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Roma de Massenet

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Premières et reprises par Camille Le Senne

Opéra : Roma, opéra tragique, en 5 actes, de M. Henri Cain, musique de M. Massenet.

Le poème de la nouvelle, partition du maître Massenet, qui vient de remporter à l’Opéra un triomphe éclatant, est tiré de la Rome vaincue du regretté Alexandre Paridi [sic], tragédie en 5 actes, suivant la coupe classique, non moins acclamée à la Comédie-Française en septembre 1876.

Destinée singulière celle de ce Génois d’origine, né en Crète et qui figurera en bonne place parmi les tragiques français de la fin du dix-neuvième siècle. Il éprouvait quelque embarras à manier notre langue et ce malaise se traduit dans son œuvre par des gaucheries, des lourdeurs, des rudesses comme en présente le répertoire de Corneille, provincial jamais complètement parisianisé. Mais justement il avait l’âme cornélienne ; il unissait le culte des sentiments héroïques à un sens particulier des grandes ordonnances dramatiques ; il avait un idéal très noble et la plus noble façon de l’évoquer.

Ce cornélianisme résurgi impressionna vivement un public encore sous le coup des désastres de l’année terrible. Il répond, trente-six ans plus tard, à un réveil analogue de l’esprit national sous le coup d’excitations venues du dehors. M. Massenet, dans tout l’épanouissement de la gloire et voulant donner un pendant au Cid qui marque une des plus belles étapes de sa carrière, ne pouvait mieux choisir que ce poème, dont chaque vers exalte l’héroïsme civique. Avec l’adroite collaboration de M. Henri Cain, il en a pour ainsi dire extrait tous les thèmes patriotiques et chevaleresques, et non seulement il en a fait la traduction musicale, mais il les a transformés, magnifiés : il a donné à l’inspiration de Parodi la seule chose qui lui manquait : le grand envol lyrique. La partition garde la marque du compositeur, le caractère mélodique, mais la déclamation y prend une importance exceptionnelle ; les thèmes sont développés avec une impressionnante simplicité et en même temps avec un relief qui leur permet de servir d’armature à la pièce. L’orchestration est également d’une sobre robustesse et, comme on l’a très bien observé, le musicien obtient du quatuor à cordes, employé à tous ses registres, des eflets forts, pleins et délicieux. Enfin, les chœurs ne restent pas en marge de l’action mais y jouent le rôle d’un élément essentiel : le peuple romain, la foule.

L’ouverture expose avec une énergique sobriété les motifs qui vont être l’âme du drame : la gloire, l’amour, le dévouement à la patrie, le respect des ancêtres, le culte des dieux de la cité. Puis l’action s’engage en plein drame. Le premier décor représente un carrefour de la Rome antique (nous sommes en l’an 216 avant l’ère chrétienne). Le peuple assemblé devant la porte de la Curia Hostilia où siégeait alors le Sénat commente les mauvaises nouvelles apportées du dehors. Les légions ont été écrasées à Cannes par l’armée d’Hannibal ; le consul est mort ; seul, le tribun Lentulus a échappé au massacre. Il vient prononcer l’oraison funèbre de ses compagnons disparus : l’ennemi s’approche et il semble que les dieux eux-mêmes abandonnent la cité. Le feu sacré s’est éteint dans le temple de Vesta ; une des prêtresses aura transgressé le vœu de chasteté.

Lentulus se trouble ; en effet, il a séduit une des Vestales, Fausta, la petite-fille de la vénérable Posthumia et la nièce de Fabius. Son angoisse complète l’ambiance terrifiée du final de cette exposition tragique : elle fait un saisissant contraste avec la subtilité sournoise du grand-prêtre Lucius qui veut découvrir la criminelle – car l’oracle Capitolin a prononcé que son châtiment seul sauterait la ville – avec le glorieux appel aux armes de Fabius qui adjure les citoyens d’affranchir leurs esclaves pour les enrôler. Et ces sentiments divers, lamentations de la foule, alarmes de Lentulus, honneurs rendus à la dépouille de Paul-Emile, objurgations de Fabius, inspirent au musicien une suite de pages de la plus grandiose simplicité sur lesquelles plane, léger, aérien, le motif d’amour.

Au second acte, Lucius, assisté de Fabius, interroge les Vestales dans l’atrium du temple. Aucune n’avoue le sacrilège. Seule, une novice, Junia, la sœur de Lentulus, s’accuse d’avoir eu en rêve une vision amoureuse. Le pontife sourit de son innocence et la rassure. Mais les dieux veulent une victime ; elle est surtout nécessaire pour rendre du cœur au peuple démoralisé. Lucius, qui a observé le trouble du tribun, s’avise d’annoncer à Junia la fausse nouvelle de la mort de son frère. Fausta s’évanouit, dénonçant ainsi sa faute. « Que faut-il faire ? » demande le grand-prêtre à Fabius. « Votre devoir », répond l’émule de Brutus.

Ce deuxième acte tout entier garde une tenue rituelle, soulignée par la phrase de Lucius : « Vesta, c’est la patrie », mais au milieu du tableau passe le délicieux intermède du songe de Junia. La transition avec l’acte suivant est poétiquement établie, grâce au prélude où chantent des motifs mélodiques annonçant le grand duo d’amour de Lentulus et de Fausta. Le tribun a pu pénétrer dans le bois sacré (où les prêtresses se livrent aux incantations magiques) grâce à un captif gaulois. Vestapor hait le joug de l’étranger et ne veut pas que la Vestale meure, car son châtiment sauverait Rome. Il a ouvert la porte de fer d’un acqueduc abandonné qui conduit dans la campagne ; il décide Fausta à fuir avec Lentulus, bien qu’un réveil de l’âme de Fabius lui suggère la pensée généreuse d’être une victime expiatoire. Et, musicalement, l’acte tout entier est un conflit cornélien entre la passion et le devoir, avec le coup d’aile de l’hymne d’amour où le couple voué aux aboutissements tragiques épuise pendant quelques minutes d’émotion supérieure l’ivresse des grandes extases.

Le quatrième acte nous conduit au Sénat : c’est la séance du jugement de Fausta, qui est revenue se livrer. Elle ne se repent pas de sa faute ; même elle en est fière ; ce qui lui paraîtrait criminel, ce serait de survivre à la patrie. Elle peut sauver Rome en se livrant aux bourreaux ; d’ailleurs c’est Fabius lui-même qui prononce à la fois son absolution et son arrêt : « Sois pardonnée si tu sais mourir en Romaine. » La sentence de mort est prononcée par les sénateurs suivant le rite, pollice verso ; on revêt Fausta du voile de deuil. Elle est résignée ; mais voici Posthumia, l’aveugle, qui s’est fait conduire dans la salle. En vain conjure-t-elle les sénateurs de faire grâce, puis maudit-elle leur cruauté fanatique (tel le lamento d’Amnéris après la mise en jugement de Rhadamès). Ils restent impitoyables. Fabius s’approche alors de l’aïeule et glisse dans sa main un poignard ; il ne faut pas que Fausta subisse les affres de l’épouvantable agonie dans le caveau où elle doit être enfermée vivante.

Après cette suite de grandes scènes, d’une coupe classique, vient le dénouement au Champ scélérat, le lieu des expiations, devant le sépulcre où les serviteurs du temple viennent de descendre une jarre de lait et la moitié d’un pain. Un entr’acte vocal, le chœur célébrant Vesta, perdu dans le lointain, précède les pathétiques adieux de Fausta et Lentulus, le cérémonial des apprêts du supplice, l’arrivée de Posthumia, dont les doigts crispés serrent le poignard sous les voiles de deuil. Fausta a les mains liées : c’est l’aveugle qui frappera après avoir cherché à tâtons la place du cœur. Fausta expire ; le Grand-Prêtre ordonne qu’on rende le cadavre à la terre.

Du sommeil de la mort par sa mère endormi,

Que l’enfant de Vesta pour toujours disparaisse !

Les dieux sont apaisés ; aux accents déchirants des adieux succède la sonnerie triomphale des buccins annonçant la défaite d’Hannibal ; et la partition épanouit son finale dans une ode à la gloire de Rome maîtresse des nations.

Cet opéra vraiment tragique, où M. Massenet a réalisé avec une extraordinaire sûreté son dessein d’incorporer étroitement le drame musical au poème cornélien, a l’interprétation de grand style qui peut seule la mettre en pleine valeur : Mme Lucy Arbell, d’une impressionnante grandeur dans le rôle de Posthumia, Mme Kousnetzoff, admirable tragédienne lyrique, d’une voix chaude et prenante, d’un jeu éminemment personnel, Mlle Campredon, très applaudie après le récit du songe de Junia, M. Muratore, héroïque Lentulus, M. Delmas, majestueux Fabius, Mlle Germaine Le Senne, imposante Grande-Vestale, M. Journet (le Pontife), comédien et chanteur également remarquable, M. Noté, Vestapor à l’organe métallique, au jeu rude. M. Paul Vidal conduit l’orchestre avec son habituelle maîtrise. Les décors et les costumes bien harmonisés complètent l’ambiance du plus noble et du plus émouvant spectacle qu’on ait représenté à l’Opéra depuis le cycle Gluckiste.

Camille Le Senne.

Related persons

Composer, Pianist

Jules MASSENET

(1842 - 1912)

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Jules MASSENET

/

Henri CAIN

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