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Thaïs à l'Opéra. Avant la première

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Thaïs à l’Opéra
AVANT LA PREMIÈRE

C’est cette semaine que l’œuvre exquise d’Anatole France, Thaïs, mise en musique par le maître Massenet, doit apparaître sur la scène de l’Opéra.

Quel accueil le public fera-t-il à cette nouvelle production artistique ?

Les prévisions de ce genre sont trompeuses bien souvent ; il est donc inutile d’en faire. Mais ce qu’on peut affirmer c’est qu’aucun sujet ne pouvait mieux convenir au genre particulier de l’auteur d’Hérodiade.

Encore que le roman de M. A. France vaille surtout par le charme du détail, écrit dans une langue merveilleuse, encore que le doux scepticisme de Nicias semble dominer l’œuvre, il passe à travers toutes ces pages un souffle d’hystérisme religieux et amoureux que nul ne pouvait traduire mieux que celui qui a écrit Manon et Madeleine.

Aussi montre-t-on, parmi le haut personnel de l’Académie nationale de musique, une assez grande confiance dans l’œuvre de demain.

Notez que je n’ai point encore prononcé le mot d’« opéra » à propos de cette Thaïs.

« Ce n’est en effet, nous dit M. Gailhard, que nous avons eu le plaisir de voir hier, ni un opéra, ni un opéra comique, ni un drame lyrique dans le sens que l’on a donné dans ces derniers temps à cette expression. C’est en quelque sorte une formule d’art nouveau, qui tient de tout cela à la fois. Si par moments M. Massenet s’élève aux hauteurs les plus sereines, les plus sublimes de l’opéra proprement dit, il voisine parfois à l’opéra bouffe, à la féerie, le tout teinté d’un parisianisme délicat qui ne peut manquer de charmer, tout au moins, le public spécial de l’Opéra.

Mais, quelle que soit la valeur de l’œuvre au point de vue musical, ce qui est certain, c’est que les amateurs de beaux spectacles y trouveront leur compte, et que les yeux autant que les oreilles seront satisfaits. MM. Bertrand et Gailhard n’ont rien négligé pour cela, ils voudront bien me pardonner ces indiscrétions sur les merveilles qui nous sont réservées.

*

Trois actes et huit tableaux, telle est la coupure de Thaïs.

Nous sommes au premier tableau, en Thébaïde, sur les bords du Nil, où Athanaël (le Paphnuce débaptisé du Tomaze) « macère probablement dans les baumes de la pénitence après avoir autrefois bouilli dans la chaudière des délices charnels ».

C’est là que lui apparaît Thaïs, la femme courtisane d’Alexandrie, aux yeux de violettes « mollement couchée sur un lit de hyacinthes, la tête renversée, les yeux humides et pleins d’éclairs, les narines frémissantes, la bouche entrouverte, la poitrine en fleuret, les bras frais comme deux ruisseaux ».

Pour cette apparition d’un instant, la sosie de Mlle Sanderson ne sera pas une simple et froide statue, mais une des plus parfaites, des plus troublantes représentantes de l’art chorégraphique.

Mais c’est au tableau suivant, surtout que les lorgnettes sortiront de leurs étuis.

Mlle Sanderson, Thaïs, reine entre toutes les reines de beauté, apparaît dominant la mer, sur la terrasse de Nicias, ce parisien de l’antiquité, qui réunit en un souper au sortir du spectacle, la célèbre artiste et huit de ses camarades. Mais huit camarades à faire damner ce pauvre Pâris, s’il y avait une pomme à décerner. On ne devait pas s’ennuyer de ce temps-là à Alexandrie, car nous sommes à Alexandrie, j’oubliais de vous le dire.

Puis voici la grotte des Nymphes dans le palais de Thaïs, qui doit son nom à trois grandes figures de femmes, en cire colorée, qu’on rencontrait dès le seuil.

La lumière ne parvient dans cette retraite qu’à travers de minces nappes d’eau, qui l’adoucissent et l’irisent. Aux parois, des couronnes, des guirlandes, des tableaux célébrant la gloire de Thaïs. Au milieu, sur une stèle, se dresse un petit Eros d’ivoire, le sol est couvert de tapis de Byzance et de peaux de lions lybiques.

C’est là qu’Athanaël vient tenter d’enlever Thaïs à sa vie de plaisirs, aux jeunes viveurs d’Alexandrie, pour la donner à Dieu. Et le pire, c’est qu’il y réussit.

Au cinquième tableau, nous assistons sur une place devant le palais de Thaïs au sacrifice de toutes ses richesses. En un bûcher flambent, les lits, et les tentures épaisses, les tapis et les urnes de parfum, les lampes et tous les objets qui peuvent rappeler la vie de luxure de la courtisane. Et au moment où un esclave s’apprête à précipiter dans les flammes l’Eros d’ivoire de la grotte des Nymphes, Thaïs qui jusqu’à présent a assisté impassible au sacrifice, intervient. Elle veut le sauver au moins cet Amour qui lui rappelle de si doux souvenirs. Elle murmure à Athanaël une prière si tendre, si touchante, que je ne puis résister au désir de vous citer ici, non les vers de M. Louis Gallet, mais la prose de M. A. France :

« Mon père, demanda-t-elle, faut-il aussi le jeter dans les flammes ?... Considère que cet enfant est l’Amour et qu’il ne faut pas le traiter trop cruellement. Crois-moi : l’amour est une vertu, et si j’ai péché, ce n’est pas par lui, mon père, c’est contre lui. Jamais je ne regretterai ce qu’il m’a fait faire, et je pleure seulement ce que j’ai fait malgré sa défense. Il ne permet pas aux femmes de se donner aux hommes qui ne viennent point en son nom. Vois comme ce petit Eros est joli !... Un jour Nicias, qui m’aimait alors, me l’apporta en me disant : Il te parlera de moi. » Mais l’espiègle me parla d’un jeune homme que j’avais connu à Antioche, et ne me parla pas de Nicias. Assez de richesses ont péri sur ce bûcher mon père ! Conserve cet Eros et place-le dans quelque monastère. Ceux qui le verront tourneront leur cœur vers Dieu, car l’Amour sait naturellement s’élever aux célestes pensées. »

C’est sur ce thème que M. Massenet a écrit une des plus jolies pages de sa partition, que roucoule délicieusement Mlle Sanderson.

Athanaël ne veut rien entendre et l’Eros va rejoindre le reste !

Mais l’Amour se venge, car, tandis que Thaïs est réfugiée en un couvent à la limite du désert, Athanaël est au 8e tableau dans sa Thébaïde, en proie au supplice d’amour.

Il s’aperçoit que sa foi religieuse n’était qu’une passion inassouvie pour cette Thaïs qu’il a emmurée en un cloître. Et puis, en un pays de rêve, nous assistons à une nouvelle tentation de saint Antoine.

Ici se place le ballet aux couleurs chatoyantes, aux attitudes et aux costumes « suggestifs », pour me servir d’une expression moderne et peu académique.

Enfin survient une nouvelle apparition de Thaïs, mais cette fois expirante en son couvent.

Comme Fernand dans la Favorite, Athanaël cède à l’amour, il brave l’univers et Dieu, et court au dernier tableau dans la cellule de Thaïs pour la délivrer. Il est trop tard, elle se meurt.

« Dieu, le ciel, tout cela n’est rien. Il n’y a de vrai que la vie de la terre, et l’amour des êtres », lui dit-il. Mais elle ne l’entend pas, elle est morte. Elle monte au ciel en une apothéose enlevée par les séraphins, tandis que lui, les yeux brûlés de flammes, hideux et convulsé, sent la terre s’ouvrir sur ses pas.

On conçoit, sans peine, dans un pareil cadre, quelle liberté a pu être laissée à la fantaisie des décorateurs et des machinistes.

Ajoutons enfin qu’une innovation a été introduite dans les mœurs de l’Opéra. Entre les tableaux, pendant que la musique de Massenet continue en quelque sorte l’action de la scène, on ne verra plus se baisser et se lever l’antique et froid rideau : de droite et de gauche descendront, à la façon de Bayreuth, de lourdes tentures aux tons chauds, douces et enveloppantes à l’œil, intimes ainsi que dans un salon, laissant le spectateur dans l’illusion du rêve, pour ne le réveiller qu’à la fin, dans la satisfaction de l’amour triomphant.

Ch. Ferzac.

Related persons

Composer, Pianist

Jules MASSENET

(1842 - 1912)

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Thaïs

Jules MASSENET

/

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