noté et Clauzure pour se rendre compte de l’incomparable qualité de l’ensemble artistique qu’ils représentaient.

M. Clauzure a chanté de sa belle et sûre voix de basse le rôle solennel du grand pontife. Quant au rôle de l’esclave gaulois, il semble qu’il ait été écrit spécialement pour mettre en valeur le généreux et chaud organe de Noté.

Muratore a chanté, un peu nerveusement peut-être, mais avec une ampleur superbe le rôle de Lentulus. Il a été plein de chaleur dans le duo, il a dit avec beaucoup d’expression, le récit de la mort de Paul-Emile et déclamé dans un style qui lui a valu une chaude ovation la superbe invocation au « soir admirable ».

Le rôle de Delmas, sauf au troisième acte, tient tout le temps la scène ; il a fallu toute l’autorité et toute la puissance de cet excellent artiste pour en supporter la charge écrasante. Sa diction parfaite nous a permis de ne pas perdre un mot de ses récitatifs. Il a joué avec beaucoup de noblesse et d’émotion la grande scène des aveux de Fausta.

Mme Guiraudon a obtenu un vif et mérité succès dans le rôle trop court de Junia dont elle a détaillé avec un art exquis le récit ingénu. Nous avons de trop rares occasions d’entendre cette parfaite cantatrice à la voix si pure et à la méthode si parfaite. Il est impossible de traduire avec plus de délicatesse cette page charmante. Mlle Arbell a joué avec une violence dramatique impressionnante le rôle de l’aveugle Posthumia, qui ne prête pas beaucoup aux effets musicaux. Sa grande scène d’imprécations, au quatrième acte, et son entrée au tombeau, au dernier acte, ont été particulièrement remarquées. J’ai gardé pour la fin Mme Kousnezoff, qui a fait de la vestale Fausta une création admirable.

Toutes les éminentes qualités de cette artiste si grande et si complète ont été par elle mises en valeur dans un rôle qui, à la lecture de la partition, semble plutôt effacé.

Elle apparaît pour la première fois au début du deuxième acte et reste en scène sans dire un mot jusqu’à la fin, au moment où elle s’évanouit en apprenant la mort de Lentulus. Mais par la noblesse de ses attitudes, par l’émotion que trahissent les expressions fugitives de son visage et de son regard, elle participe si étroitement à toute l’action tragique que lorsqu’elle tombe à la renverse, dans les bras de ses compagnes, son évanouissement produit l’un des effets dramatiques les plus saisissants que j’aie jamais vus au théâtre.

Le troisième acte lui a valu une ovation de toute la salle. Elle a admirablement traduit les révoltes de la fière Romaine qui se refuse d’abord à la lâcheté de la fuite, et les faiblesses de la femme que domine enfin la terreur du tombeau où l’on doit l’ensevelir vivante.

Son admirable voix, si claire et si pure, a enlevé dans un mouvement splendide le duo passionné qui termine l’acte. Comme l’a si bien dit l’un de nos maîtres de la critique, il semble alors qu’elle chante avec de la lumière.

La grande scène des aveux du quatrième acte lui a valu un nouveau triomphe dû, cette fois, à la beauté de ses attitudes et à l’expression de son jeu tragique, comme à l’éclat brillant de sa voix dans l’hymne d’allégresse, malheureusement trop court, à mon gré, où elle se déclare prête à marcher fièrement à la mort. Les yeux, l’oreille et l’esprit sont à la fois satisfaits par une composition artistique sans défaut, dans laquelle aucun détail n’est négligé.

Enfin, au dernier acte, elle a dit, dans un style d’une perfection absolue, l’air si noble et si classique de l’invocation à Vesta repris à pleine voix par un ensemble choral qu’elle dominait aisément de la pureté de ses notes hautes.

La création de « Roma » classe définitivement Maria Kousnezoff comme la plus parfaite cantatrice de notre temps. C’est un fait que j’ai prévu depuis longtemps, que le public de Monte-Carlo vient d’enregistrer et que celui de Paris ratifiera bientôt.

Quand j’aurai ajouté que les décors sont fort beaux et la mise en scène à la hauteur de la réputation du théâtre de Monte-Carlo, il ne me restera plus qu’à dire que M. Massenet a dû saluer du haut de la loge princière les spectateurs qui l’acclamaient et le réclamaient.

Marcel Habert.

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Composer, Pianist

Jules MASSENET

(1842 - 1912)

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