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Chronique musicale. Roma

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CHRONIQUE MUSICALE
À l’Opéra : Le Cobzar ; Roma. – À la Gaîté-Lyrique : Naïl ; Grandes saisons.

Au seuil de sa soixante-dixième année, M. Massenet soutient encore l’effort d’une production, dont la qualité peut-être n’est pas toujours supérieure, mais dont il serait injuste de ne pas admirer la régularité comme la variété. L’échec assez rude de Bacchus n’a pas plus abattu son courage, que celui d’Attila ne ternit la gloire de Corneille. Après cette rhapsodie de cosmogonie érotique, M. Massenet nous a donné un léger opéra-comique, Don Quichotte, où il y a des pages charmantes et des traits spirituels. Et tout d’un coup, le voici qui nous donne par contraste, avec Roma[1], une œuvre froide, volontairement solennelle, digne, austère et nue. Un artiste qui, dans un âge où tant d’autres ont perdu la souplesse de leur main et l’élasticité de leur esprit, passe encore avec cette aisance du « plaisant au sévère », celui-là est un ouvrier d’une adresse singulière.

Le livret dont M. Massenet s’est servi pour composer Roma n’est pas autre chose que Rome vaincue de feu Alexandre Parodi, adaptée à ce nouvel emploi par M. Henri Cain. Rome vaincue est, si j’ose dire, le type de là tragédie en « bronze imitation ». Elle propose à l’émotion du public, lequel d’ailleurs s’y laisse prendre, des situations qui seraient tragiques en effet, si la moindre réflexion n’en montrait la parfaite invraisemblance, et des conflits de sentiments qui ont pour seul tort d’être impossibles. Jugez-en plutôt : Rome va succomber devant Annibal ; l’ennemi arrive aux portes de la ville. Vous croyez peut-être que cette défaite a pour cause l’excellence des troupes carthaginoises et la faiblesse des armées romaines ? Point : tout le mal vient, à ce que dit un oracle, de ce qu’une vestale a connu l’amour d’un officier. Voilà un grand effet pour une petite cause et cette aventure évoque la Vestale de moins près que la Mascotte

Un pontife s’ingère de découvrir la coupable, au moyen d’un simple interrogatoire. Une vestale s’accuse, croyant être parjure à ses vœux pour avoir rêvé et poussé des soupirs, dans le jardin de son couvent, auprès d’une statue qui représente l’Amour avec son carquois. Cet épisode, qui veut être aimable et innocent, ne sait pas l’être sans un peu de niaiserie : car enfin, pour que cette vestale trop scrupuleuse ait écouté, comme dirait (sur un autre ton) M. René Boylesve, la leçon d’amour dans un parc, il fallait qu’une statue de l’Arnour décorât le parc des vestales. Voilà un étrange ornement pour un lieu pareil : je me rappelle ici la Fille de Mme Angot :

Non, jamais, les portes closes,
Non, jamais on ne saura.
Ce qu’on apprenait de choses
Dans cette pension-là !

La vraie coupable se trahit par un cri et des vapeurs en apprenant la mort – bientôt démentie – de celui qu’elle aime. Dès lors, elle est vouée à une mort affreuse ; la faim et la soif, dans un cachot noir, car seule sa mort pourra conjurer le mauvais sort que sa faute attira sur Rome. Fort de cette superstition, un esclave gaulois prépare la fuite des coupables, en exhalant contre Rome une haine qui, en l’an 216 avant Jésus-Christ, peut paraître un peu prématurée… Mais, pour sauver ceux que son tendre crime a perdus, la coupable Fausta veut s’offrir au supplice : et pour ce faire elle va se confesser à son père adoptif en pleine séance du Sénat. Et l’on a le droit d’estimer que, pour ouvrir ainsi à la première délinquante venue la porte de son enceinte, le Sénat romain est une assemblée mal gardée. D’autant que cinq minutes plus tard, Fausta est rejointe, devant la curie, par sa grand’mère, l’aveugle Posthumia, laquelle se traîne devant les sénateurs pour leur demander, mais en vain, la grâce de la vestale. Pourquoi cette grand’mère est-elle atteinte de cécité ? On l’apprend au dernier acte et par un dernier geste pour lequel toute la tragédie a été faite. Fausta va donc être enfermée vivante dans la tombe : rien ne peut désormais la sauver ; sa grand’mère lui apporte un poignard, qui du moins lui épargnera les affres d’une longue agonie. Mais la condamnée a les mains liées ; alors l’aveugle cherche à tâtons le cœur de la jeune fille, et y plonge elle-même l’arme libératrice. Fausta tombe morte et, incontinent, les armées romaines rentrent, victorieuses sans avoir eu, par parenthèse, le temps de combattre. Voilà pour quel gros effet de mélodrame on a, durant cinq actes, bouleversé le bon sens avec l’histoire romaine...

La musique a le pouvoir d’embellir les sujets les plus faibles, les plus médiocres tragédies. M. Massenet ne s’est point laissé rebuter par l’incohérence ni l’artifice de celle-ci. Il n’a sans doute voulu voir que les sentiments élevés qu’elle a l’air de mettre en jeu : l’amour de la patrie, le respect des lois, et les conflits qu’elle feint de multiplier entre les personnages, ou même dans le cœur de chacun d’eux. Il semble avoir pris Roma pour sujet d’une sorte d’oratorio civique. L’effort qu’il a fait pour donner ce caractère à son ouvrage est manifeste et méritoire. On dirait qu’avant de se mettre à la besogne, M. Massenet a relu Haendel : le « thème de Vesta », qui reparaît souvent dans la partition, a pris manifestement pour modèle ces phrases larges, calmés et dignes, que l’on rencontre souvent dans les andante de Haendel. Les déplorations du peuple romain, au premier acte, veulent aussi remonter jusqu’aux chœurs de Haendel : seulement, ils s’arrêtent en chemin aux chœurs de Samson et Dalila qu’ils rappellent d’assez près. Ce sont également les enthousiasmes de Samson qu’évoque la phrase à quatre temps, dans le ton nu d’ut majeur, que chante Fausta pour s’offrir au supplice qu’elle a encouru. Lors même que, dans Roma, il est question d’amour, M. Massenet paraît avoir imposé une retenue exceptionnelle aux langueurs coutumières de sa muse voluptueuse. C’est que l’amour d’une vestale doit rester chaste jusque dans la faute, c’est que l’amour d’une Romaine doit être toujours prêt à s’immoler pro aris et focis, c’est qu’un Romain comme Lentulus reste avant tout tribun, jusque dans les ardeurs de la passion. Ce parti pris d’austérité évite à la partition de Roma ces épanchements faciles et vulgaires qui tachaient parfois les œuvres de M. Massenet, et qui, dans Bacchus, avaient semblé insupportables. Mais il lui impose, il faut le dire, une froideur qui, pour être calculée, n’en devient pas plus aimable. Le puritanisme n’est point naturel à l’auteur de Marie-Magdeleine et de Thaïs.

Un épisode permettait à M. Massenet de reprendre ses avantages, et il n’y a point manqué : c’est la confession de la vestale innocente, qui se croit maudite pour avoir seulement rêvé à l’amour. M. Massenet a fait de cela un petit nocturne idyllique, où la flûte et la voix murmurent doucement, et dont la sobre délicatesse a charmé tout chacun... On ne pouvait attendre que. M. Massenet trouvât des accents aussi agréables pour chanter les débats parlementaires du Sénat romain, au quatrième acte.

Dès le principe, M. Massenet avait cherché à résumer les éléments et les caractères du drame dans une ouverture de forme romantique : il n’y est parvenu qu’à demi. Ce genre d’ouverture demande un plan net et un développement serré : M. Massenet s’est borné à un rapide pot-pourri, à une sorte de hâtive improvisation rhapsodique, terminée par une coda un peu tapageuse, et où les thèmes sont juxtaposés mais non déduits.

L’Opéra donne de Roma une interprétation brillante. Sans doute Mlle Arbell tient le rôle de l’aveugle d’une façon à laisser supposer qu’elle serait supportable seulement dans celui d’une muette, mais Mme Kousnezoff prête à la vestale coupable les attraits d’une beauté charmante, d’une grâce exquise et d’une voix fort brillante dans le registre élevé. Mlle Campredon chante avec pureté la confession de la vestale innocente. M. Muratore, dans le rôle de Lentulus, bouillonne d’une véhémence que ne trahissent point les forces de sa voix. MM. Delmas et Journet montrent beaucoup de majestueuse autorité et M. Noté donne une force remarquable aux imprécations de l’esclave gaulois.

[1] Paris, Au Ménestrel.

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Composer, Pianist

Jules MASSENET

(1842 - 1912)

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