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Spectacles. La Vestale

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SPECTACLES.

La seconde représentation de la Vestale a confirmé toutes les espérances qu’avait données la première : l’affluence était encore plus considérable et le succès a été le même.

Nous avons donné l’idée du sujet : en retracer une très-longue analyse serait superflu : lorsque le sujet est simple et bien conçu, qu’il a de l’unité et de l’intérêt, une marche régulière et progressive, sans incident étranger à l’action et sans épisode parasite, il doit suffire de l’énoncer ; or, la Vestale a tous les titres nécessaires pour qu’on lui applique cette idée, et qu’on s’épargne à son égard les longs efforts si souvent et si vainement faits pour exposer au lecteur fatigué les ressorts obscurs d’une intrigue pénible et d’une action compliquée dans son invraisemblance.

Ici l’action est d’une clarté parfaite : elle marche naturellement au but ; peu de mots suffisent pour l’indiquer. Une vestale a conservé jusque dans le temple sacré le souvenir d’un amour que ses parens n’ont pas approuvé : Licinius, son amant, a été chercher les périls, il a trouvé la gloire, et revient triomphateur. En descendant de son char de victoire, il trouve dans la vestale qui le couronne, la femme dont il est encore plus épris que jamais : cette nuit même, celle du triomphe de son amant, elle doit veiller à la conservation du feu sacré : c’est pendant cette nuit que Licinius veut la voir et, s’il se peut, l’arracher au culte qu’elle a embrassé : Julia cède à l’ascendant qui l’entraîne ; elle reçoit son amant dans l’enceinte sacrée, et au moment où une flamme coupable s’élève dans leur sein et les consume, la flamme sainte meurt sur l’autel de la déesse ; un ami de Licinius l’entraine hors du temple, au nom même des dangers de Julia ; mais leurs pas ont été découverts : Julia surprise évanouie au pied de l’autel, le feu sacré éteint, les deux guerriers aperçus, tout la condamne ; elle-même élève la voix pour confesser qu’elle aime, et demande la mort.

Le champ d’exécration s’ouvre pour elle, et la tombe où, vivante. elle doit descendre, est préparée : en vain Licinius a supplié, a menacé le prêtre de Jupiter : cet interprète des dieux ne parle que de leur courroux, et Julia va payer de sa vie son oubli de leurs lois : le peuple est rassemblé et demande la victime ; le voile noir est jeté sur sa tête ; ses compagnes attendries lui disent un éternel adieu ; mais Licinius paraît suivi d’amis fidèles : il vient à l’exemple d’Achille

Épouvanter l’armée et partager les dieux.

Le combat s’engage autour de la tombe qui déjà a reçu la vestale ; le peuple fuit éperdu ; bientôt les dieux se montrent moins sévères : leur tonnerre se fait entendre, la foudre consume la robe de la prêtresse exposée sur l’autel de Vesta ; le feu sacré se rallume, le ciel a pardonné, et du sein des tombeaux, Julia se voit transportée dans le temple de Vénus Erycine, où l’autel de l’hymen est préparé pour elle.

Quoiqu’il semble, depuis quelque tems, à peu près reconnu que le véritable auteur d’un opéra est le compositeur ; quoique le nom de ce dernier se perpétue d’ordinaire tout à fait aux dépens de celui du poète ; quoique le nom de Quinault soit presque le seul qui, malgré les arrêts de ses sévères censeurs, vive près de celui du musicien qui lui prêta sa lyre, on nous pardonnera de nous arrêter un moment sur le poème nouveau, qui nous paraît avoir assez puissamment servi le musicien, pour avoir dans le succès de l’ouvrage toute la part qu’il mérite. Le choix du sujet, les situations qu’il amène, le contraste qu’il offre, les couleurs dont il permet l’emploi, la grande expression à laquelle il ordonne au compositeur de s’élever ; le ton religieux, solennel et pathétique qu’il lui fait prendre successivement ; la variété qui naît de cette heureuse combinaison, l’intérêt qui en résulte, tout cela est d’abord et en première ligne l’ouvrage du poète, auquel, avant tout, il en faut tenir compte. Le musicien l’a très-habilement secondé, nous le prouverons tout à l’heure, mais le musicien lui-même, placé sur un sol moins fertile, en aurait-il obtenu de pareils fruits ? Et lorsqu’après le grand succès de La Vestale, on vient à repasser en revue les ouvrages qui l’ont précédée, pour faire une assez injuste critique et de nos compositeurs et de leur style et de leur école, ne devrait-on pas avoir la justice d’avouer qu’ils ont été loin d’être servis par le poète, comme le jeune et habile compositeur dont nous parlons ici ? Avec des sujets dénués d’intérêt, des poèmes froids et des paroles peu lyriques, ils ont dû être entraînés à un style qui montrait plus de sciences qu’il n’attestait d’inspiration ; avec un sujet attendrissant, des scènes pathétiques et un style animé, ils eussent peut-être été expressifs et mélodieux. La musique d’Œdipe est tombée des cieux, comme le disait Gluck, auquel on annonçait qu’elle était tombée au théâtre ; mais croit-on que Sacchini n’ait pas trouvé dans les belles scènes de ce poème, dans sa pathétique simplicité, le cachet de son style et son inspiration première ? Lorsqu’il n’y a ni situation ni style, les efforts du musicien sont d’autant plus vains qu’ils se font plus sentir ; quand il y a du style et des situations, un musicien même faible réussira. Qu’on juge, après cela, si le compositeur moderne a quelqu’obligation à l’auteur de la Vestale, de lui avoir disposé un tel sujet, et, si l’on peut s’exprimer ainsi, si bien préparé sa palette.

Ce n’est pas que nous regardions le poème de la Vestale comme à l’abri de tout reproche : voici le premier qui s’offre. Pourquoi l’auteur nous présente-t-il un guerrier dans le même jour triomphateur et violateur des lois les plus révérées ? Pourquoi choisir pour le jour où il va se rendre coupable, celui où il vient d’être couronné ? Mais l’auteur doit à cette disposition un premier acte brillant ; il lui doit peut-être aussi d’atténuer la faute de la Vestale, car serait-elle coupable et son oubli de ses devoirs serait-il intéressant, si son amour avait pour objet un Romain obscur, sans autre titre que son amour lui-même ? Julia est violemment éprise : l’absence a nourri son ardeur, elle en couronne le digne objet. Ce concours de circonstances était nécessaire pour justifier son égarement, et c’est ainsi que, souvent au théâtre, un défaut même était indispensable, ou pour en éviter un autre, ou pour produite une beauté.

Au premier aperçu, on peut s’étonner aussi que Licinius abandonne Julia dans le temple où elle va être surprise : la soustraire aux Vestales paraît le parti le plus pressant : ici un premier crime en commande un autre, et tout l’art que l’auteur a mis à se conduire dans ce pas difficile n’a pas tout à fait sauvé cette invraisemblance, sans laquelle, il est vrai, nous n’aurions pas et nous ne pourrions avoir la belle scène de la condamnation. Dans celle qui précède, le goût le plus sévère et même la décence théâtrale auraient permis peut-être à l’auteur de laisser abandonner ses deux amans à des transports plus vifs, et à une expression plus animée du désir amoureux qui les agite : je dis même la décence théâtrale ; car le feu sacré marquant par les degrés de sa faiblesse, les progrès de la flamme coupable dont le spectateur pourrait s’alarmer. permet tout à l’auteur sans lui laisser craindre rien. Vesta veille sur sa prêtresse au moment même où sa prêtresse l’oublie, et qu’on nous passe ce que ce rapprochement peut avoir ici de déplacé, l’auteur semble dire à la chaste déesse :

Et les choses n’iront que jusqu’où vous voudrez…

M. Jouy s’est donc ici montré plus sévère que le public ne l’aurait désiré, et que la situation ne le permettait : le compositeur n’a pas outrepassé ses lois ; aussi la scène où la prêtresse s’écrie :

Viens, mortel adoré, je m’abandonne à toi !

elle-elle pins [sic] chaudement écrite par le musicien, plus passionnée, plus entraînante que celle qui la suit, et la progression devait être dans le sens inverse.

Nous ne tairons pas davantage à M. Jouy que son style, qui en générai a de la correction, de l’harmonie et de l’élévation, offre trop souvent des sentences, des maximes qui ont dû refroidir le compositeur, et qui auraient dû être remplacées par des images et des mouvemens si désirés par le musicien. Par exemple, au 3e acte, les sermons d’amitié de Cinna, les promesses de son dévouement devaient tenir davantage du péril de la situation : il en est de même de celui où Licinius jure de sauver Julia. On attend plus de vivacité dans les expressions, et dans les tours plus de chaleur ; mais ces taches sont rares, ainsi que les vers auxquels on pourrait trouver quelque obscurité ou quelque prétention sont peu nombreux. La pièce est en général bien écrite, et prouve une chose trop rare, pour le succès de ces sortes d’ouvrages ; la réunion de deux hommes de talens dont l’un a eu assez d’esprit pour bien se rendre compte des moyens de l’art de l’autre ; et lui en faciliter le développement le plus heureux.

M. Spontini, fort jeune encore, est déjà connu dans sa patrie par de nombreux ouvrages. Il fut couronné à Naples dans un âge très tendre ; il a imité les maîtres de son art et de son école, qui paraissent avoir attaché plus d’importance à un succès obtenu à Paris, qu’à un grand nombre d’autres suffrages très-éclairés et très-désirables d’ailleurs. Il est le troisième compositeur étranger qui, dans ces derniers tems, est venu lutter contre les maîtres en possession de notre grande scène lyrique. Winter développa un grand talent, beaucoup d’originalité et de profondeur dans un opéra dont le poëme était peu avantageux. Pour un autre opéra il fit ce que Gluck refusa de faire ; et jaloux d’éviter Rameau dans sa concurrence avec lui, son talent ne fut pas libre, et porta trop souvent l’empreinte de son esclavage. Paësiello, appelé à Paris pour y faire entendre sa muse mélodieuse et facile, s’occupa d’un poëme très-élégamment écrit, mais froid ; de très-belles parties n’y déguisèrent pas la faiblesse de l’ensemble. M. Spontini est plus heureux, après quelques succès mêlés à quelques disgrâces sur une scène de second ordre, il paraît sur la première, et y jete [sic] beaucoup d’éclat ; le poète a pressenti la nature véritable de son talent ; et en écrivant son second acte, il devait désirer un musicien qui eut de l’âme, de la sensibilité, l’habitude d’une harmonie mélancolique et touchante, à laquelle il ne faut qu’un degré de force de plus pour devenir expressive et pathétique ; il a choisi M. Spontini, et ne s’est pas trompé.

Les trois actes offrent des parties très bien traitées, des chœurs bien faits, des idées heureuses ; mais comme poème et comme composition, c’est au second acte de la Vestale que s’adressent le plus unanimement et le plus franchement les éloges que l’ouvrage mérite. Il produit une impression profonde : c’est-là que M. Spontini a plus qu’ailleurs développé un talent très-remarquable : son récitatif a de la vigueur et de la vérité ; ses chœurs sont bien coupés et bien en opposition ; la grande scène de Julia est écrite avec une rare énergie ; dans celle de la condamnation, le rôle de pontife est tracé d’une manière supérieure : les chœurs sont excellens et c’est-là qu’on entend à côté des menaces du peuple et des arrêts du pontife, le chef-d’œuvre de l’ouvrage, cet air d’une angélique pureté, d’une pieuse douleur et d’une si belle expression de résignation et d’amour :

Ô des infortunes, déesse secourable !

morceau qui classerait Mme Branchu parmi les plus grandes actrices lyriques, si elle n’y était déjà placée, et qui fait reconnaître la grande école à laquelle M. Spontini a été élevé.

Dans ce succès brillant, je ne vois qu’un écueil pour lui ; c’est qu’on va le bercer de cette idée qu’il a égalé tout ce que nous avons entendu de mieux, et laissé loin de lui tous ses rivaux : lui dire le premier est absurde ; lui laisser croire le second, injuste et dangereux. La musique de la Vestale a de très-belles parties, mais tout n’y est pas également digne d’éloges : le récitatif laisse généralement à désirer plus de force et de vérité : notre prosodie peut encore être utilement étudiée par l’auteur ; et pour assujettir cette langue rebelle dans son tour raisonnable, dans sa ponctuation rigoureuse aux dévéloppemens élégans de sa période italienne, l’auteur a encore à faire des efforts au but desquels on a prouvé que Sacchini lui-même n’était pas toujours parvenu ; on sait avec quel respect, mais aussi avec quelle vérité, Grétry relève les fautes en ce genre de ce grand musicien.

La Vestale doit gagner à être souvent entendue. Les artistes ne sont guères d’accord sur son métrite que depuis sa représentation : c’est un bon signe ; l’ouvrage fait donc des progrès dans leur esprit à mesure qu’ils l’entendent, l’étudient et l’exécutent. Il en sera de même du public, et par conséquent de nous, qui nous plairons à y découvrir des beautés nouvelles, pour les faire remarquer avec les détails d’exécution de cet opéra, sur lesquels nous ne pouvons plus nous étendre aujourd’hui.

S.

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Composer

Gaspare SPONTINI

(1774 - 1851)

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Gaspare SPONTINI

/

Étienne de JOUY

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