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Beaux-arts. Musique. La Vestale

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BEAUX-ARTS — MUSIQUE.
La Vestale, tragédie lyrique, en trois actes, de M. de Jouy, mise en musique et dédiée à S. M. l’Impératrice et Reine, par Gaspar Spontini, maître de chapelle du Conservatoire de Naples.
Premier extrait.

J’ai regretté plus d’une fois, en voyant de combien de règles inutiles on surchargeait les beaux-arts et la musique en particulier, que les Gluck, les Piccini et les Sacchini ne nous aient pas donné, comme M. Grétry, une analyse raisonnée de leurs belles productions, et qu’ils ne tinssent point la plume, comme ils savaient manier la lyre. Quel cours d’instruction musicale résulterait nécessairement d’un commentaire raisonné sur des partitions telles que les deux Iphigénies, Alceste, Didon, Œdipe à Colonne, sur celles même de quelques-uns de nos contemporains illustres dans leur art, tels que les Méhul, les Lesueur, les Cherubini, etc. C’est là que l’élève s’accoutumerait insensiblement à voir autre chose que des notes dans cette belle langue musicale ; il y trouverait une véritable poétique, aussi complette, aussi riche et plus variée que celle qui n’embrasse que les belles-lettres : ainsi l’étude des règles de l’art ne serait plus pour lui que l’admiration continue des chefs-d’œuvre qu’il a produits. Cette étude perdrait alors de sa sécheresse et de son aridité naturelle ; et, parvenu au terme de son instruction, ce même élève se trouverait une imagination richement ornée de modèles dans tous les genres et dans tous les styles, ce qui vaut bien sans doute une tête qui ne serait que meublée d’accords.

Oui les beautés poétiques et sentimentales de la musique sont susceptibles d’une analyse suivie, comme celle d’une production purement littéraire, comme celles d’un beau tableau, d’une belle statue. Les moyens de l’art sont différents ; mais le génie est le même, soit qu’il tienne le ciseau, la lyre, la plume ou le crayon : soit qu’il se trouve inspiré par le ciel de la France, de l’Allemagne ou de l’Italie. Partout son impression est le même sur les âmes sensibles, et c’est de cette impression rapide et profonde, que le goût aime à se rendre compte en la soumettant à un petit nombre de règles toujours également applicables aux arts de l’imagination.

Tel est le principe dont je vais tenter l’application à la musique de la Vestale, et si je m’arrête de préférence à cette partition, si je fais à son égard ce que j’aurais pu faire à l’égard de toute autre, c’est que cette belle composition est nouvelle, que sa célébrité actuelle rendra mes observations plus faciles à saisir et vérifier, et que la jeunesse de l’auteur m’encourage d’ailleurs à hasarder des conseils ou des critiques que m’interdiraient des réputations consacrées par de longs travaux et des succès nombreux.

Depuis près de dix mois, le succès de la Vestale s’est non-seulement maintenu avec le même éclat, mais c qui l’ouvrage offre de vraiment beau a été mieux goûté de jour en jour ; les intentions du compositeur, mieux saisies et plus heureusement rendues. La pièce a résisté avec honneur à la plus délicate des épreuves, celle qui fait passer successivement entre plusieurs mains un rôle principal, établi d’une manière supérieure ; et chacune des reprises de la Vestale a été pour l’auteur un nouveau triomphe, comme pour chacune des actrices qui se sont disputé, avec une noble émulation, la gloire d’y remplacer Mme Branchu. Les plus grandes chaleurs n’ont pu même arrêter l’empressement d’un public, que n’avait point encore satisfait un grand nombre de représentations.

Essayons de remonter aux causes d’un succès aussi flatteur, et nous les trouverons, indépendamment du mérite réel de certaines parties de l’exécution, dans le rare bonheur d’avoir traité un sujet capable d’intéresser également toutes les classes de spectateurs.

Je ne chercherai point à disculper l’auteur des paroles, de la foule inconcevable d’invraisemblances, à la faveur desquelles il a amené les situations qui ont assuré le succès de son opéra. Mais ces situations sont-elles attachantes, sont-elles favorables au système de notre tragédie musicale ; la réponse est ici dans les applaudissements que le public ne cesse de prodiguer à l’ouvrage. Qu’importe, en effet, à ce même public que M. de Jouy ait supposé, dans le plan de son poëme, une combinaison d’événements telle qu’elle n’a jamais pu raisonnablement exister ; telle qu’il faut, pour l’admettre un moment, renoncer aux notions les plus simples de la fable et de l’histoire. Ce qui importe au public, c’est de trouver au théâtre ce qu’il vient y chercher, des sensations, qui émeuvent fortement son âme, un spectacle qui captive et amuse ses regards. Or, tout cela se trouve merveilleusement réuni dans le poëme de la Vestale ; et quoique je sois certes bien éloigné de donner son succès pour preuve que l’on peut impunément toutes les convenances, j’ose croire cette violation sans conséquence sur un théâtre où l’on est convenu depuis longtems de pardonner à l’imagination tous ses écarts, pourvu qu’il en résulte du spectacle et de l’intérêt. Car plus de salut désormais à l’Opéra, sans cette réunion ; elle est devenue de rigueur.

Il fut un tems où l’on eût craint de compromettre la muse lyrique, en lui prêtant les sentimens et le langage de Melpomène. Nous sommes aujourd’hui plus exigeants ; nous voulons de l’intérêt, et les merveilles les plus pompeuses nous éblouissent en vain, quand elles ne disant rien à nos cœurs. Ne craignons point de l’avancer ; aucun des poëmes de Quinault ne réussirait maintenant ; et, malgré la musique de Gluck, Amride, le chef-d’œuvre d’Armide, ne s’est maintenu sur la scène que parce qu’Armide est passionnée ; si elle n’était que magicienne, elle n’intéresserait que des enfants[1]. Et puisqu’il est ici question de Gluck, ne doit-il pas, en grande partie du moins, sa supériorité sur Piccini, à l’avantage d’avoir conçu mieux que lui la tragédie lyrique, et d’avoir constamment travaillé sur des poëmes vraiment tragiques ? Il est permis de présumer que Piccini aurait pu s’élever aux plus grandes beautés de la tragédie ; Didon l’a prouvé ; et il est au moins douteux que Gluck eût fait Atys et Roland.

Le premier avantage du sujet de la Vestale, est donc de nous attacher puissamment à la peinture d’une grande passion, mise aux prises avec de grands devoirs, et des obstacles proportionnés à ces mêmes devoirs. Ce sujet éminemment tragique, et tenté plusieurs fois sur le Théâtre Français, n’avait été heureux qu’entre les mains de M. de Laharpe, qui l’a reproduit avec succès dans Mélanie. Mais peut être est-il mieux dans son cadre à l’Opéra : il est certain, du moins, qu’aucun poëme n’avait ouvert depuis long-tems une aussi belle carrière au génie d’un compositeur.

Ce qu’il importe de remarquer d’abord, dans la Vestale, c’est l’excellent esprit qui a présidé au dessin général de cette vaste composition : c’est l’art avec lequel l’auteur a su développer et peindre une grande passion, et nous faire passer alternativement des plaintes de l’amour aux cris du désespoir, des angoisses de la mort aux chants de triomphes, à l’ivresse du bonheur le plus pur ; c’est le caractère céleste du rôle de Julia ; la fougue et l’emportement de Licinius, toujours tempéré par je ne sais quoi de grave et de religieux, qui prête aux scènes principales de cette pièce une teinte de teinte de mélancolie si profonde à la fois et si sublime. C’est de l’accord de ces diverses couleurs habilement nuancées, que M. Spontini a su tirer un tableau faible, il est vrai, dans quelques-unes de ses parties, mais généralement beau, et d’un effet dont on peut présager la durée.

Le premier personnage du tableau, celui de Julia, qui appelait et devait fixer le plus d’intérêt, offrait aussi le plus de ressources à l’art du compositeur. Ce combat perpétuel de l’amour et de la religion, qui nous attendrit si délicieusement dans Zaïre y n’avait point encore été mis sur notre scène lyrique, et c’était pour le musicien une source abondante d’idées neuves. C’est quelque chose aujourd’hui, que de trouver une idée nouvelle à mettre en musique. Mais il ne suffisait point ici des ressources et des combinaisons ordinaires de l’art ; avec tout cela, on multiplie les notes, sans rien peindre, sans rien exprimer : on assourdit les oreilles d’un fracas, au milieu duquel le cœur reste froid, tranquille, glacé. C’était donc dans son âme, et dans son âme seulement, que M. Spontini devait chercher succès et a su trouver l’expression convenable à la situation et aux sentimens de Julia. Ce rôle suffirait pour promettre au jeune compositeur un rang distingué parmi les maîtres dont s’honore la scène lyrique. Il y a plus : c’est du charme de ce rôle, si heureusement conçu, que le reste de la pièce emprunte une très grande patrie de ton mérite musical. Julia enchante tout ce qui l’environne ; ses douleurs semblent retentir dans tous les cœurs, et la douce mélancolie de ses accens, toujours mêlée, tantôt aux acclamations guerrières, tantôt aux cris de la vengeance, répand sur l’ensemble de la pièce une couleur tragique, qui ne laisse pas perdre de vue un seul instant le véritable sujet de l’ouvrage.

Comme ce beau rôle s’annonce, dès le premier acte, dans l’Hymne du matin ! Ces plaintes d’un cœur oppressé, qui tranchent si douloureusement avec la mélodie pure et simple des autres Vestales ; ce cri d’effroi qui échappe à Julia, au seul nom de Vesta ; ces soupirs répétés dans les flûtes et dans les hautbois, tout cela forme une exposition du plus grand caractère, et qui achève de se développer dans le monologue :

Licinius, je vais donc te revoir !

dont l’Andante exprime si bien la complaisance avec laquelle Julia s’arrête sur l’idée de revoir et d’entendre son amant ; idée heureuse, mais bientôt troublée par le remords :

Que dis-tu, perfide Vestale ?

et le changement subit de rythme, de mode et de ton ; le silence des instrumens à vent, tout concourt à porter dans l’âme du spectateur le trouble, l’épouvante et les remords de Julia.

Le second acte s’ouvre également par un Hymne, celui du soir ; et cette espèce de double emploi présentait un écueil dont M. Spontini nous semble s’être assez heureusement tiré. Il a senti la nécessité de donner à ce morceau un caractère bien différent du précédent ; et ce caractère, il l’a puisé dans la marche même de l’ouvrage. Déjà la grande prêtresse a surpris le secret de Julia ; elle tremble pour elle, et l’Hymne au soir doit emprunter de toutes ces circonstances une teinte lugubre que ne devait point avoir le premier. Il n’est pas difficile d’entrevoir, dans les vœux qu’elle forme pour que le feu de Vesta brille à jamais sur son autel, qu’elle pressent déjà le malheur qui le doit éteindre ; et ses dernières paroles en quittant la scène ne sont plus, comme au premier acte, les conseils d’une mère ; ce sont les menaces d’une interprète des dieux. Ces mots énergiques :

Ces voûtes ont des yeux !

ont été bien sentis et bien rendus par le musicien, qui le répète avec un accent terrible. Aussi l’effroi qu’ils inspirent à Julia, le trouble où ils la laissent, se manifestent-ils dès les premières mesures de la scène suivante. C’est la plus belle de la pièce ; celle où le génie du composteur nous paraît s’être élevé le plus haut. Tout ce que peut éprouver une âme bouleversée, déchirée tour-à-tour, par ce que l’amour a de plus tendre, et la religion de plus formidable : l’audace et le remords, la crainte, le repentir, tout a été exprimé avec une chaleur, une verve de sentiment, qui devait faire et qui a fait le succès de l’ouvrage. Mais il fallait, pour obtenir ce succès, se pénétrer fortement de la situation de Julia ; se représenter, à chaque instant, les obstacles qui l’environnent, les menaces dont on vient de l’effrayer, et le sort enfin qui l’attend : il fallait joindre au mérite de sentir vivement, le talent de rendre ses sensations avec l’énergie brûlante de la puis fougueuse, de la plus terrible des passions ; et c’est ce que personne ne conteste sans doute ici à M. Spontini ; c’est le génie de Gluck qui semble fur avoir inspiré ce bel acte tout entier ; c’est la manière de ce grand tragique que l’on retrouve dans l’expression forte et vigoureuse de l’orchestre, dans l’énergie imposante du final de ce même acte, et dans plusieurs autres morceaux de l’opéra. Oui, l’auteur d’Alceste eût applaudi lui-même à la scène qui commence par cette invocation a Vesta :

Toi que j’implore avec effroi, etc.

où l’accent de la douleur suppliante est si mélodieusement exprimé, tandis que l’orchestre, interprète de ces dieux que Julia implore en vain, repousse sans cesse cette prière, ces vœux d’un cœur coupable : remarquez surtout ce trait répété des deux violons, qui opposent un non inflexible aux plaintes douloureuses de l’infortunée Julia. L’Amour gémit et soupire dans les flûtes et dans les clarinettes ; mais la vengeance des dieux tonne déjà dans le reste ne l’orchestre : et quand la malheureuse prêtresse conjure les dieux impitoyables de suspendre cette vengeance, elle doit l’entendre, et l’entend en effet éclater sur sa tête. Chaque art a ses limites, et je ne crois guère possible à la musique de porter plus loin l’expression de la tragédie. Aussi, après ce vers :

Viens, mortel adoré, je te donne ma vie !

Après ce dernier cri échappé au délire de l’amour, et rendu avec un accent si vrai, si passionné, il n’est pas étonnant que la scène paraisse se refroidir un peu ; peut-être gagnerait-elle à la suppression de l’air que chante Licinius. Tout doit marcher rapidement au but ; il n’y a pas un instant a perdre, et c’est bien là sûr-tout, que

Les momens sont trop chers pour les perdre en paroles.

Peut-être faudrait-il plus d’ivresse dans le duo des deux amans. Que leur reste-t-il à ménager, puisqu’ils ont violé la plus sainte des lois, et franchi la plus terrible des barrières ; puisqu’ils ont fait à l’amour le sacrifice de leur vie, puisque le délire de la passion les aveugle au point de leur faire prendre le temple de Vesta pour celui de Venus ? On a déjà observé, avec raison dans cette feuille, que poëte-musicien pouvait s’abandonner ici à toute la chaleur de sa verve, sans compromettre nullement la décence théâtrale ; et cet instant d’ivresse et de bonheur, vivement partagé par les spectateurs, n’eût rendu que plus terrible encore le moment qui lui succède tout à coup, moment si énergiquement caractérisé par une simple transition harmonique, par un seul mouvement d’orchestre. Le trio qu’il amène, et qui donne une si belle opposition entre les plaintes de Julia, le désespoir de Licinius, les efforts de Cinna pour l’arracher du temple, et les cris de vengeance qui se font entendre au-dehors est l’un des morceaux de ce genre qui font le plus d’honneur au talent du compositeur, et qui caractérise l’homme capable de se faire distinguer un jour à la suite de ses illustres prédécesseurs. Point de milieu : ces sortes de morceaux sont l’écueil, ou deviennent le triomphe du talent. Le véritable savoir, les effets, les ressources, tous les trésors enfin de l’éloquence musicale, doivent se réunir dans ces belles dispositions de plusieurs parties ; qui font ressortir les oppositions, les nuances même de caractère, en prêtant à chaque passion, à chaque acteur son vrai langage, de manière cependant, qu’il résulte de cette combinaison un tout harmonieux, où les règles soient observées, sans que la science s’y montre jamais à découvert, sans qu’elle coûte surtout jamais rien à la mélodie.

C’est ce que l’on a remarqué dans le beau final du premier acte. C’est, par exemple, une idée fort heureuse de faire accompagner par une marche guerrière, entendue dans le lointain, la prière ou Julia demande grâces aux Dieux bienfaisans, tandis que ses compagnes la pressent d’entrer dans le temple, où son absence suspend le sacrifice. Ainsi, partagée entre un devoir sacré qui l’appelle, et l’amour qui lui ramène son amant, son trouble et sa terreur ne peuvent qu’augmenter, à mesure que la pompe triomphale s’avance, et que les chants de victoire se font entendre de plus près : cette gradation a été bien sentie par l’auteur, et l’exécution n’en laisse rien à désirer. La faiblesse de Julia, le trouble de son amant, si bien exprimés par les violoncelles ; le moment fatal où elle pose la couronne sur son front, et laisse échapper involontairement le vœu de son amour ; le délire qui suit ce moment ; les sermens de Licinius, les terreurs prophétiques du grand-prêtre, au milieu de l’ivresse d’une fête militaire, tout est là du plus grand effet, tout porte le caractère d’un talent décidé, et appelé, sans doute, à de nouveaux triomphes dans la carrière dramatique.

Mais sans rien contester de leur mérite à de semblables morceaux, sans chercher le moins du monde à affaiblir l’impression qu’ils ne manquent jamais de faire sur la multitude, on peut dire cependant qu’ils doivent plus aux combinaisons de l’art qu’à l’inspiration du génie ; à la science et au travail, qu’à un premier élan de la nature ; et, sous ce dernier rapport, quel amateur sensible et éclairé ne leur préférera pas, par exemple, cette prière d’une expression vraiment céleste !

Ô des infortunés déesse tutélaire !

qui respire d’un bout à l’autre un dévouement si sublime, une si parfaite résignation à la mort la plus affreuse ; et le calme d’une âme qui, rassurée sur le sort de son amant, sort heureuse d’une vie où elle n’a plus rien à attendre, rien à désirer. Il est fâcheux qu’immédiatement après ce beau morceau, Julia semble oublier sa situation, et sortir de son caractère : c’est dans le moment où, pressée par le grand-prêtre de dire le nom du téméraire qui s’est osé introduire dans le temple de Vesta, elle répond :

Vous ne le saurez pas.

Ces mots sublimes dans la circonstance, devaient être déclamés avec une fermeté noble et tranquille ; c’était le seul moyen d’en fortifier l’expression. C’est donc mal à propos que l’auteur élève la voix, et prête à ces paroles une morgue emphatique, qui en dénature le sens et l’effet[2]. Il y a, dans la partition de la Vestale, quelques taches de ce genre, qu’il serait facile à M. Spontini de faire disparaître.

Je ne sais aussi si l’inaction et le silence du chœur pendant cette belle prière du second acte, sont bien naturels et assez motivés dans la circonstance. Pourquoi l’orchestre, du moins, n’indique-t-il pas ce qui doit se passer dans leurs âmes ? Pourquoi l’accompagnement ne fait-il pas entendre de loin en loin quelque chose de l’indignation des prêtres, quelque chose de l’intérêt que les jeunes compagnes de Julia doivent prendre, et prennent en effet à son sort ?

Il n’en est pas de même de l’air du 3e acte, où Julia adresse ses derniers adieux. Ceux qui pourraient reprocher à ce morceau un style peut-être un peu trop élégant, doivent considérer que cette malheureuse amante, à laquelle il ne reste plus d’autre consolation que son amour, d’autre pensée que son amant, ne saurait mettre trop de charmes à l’expression de ses derniers sentimens qui sont du moins encore un moment de bonheur pour elle ; à l’expression de ce dernier soupir qui s’exhale vers Licinius. Elle se répète, elle revient sur ces idées avec une complaisance douloureuse, et cela est dans la nature[3]. Le silence du chœur pendant l’air de Julia, est aussi naturel ici, qu’il a pu paraître déplacé dans l’acte précédent. La stupeur, la consternation sont au comble ; et les ministres même de cette loi de rigueur, ceux qui, il n’y a qu’un instant, demandaient vengeance avec des clameurs fanatiques, frémissent maintenant du supplice, comme ils ont frémi du crime, et semblent même l’oublier un moment pour ne voir et ne plaindre que la victime. Tout s’absorbe, s’éteint et se perd dans le grand sentiment d’une douleur unanime : c’est le silence de la mort.

AMAR.

(La suite à un prochain numéro.)

[1] Encore faut-il remarquer que, malgré deux chœurs magnifiques, et le duo du cinquième acte, Armide est la plus faible des tragédies de Gluck, par cela même que le merveilleux y domine davantage, et que le véritable accent de la passion s’y fait moins entendre par conséquent que dans ses autres ouvrages.

[2] Il faut bien distinguer cette situation de celle (acte 3) où l’ardent Licinius arrive à la tête des siens pour sauver Julia, et où cette généreuse amante déclare qu’elle en le connaît pas. Elle ne saurait alors appuyer sur ces derniers mots avec trop d’énergie ; c’est le dernier effort du courage, le dernier sacrifice de l’Amour. Il n’y avait, dans le premier cas, que de la grandeur et de la noblesse ; il y a ici un certain héroïsme qui peut-être excède les bornes naturelles, et qui, par cela-même, ne pouvait être exprimé trop fortement.

[3] J’ignore les motifs qui ont empêché jusqu’ici d’exécuter ce morceau à la représentation. J’ose croire que, bien loin de faire longueur, il ajouterait au pathétique de la situation et à l’intérêt qu’inspire Julia.

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Composer

Gaspare SPONTINI

(1774 - 1851)

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Étienne de JOUY

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