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Thaïs / Autour de la pièce / Opinion des journaux

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« THAÏS »
UNE GRANDE PREMIÈRE A L’OPÉRA
L’œuvre nouvelle de Massenet – Intéressante tentative – Hardiesses déconcertantes – Un succès – L’interprétation.

Les lecteurs du Matin connaissent déjà le livret de Thaïs. Je n’ai donc pas à y revenir. Je constaterai simplement que ce livret diffère sensiblement des traditionnels scénarios d’opéras, aussi bien par sa coupe nouvelle, débarrassée des vers à rimes plus ou moins euphoniques, que par sa forme originale et châtiée. Peut-être trouvera-t-on que, par-ci par-là, quelques scènes ne sont pas assez étroitement liées entre elles ; la pièce de M. Louis Gallet n’en demeure pas moins fort curieuse à étudier : elle constitue une intéressante tentative qui, j’en suis sûr, ne restera pas isolée.

Si le livret a un peu surpris le public de l’Opéra, habitué aux scénarios régulièrement découpés, on peut dire que certaines pages de la partition – les plus belles cependant – sont restées dans l’ombre. En un mot, le public, qui s’est mis à comprendre la musique de Wagner comme s’il n’avait jamais compris que cette musique-là depuis la première représentation du Tannhaüser à Paris, a semblé fort déconcerté devant les hardiesses de Thaïs.

Cela n’est point pour m’étonner, et je féliciterai presque M. Massenet de ne pas avoir conquis du premier coup, je ne dirai pas le succès, car Thaïs a brillamment réussi, mais l’unanimité des suffrages de la critique. Son œuvre est de celles qu’on discute, mais au moins les partisans de l’éternelle convention seront-ils forcés de reconnaître que le compositeur, qu’on admette ou non le genre nouveau qu’il aborde, a été cette fois encore merveilleusement servi par cette connaissance approfondie du théâtre dont il a donné tant de preuves déjà.

La partition.

Comme dans Werther, M. Massenet s’est appliqué avant tout à traduire avec sincérité les sentiments des personnages mis en scène, ne s’attachant pas à prouver qu’il était partisan plutôt de tel système que de tel autre. C’est là, certes, aux yeux de quelques-uns, un crime impardonnable, car, aujourd’hui, il faut être d’une école ou ne pas en être. M. Massenet, au besoin, pourrait se contenter d’être de sa propre école, puisqu’il a eu et qu’il a encore de nombreux disciples.

La partition de Thaïs est une œuvre toute de sincérité : que le compositeur décrive les sombres et terribles luttes d’âme ou qu’il mette en lumière les dangereuses railleries de la courtisane, qu’il nous révèle un Dieu de sérénité et de douceur ou qu’il nous entraîne dans le tourbillon des plaisirs terrestres, chaque page a sa marque propre, et de cette mosaïque musicale se dégagent une variété infinie, une originalité singulière qui attirent, charment et impressionnent.

Est-il besoin d’ajouter que le musicien avait à sa disposition, pour mener à bien sa tâche, les moyens les plus rares ? On retrouve dans Thaïs les qualités maîtresses du maître à la clarté et à la facilité d’écriture, le miroitement étincelant d’une instrumentation sans cesse variée, d’un coloris étonnant, d’une richesse prodigieuse de combinaisons.

Le premier acte s’ouvre par le chœur des douze cénobites célébrant la paix du désert, courte introduction, à l’allure sévère, caractéristique. Athanaël paraît, et avec lui une poétique phrase toute remplie du charme de Thaïs.

La pantomime à l’Opéra.

Puis, nous assistons à la vision du saint. La pantomime – ô profanation ! – a pénétré jusque sur notre première scène lyrique. Pendant que Thaïs mime, devant la foule du théâtre d’Alexandrie, les amours d’Aphrodite, un chant langoureux, soutenu par les harpes, monte de l’orchestre et se développe peu à peu pour se confondre, à la fin du tableau, avec les exclamations d’épouvante d’Athanaël.

Après une courte prière du cénobite et le récit du vieux Palémon, prêchant – dans le désert – la sagesse éternelle, le chœur reprend. Athanaël s’éloigne : sa voix, à laquelle répondent les voix de ses frères, se perd dans le lointain. Toute cette scène est d’un saisissant effet.

Au tableau suivant, il faut citer les strophes d’Athanaël, maudissant Alexandrie, d’un large et sombre caractère ; un quatuor, d’une délicate impression, d’un rythme piquant, pendant lequel Nicias et les deux jolies esclaves, Crobyle et Myrtale, habillent Athanaël – l’apparition de Thaïs :

Demain, je ne serai pour toi qu’un nom…

d’une exquise sentimentalité – les révoltes d’Athanaël se mêlant aux railleries de la courtisane, morceau que le compositeur a traité avec un rare bonheur d’opposition.

Un long développement symphonique sur lequel, derrière la toile baissée, Thaïs reproduit la pantomime du premier tableau, nous conduit à la scène capitale de l’ouvrage, celle où, après avoir demandé à son miroir de la garder éternellement jeune, Thaïs se laisse toucher par la parole enflammée d’Athanaël. Le doute est entré dans le cœur de la courtisane – doute mêlé encore à je ne sais quelles cruelles moqueries, mais dont le cénobite finira par triompher. La musique, ici, suit pas à pas et traduit avec une singulière intensité d’expression la lutte des deux âmes. Les derniers éclats de rire de Thaïs se confondant avec de déchirants sanglots terminent cette page superbe, une des plus émues qui soient sorties de la plume de Massenet.

L’entr’acte qui suit renferme une tendre mélodie de violon que nous retrouverons plus tard au chevet de Thaïs expirante.

L’air de Thaïs : L’Amour est une vertu rare, d’une délicieuse couleur, la scène de l’incendie, magistralement traitée, avec ses belles sonorités vocales, terminent le deuxième acte.

Le ballet.

Au troisième acte se place, après un chœur assez court des cénobites, le ballet de la Tentation, pendant lequel les sept Esprits du mal, conduits par la Perdition, disputent l’âme du saint à l’Étoile de la Rédemption. Peut-être reprochera-t-on au brillant auteur du ballet du Cid d’avoir, cette fois, trop sacrifié des airs de danse aux rythmes tourmentés, aux effets trop cherchés d’instrumentation. Je crois cependant que ce ballet, musicalement parlant, est bien dans le ton de l’ouvrage. Je ne regrette que la mimique, forcément trop peu variée, à laquelle est obligé de se livrer Athanaël, au milieu des groupes de sirènes et de gnomes qu’il repousse. Mais cette critique ne s’adresse pas au musicien.

La mort de Thaïs, où se mêlent les accents amoureux d’Athanaël et les lamentations des Filles Blanches, est d’un grand effet scénique. C’est la digne couronnement de ces trois actes., qui laissent une émotion poignante, l’impression d’un rêve idéal, trop vite envolé.

Les artistes.

Mlle Sybil Sanderson, dont la rayonnante beauté fait décidément revivre parmi nous le souvenir des courtisanes célèbres de l’antiquité, personnifie Thaïs avec ce charme troublant, cette grâce légère, comme inconsciente, qui sont des dons de nature que nulle ne lui dispute. J’ajouterai que la voix de Mlle Sanderson, quoi qu’on ait pu craindre, remplit parfaitement le vaisseau de l’Opéra.

Certes, les passages de douceur et de tendresse conviennent mieux à cette charmante artiste, et je l’ai surtout appréciée hier soir dans sa jolie phrase à Nicias, au premier acte, dans la scène de séduction, au tableau suivant ; mais je constate que, dans les passages de force, sa voix, loin de faiblir, s’échappe et se développe.

M. Delmas est un superbe Athanaël. Il donne à ce rôle écrasant une allure de sombre grandeur qui atteint son apogée dans la grande phrase de la fin où il chante, avec cette virtuosité impeccable, ce style si pur, son amour pour Thaïs, cet amour qui déborde de son cœur en accents généreux et enflammés.

M. Alvarez, dans le bout de rôle de Nicias, et M. Delpouget, sous les traits du vieux Palémon, méritent des éloges, ainsi que Mlles Héglon et Marcy, qui personnifient gracieusement les deux jolies esclaves du deuxième acte.

Dans le ballet, Mlle Rosita Mauri se montre, comme toujours, vive, enjouée, séduisante.

L’orchestre, sous l’intelligente direction de M. Taffanel, marche avec plus d’ensemble que les chœurs.

Enfin, la mise en scène fait, cette fois encore, honneur à la direction de l’Opéra. L’œuvre de Massenet est montée avec un luxe de décors et de costumes qui n’a pas peu contribué au succès de la soirée.

GEORGES STREET.

AUTOUR DE LA PIÈCE
La mise en scène – Les costumes de Mlle Sanderson.

Thaïs, qui était une « comédie lyrique » à la répétition générale, fut un « opéra » à la première représentation d’hier soir, et l’affiche portera cette dernière qualification, exécrée des musiciens de l’avenir.

Comédie ou opéra, l’œuvre de M. Massenet est montée avec le soin que MM. Gailhard et Bertrand apportent à toutes les pièces. Quelques personnes pudibondes ont pourtant trouvé qu’ils avaient fait quelques économies sur les costumes ou plutôt sur le peu de costume que portent leurs plus gracieuses pensionnaires.

On devient très pudique depuis quelque temps ; il nous semble, pour notre part, que l’on a tort, quand le déshabillé incriminé est… porté par Mlle Sibyl Sanderson.

En tout cas, la location des lorgnettes est assurée d’une recrudescence sensible pendant la durée des représentations de Thaïs.

Si nous insistons, c’est que ce fut la grande discussion pendant les entr’actes : « Avez-vous jamais vu jamais vu costumes plus décolletés ? » « Que dites-vous de l’apparition de Thaïs, dans ce simple appareil… etc. » Et encore « Que pensez-vous des beaux bras de Mlle Sanderson au moment où ils sont levés vers le ciel, ne laissant voir à leur naissance que la blancheur d’une peau fine ?… » Et enfin : « Et la pose à genoux, avec le peplum entr’ouvert, qu’en dites-vous ?… » Tel était le sujet des conversations de tous. Quelques cénobites des couloirs paraissaient offusqués ; les abonnés le seront moins – beaucoup moins.

Les répétitions générales.

D’ailleurs, quelques légères modifications de costumes ont eu lieu entre la répétition générale et la première représentation.

Et à propos des répétitions générales, M. Gailhard, que nous rencontrons sur la scène pendant un entr’acte, se montre désolé que ces répétitions n’aient plus lieu à huis clos, ou bien avec les seuls critiques, comme autrefois.

 – Que de pièces, nous déclare-t-il, dont le sort fut éphémère, qui vivraient encore si elles n’avaient été tuées d’avance par des gens ignorants des choses du théâtre, au sortir d’une répétition défectueuse !

– M. Hector Pessard a attaché le grelot ce matin, réplique un auteur. Il se forme une énorme réaction contre les répétitions avec salle comble. Espérons que nous en serons débarrassés dans quelques années.

Les décors.

Le premier acte se passe dans une plaine au bord du Nil ; là, nous faisons connaissance des cénobites, dont le plus chantant est Athanaël, qui doit conseiller plus tard à Thaïs de renoncer à l’amour en faveur du ciel, pour lui dire, lorsqu’il n’est plus temps pour elle de changer d’avis, qu’elle a eu tort de l’écouter.

Ce cénobite exubérant manque un peu de suite dans les idées mais il est représenté supérieurement par M. Delmas.

Le second décor est ravissant.

À Alexandrie ; une terrasse dominant la ville et la mer azurée.

Entrée sensationnelle de Thaïs, précédée d’un groupe d’histrions et de comédiennes. Une place d’Alexandrie, avec ses maisons aux dômes dorés, est, au troisième acte, d’un bel effet décoratif ; on lui a reproché de rappeler la légendaire « rue du Caire », en 1889 ; est-ce bien un reproche ? Je pencherais plutôt pour un « éloge ».

Au quatrième acte, nous retrouvons nos joyeux cénobites : ils sont toujours au bord du Nil, qui manque de femmes. Fort heureusement, Athanaël a une vision : c’est le ballet. Les sept esprits de la Tentation, la Perdition, les sirènes aux vertes chevelures, entourent Athanaël, qui assiste à leurs ébats chorégraphiques.

Il résiste d’autant moins à leurs charmes que quelques sirènes portent dans de vastes coquillages, roses comme des fleurs de chair – ce n’est pas moi qui le fait dire au livret – les perles, les coraux et les nacres irisés de l’abîme.

Le dernier acte est d’un aspect très poétique : le jardin d’un monastère. À l’ombre d’un grand figuier, Thaïs est étendue, immobile, comme morte, entourée des filles blanches – ne pas imprimer des figues blanches, – qui se tiennent, les mains jointes, tendues vers la courtisane repentie et moribonde.

À l’amphithéâtre, à la chute du rideau, beaucoup d’actrices et de demi-mondaines désapprouvaient le désintéressement de la pauvre Thaïs et qualifiaient sévèrement la conduite d’Athanaël, qui lui avait fait perdre si légèrement sa belle situation à Alexandrie. Cela ne les a pas empêchées d’applaudir, comme tout le monde, le nom de Massenet.

M. O.

Opinion des journaux.

De M. Fourcaud, du Gaulois :

M. Massenet est, certes, un musicien des mieux doués, des plus habiles. Il a plus de qualités qu’il n’en faut pour faire des chefs-d’œuvre. Que lui manque-t-il ? – Deux vertus : la simplicité de l’esprit qui se recueille en face des manifestations humaines condensées dans une fiction, et l’oubli du public. Sa recherche de l’effet est constamment sensible. Désir de plaire, désir d’étonner c’est tout un.

De M. Ch. Darcours, du Figaro :

Il est probable que la partition de Thaïs va être l’objet de critiques auxquelles, d’après l’effet de la représentation, le compositeur doit être le premier à s’attendre. M. Massenet d’ailleurs, assez souvent trouvé le succès, et il est un artiste d’une trop incontestable valeur pour que la vérité ne lui soit pas due.

Ce que l’on reprochera à l’œuvre nouvelle, c’est, dans son ensemble, de manquer de relief. M. Massenet est tellement maître de sa pensée et de son écriture, qu’il fait toujours la « musique qu’il veut ». On aimerait mieux lui voir commettre de temps en temps quelque grosse erreur, qu’il rachèterait un de ces élans dont on n’est pas maître.

Du XIXe Siècle :

Nous avons reconnu M. Massenet à quelques phrases de grâce tendre et passionnée qui portent la marque de son inspiration et de sa maîtrise. « C’est Thaïs, l’idole fragile », est, par exemple, une de ces exquises mélodies qui ont conquis le public.

De la Lanterne :

Mais le compositeur est homme de ressources et nous le croyons très capable de fermer bientôt la bouche à ceux qui parlent déjà de décadence et d’impuissance.

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Georges STREET

(1854 - 1908)

Librettist

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Composer, Pianist

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