Thaïs de Massenet
Le ballet de Thaïs[1]
L’Académie de musique a donné hier vendredi la première représentation de Thaïs, l’œuvre nouvelle de M. Massenet, exactement intitulée : Comédie lyrique, et dont le poème a été tiré par M. Louis Gallet du roman de M. Anatole France.
Nous publierons dans notre numéro de la semaine prochaine, ainsi que nous en avons coutume, une importante illustration relative à cet ouvrage, et le dessin de notre collaborateur, M. Parys, sera accompagné d’une analyse musicale due à notre confrère M. A. Boisard.
En attendant, nous avons la certitude d’être agréables à tous ceux de nos lecteurs que les choses de théâtres intéressent, en leur offrant une véritable primeur, avec des croquis du ballet de Thaïs, pris au cours des répétitions par le peintre Mesplès, et qui montrent les principaux épisodes de ce fragment capital de la partition. L’ouvrage comporte 7 tableaux, et le ballet, réglé par M. Hansen, occupe l’un des plus longs, sous ce titre : La Tentation.
Nous en transcrivons l’argument d’après la brochure.
On sait qu’après avoir converti la courtisane Thaïs, le moine Paphnuce qui, dans l’opéra s’appelle Athanaël, a regagné la Thébaïde, afin de remercier Dieu du succès de sa périlleuse entreprise, et d’y reprendre sa vie d’édification et de sainteté.
Mais une fois rentré dans sa cellule, le solitaire est hanté par des visions troublantes, et c’est en vain qu’il veut les chasser par les austérités, par la prière ; dans son sommeil, elles le poursuivent encore.
Autour du cénobite endormi, l’ombre épaisse s’éclaire d’une lueur mystérieuse. À cette lueur apparaissent les Sept esprits de la tentation, sous la forme de petits êtres, à la face malicieuse, à l’allure féline, accroupis le long de la couche d’Athanaël.
Ils se meuvent lentement, comme des figures de rêve, puis, rassemblés en groupe, ils pèsent de leurs griffes sur la poitrine de l’homme du désert.
Et les Sept esprits de la tentation, dans une sorte d’incantation, avec des gestes bizarres s’emparent de l’âme du saint.
Athanaël se lève sous l’empire de son rêve. Les esprits le circonviennent, ils le poussent devant eux, dans un souffle d’orage, avec un infernal ricanement.
Alors, tout s’évanouit. Et de la nuit profonde, soudainement jaillit comme un monde nouveau. C’est un merveilleux jardin que dominent d’éblouissantes architectures, parmi lesquelles s’étalent des frondaisons toutes couvertes de fleurs.
L’âme du saint possédé mène son corps en esclave.
Les Sept esprits de la tentation font pénétrer le cénobite dans le séjour où il entre plein de trouble et d’effroi.
Ils lui en décrivent les beautés ; ils éveillent autour de lui toutes les âmes déchues.
Et voici que des cercles de cet enfer montent des êtres multiformes, des groupes s’assemblent et se joignent peu à peu à la troupe des Esprits de la tentation.
Athanaël, éperdu, subit déjà leur domination, ils lui annoncent la venue de la toute-puissante séductrice ; ils l’encouragent à se livrer à celle de qui vient toute joie.
Démon à figure de femme, la Perdition paraît, dans la splendeur de sa royauté, un cortège solennel l’accompagne, dont la marche lente semble l’accomplissement de quelque rite religieux.
La Perdition, tout à coup, secouant sa longue chevelure, faisant sonner l’or de ses colliers, s’élance au milieu du cercle des âmes. Sa grâce les charme, ses promesses les séduisent.
Les Sept esprits évoquent les puissances gardiennes des richesses de la mer. Et voici les Sirènes aux vertes chevelures, quelques-unes portant dans de vastes coquillages, roses comme des fleurs de chair, les perles, les coraux et les nacres irisées de l’abîme, puis les Tritons sonnant de la conque.
Tous ces trésors, la Perdition les offre à Athanaël. Elle les fait miroiter à ses yeux, et lui offre le tribut de toutes ces richesses. Enivré, charmé Athanaël sourit à cet hommage.
Et voici les Gnomes, esprits de la terre. Ils apportent les fruits et les parfums, l’or et les pierres précieuses. Et tandis qu’ils refusent tous ces biens à la foule qui se presse avidement autour d’eux, ils les offrent sans réserve au solitaire.
La Perdition joue avec l’or et les pierreries. Avec une moquerie perfide, les Sept esprits montrent à Athanaël l’humble vêtement qui le couvre ; ils le livrent à la risée de la multitude. Des Sphinges viennent, symbolisant le doute dont les énigmes et le silence vont achever de le troubler.
La Perdition, déjà triomphante, tourbillonne autour de lui. Elle offre à ses lèvres la coupe des ivresses. La défaite du saint va s’accomplir.
À ce retentissant éclat succèdent de suaves harmonies.
C’est la voix des orgues sacrées, douce et calme d’abord comme un souffle céleste. À mesure que l’orgue chante, on voit poindre et grandir dans les profondeurs du ciel, une étoile miraculeuse, l’Étoile de la Rédemption.
Athanaël, inquiet, a écouté, il s’émeut, regarde, découvre l’étoile. C’est le réveil, c’est le salut. Il comprend ! Mais où était-il donc ? Explosion de joie et de reconnaissance. Il est sauvé !
Hélas ! il s’aperçoit avec désespoir qu’il n’est plus le même.
La Perdition revient à lui avec de perfides sourires, l’étoile s’éteint, les harmonies célestes s’affaiblissent.
Athanaël, sans courage désormais pour la résistance, tombe anéanti, désespéré. La Perdition le relève, tout troublé. Désormais son âme est perdue.
Une ronde infernale l’emporte dans le tourbillon. Des lueurs fantastiques illuminent ce déchaînement au-dessus duquel montent les gémissements des âmes perdues. La Perdition mène la ronde.
Tout à coup, toute blanche dans les ténèbres, Thaïs a paru.
Les danses s’arrêtent et une clameur énorme s’élève…
Et tandis que la vision va disparaître, le tourbillon précipite encore son mouvement.
Puis peu à peu, tout décroît, tout s’éteint. Les groupes entraînent Athanaël que conduit la Perdition. La multitude semble se fondre, et les jardins et les colonnades, s’effacer. Tout est vague… Crépuscule… Nuit… Le rêve est fini !
[1] La partition de Thaïs est éditée par la maison Heugel, au Ménestrel.
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Jules MASSENET
/Louis GALLET
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publication date : 18/09/23