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Les premières. La pièce / La musique. Roma

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Le Théâtre 
Les premières
THÉÂTRE NATIONAL DE L’OPÉRA
« Roma », opéra tragique en cinq actes, paroles de M. Cain, d’après la tragédie de M. Alexandre Parodi, musique de M. Massenet

LA PIÈCE

Une fois de plus, le maître de Werther et de Manon a voulu manifester la diversité de son prestigieux talent ; une fois de plus aussi il a tenu à démontrer à quel point le choix d’un collaborateur lui était indifférent et à prouver que son seul génie était éminemment créateur puisqu’il faisait quelque chose de rien. Tout cela, une fois de plus, l’éclatant succès personnel du compositeur de Roma l’a révélé ce soir. Après m’être longtemps étonné du peu d’estime que montrait M. Massenet pour la littérature de son temps, j’ai fini par comprendre quelles raisons judicieuses guidaient le maître illustre dans le choix de ses collaborations. Qu’ajouterait en effet la musique d’un maître, quel qu’il soit, à la somptueuse richesse verbale d’un Verhaeren ou à la délicate préciosité d’un Samain ? tandis qu’elle ne pouvait que parer des mille grâces qui lui sont propres l’hyperboréenne froideur de feu Parodi.

Nous sommes en l’an 216. Hannibal semble avoir frappé au cœur la puissance romaine et Rome cherche en soi-même la cause de ses désastres. Couvert de sang, Lentulus vient annoncer que seul il survit aux siens ; il nous raconte même le songe inséparable de toute tragédie : Paul Emile, spectre désolé, s’est montré à lui, nimbé de rayons, quoique le nimbe n’apparaisse pas dans l’iconographie romaine avant le IVe siècle de notre ère. Ce Lentulus est ignorant comme un librettiste. Cependant, le grand pontife annonce que l’oracle a parlé : le feu de Vesta éteint par la faute de l’une des prêtresses, telle est la cause des malheurs de Rome. Ô la Vestale de Spontini ! Ô les tragédies de Luce de Lancival ! Baour-Lormian ! Baculard d’Arnaud ! D’ailleurs un admirable décor de Simas.

L’atrium du temple de Vesta. Le grand pontife a ouvert l’enquête nécessaire ; Fausta, nièce de Fabius, est véhémentement soupçonnée. Que faut-il faire ? demande à Fabius le grand pontife qui craint de commettre la forte gaffe. – Votre devoir. Ce mot, dans cette pièce romaine, éveille fâcheusement des souvenirs de thème latin… Le bois sacré. Entre un Gaulois. À la façon dont il entonne à propos de rien « un air de victoire et de haine », il n’y a pas à douter que ce gaillard-là qui est de Gaule n’arrive de Toulouse. Et le livret un peu naïf ajoute que « d’abord il maîtrise sa voix qui pourrait le trahir ». Évidemment ; après quoi, pour se rattraper, il gueule tant qu’il peut. D’ailleurs, il sait la culpabilité de Fausta, mais il ne la dévoilera pas : Fausta impunie, c’est Vesta sans vengeance et par suite c’est Rome perdue. Il sauvera donc la coupable, et, quand paraît le grand Pontife, il a facilité la fuite des amants par un souterrain dont il jette la clé dans un puits. Ce souterrain ! O les romans de Mme Riccoboni ! O ceux de Mme Anne Rattcliffe ! Encore un très beau décor.

La Curia Hostilia. Fausta a avoué sa faute et le Sénat a prononcé son arrêt de mort. Fabius, pitoyable, ne fait grâce pourtant à Fausta que de la longue torture de la faim. La vieille Posthumia, aïeule aveugle, lui remettra l’arme du suicide. Très remarquable mise en scène ; Paul Stuart étant régisseur, comme dit l’épigraphie romaine. Décors, groupement et mimique de la figuration et des personnages, il y a un monde entre ce qui se fait ici grâce au goût artistique de deux directeurs éclairés et ce qui se perpétrait sous les infâmes directions précédentes… Le champ scélérat : Lentulus accourt réclamer la mort. Posthumia, aveugle, poignarde Fausta. Et l’on se rappelle Sarah, admirable, dont la diction frappait comme autant de médailles d’un airain sonore quelques vers qui parfois, d’ailleurs, n’avaient de sens dans aucune langue. Coup de foudre. Puis le ciel se rassérène ; apparition des aigles ; Scipion est vainqueur. Cette fin est d’un arrangement fort adroit. Tant qu’il ne s’agit pas de littérature, n’est-ce pas…

Il ne m’appartient pas de dire les innombrables beautés de cette œuvre. Mais je songe que le temps qui lui a été consacré nous a privés peut-être d’une nouvelle Manon ou d’un nouveau Werther. Je ne m’en console qu’en pensant à la reprise promise d’Esclarmonde, poème de Gramont. Oui, ce jour-là, M. Massenet collabora avec un poète.

Eugène Morand.

 

LA MUSIQUE

Le nom de Massenet évoque en moi les souvenirs les plus doux, les impressions les plus exquises, car sa musique a parfumé mes premières aspirations vers l’amour, au printemps de ma vie… Mon cœur est encore plein de ces mélodies empreintes d’une mélancolie adorable qui ont fait couler tant de larmes consolantes, tant de larmes sincères, dont la tristesse semblait éclairée toutefois par des rayons de lumière, telle une ondée matinale dorée par un soleil d’avril.

En écoutant la nouvelle partition du compositeur de Manon, je dois confesser à mes lecteurs que je cède à une très tendre reconnaissance, et à une admiration sans bornes pour le grand maître français et que je me sens incapable d’employer ici ce fatras de vieux clichés esthétiques, fait d’outrecuidance grotesque, de prétention comique, de pédanterie ennuyeuse, de parti-pris bilieux… qui forment le bagage professionnel des vampires anatomistes, c’est-à-dire des critiques que nous sommes. O homme, connais-toi toi-même !

La partition de Roma débute par une ouverture de grande envergure, qui révèle la maîtrise orchestrale incomparable de M. Massenet. Elle exprime toute la puissance du peuple romain, une puissance sereine et profonde, sans emphase et sans gestes vains.

Le premier acte est d’un caractère grave et d’une couleur musicale qui s’harmonisent admirablement avec l’époque et le décor. Les chœurs sont superbes. Au deuxième acte, remarqué particulièrement le chant de Junia, une mélodie dans laquelle Massenet exprime le trouble virginal d’une jeune fille après son premier rêve d’amour, avec une délicatesse, un raffinement, une subtilité qui prouvent la force divine de la musique pour traduire les mystères illogiques du cœur humain. M. Massenet, plus que tout autre, nous fait communier ainsi à l’autel de l’âme féminine.

Un prélude me charme au troisième acte, alors que la flûte (dont joue admirablement M. Gaubert) soupire délicieusement un chant très pur se mariant avec la harpe et le quatuor très estompé. La grande scène de Posthumia est d’une déclamation admirable.

Autour de moi on parlait de Gluck. Des musicographes, évidemment… Les musicographes dont, en général, la santé intellectuelle n’est pas très robuste, se raccrochent à n’importe quoi plutôt que de supporter la fatigue de penser par eux-mêmes ; ils adorent les comparaisons. Non, en effet, Roma ce n’est pas du Gluck, c’est du beau Massenet… pour celui qui juge et sait entendre la musique avec ses oreilles et non avec ses yeux.

Les belles pages se succèdent dans cette œuvre qui est faite de sincérité et de noblesse et qui est digne du plus grand musicien de théâtre qui existe en Europe aujourd’hui.

Mlle Kousnezoff est un peu sacrifiée dans le rôle de Fausta qui ne lui permet pas de faire admirer tous les joyaux de son écrin vocal, mais elle en tire un parti considérable par la force de sa personnalité géniale et sa voix semble la matérialisation d’un rêve de Maeterlinck. Elle transporte le public et déchaîne son enthousiasme.

Mme Lucy Alrbell na jamais paru plus à son avantage que dans le rôle de Posthumia. Elle fait preuve d’une grande intensité dramatique.

Mlle Campredon possède la plus jolie des voix ; elle s’est fait longuement applaudir dans le chant de Junia.

Mlle Courbières est une Galla de charme délicat, en pleine possession de ses moyens.

M. Muratore est très noble dans le rôle de Lentulus ; il a obtenu auprès du public le succès le plus sincère et spontané.

M. Delmas est l’incarnation même – comme voix et comme gestes – d’un grand magistrat romain.

M. Noté, l’esclave gaulois, rythme son rôle d’une façon superbe ; son organe magnifique est le symbole sonore de la vaillance et de la virilité.

M. Journet, dont la voix de basse est si nettement posée, si sympathique, complète une distribution qui fait honneur à l’Academie Nationale de Musique.

M. Vidal, très maître de la partition, conduit admirablement.

L’œuvre a été acclamée par une salle enthousiaste.

Rome triomphe encore chez les Gaulois.

Pour terminer, je veux rendre justice à MM. Messager et Broussan, pour le beau cadre qu’ils ont donné à Roma.

Nous sommes en présence d’une vraie mise en scène qui convient à un théâtre lyrique et n’est pas faite seulement de petits détails insignifiants, de passades puériles au dernier plan, mais où tous les mouvements scéniques sont réglés scrupuleusement sur le mouvement et le caractère de la musique.

C’est une des plus belles réalisations qu’il m’a été donné de voir, à l’Opéra, depuis de nombreuses années.

Isidore de Lara.

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Librettist, Journalist

Eugène MORAND

(1853 - 1930)

Composer, Singer

Isidore DE LARA

(1858 - 1935)

Composer, Pianist

Jules MASSENET

(1842 - 1912)

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