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Daniel de Wintzweiller

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Au Théâtre-Lyrique, autre guitare, même succès. D’abord l’exécution – exécution est le mot – d’une des deux cantates couronnées au concours annuel pour le grand prix de Rome. J’ignore si mes lecteurs se rappellent qu’en l’an de grâce 1868, le jury académique était bel et bien décidé à décerner trois prix de Rome à la musique. Mais il n’y avait que deux concurrents ! la difficulté fut habilement tranchée, et chaque lauréat reçut un prix et demi. En quoi, me direz-vous, en quoi peut consister le demi-prix de supplément ? – Mais, tout simplement, en l’exécution solennelle de la cantate sur un théâtre de Paris, avec des artistes qui ont l’air de la déchiffrer, un orchestre qui n’y attache aucune importance, un public qui baille, et quelques membres du fameux jury qui, dans une loge spéciale, ont l’air de déplorer amèrement les corvées de la gloire. Voilà comme les choses se passent. Le lendemain, le pauvre jeune musicien, encore brisé par ses émotions, lit dans tous les journaux qu’il n’a prouvé jusqu’ici que sa bonne éducation musicale, et qu’un petit tour en Italie ne peut manquer de lui ouvrir les idées. Il part, le téméraire, il part ! Puis, lorsqu’il revient, c’est à peine si l’on daigne le reconnaître. Il passe généralement trois ou quatre ans à faire admirer les progrès de sa barbe naissante par MM. les concierges et MM. les huissiers de nos directeurs parisiens. Enfin, on lui jette dédaigneusement un mauvais poëme à ronger ; bien mieux, on le joue deux hivers plus tard ; et quand il s’est débattu vainement contre tant d’indifférence, quand il a passé l’âge de se faire une position sociale, tout le monde, presse et artistes, lui répète sur plusieurs tons : « Vous n’avez pas tenu vos promesses ; votre pièce est mauvaise, votre musique n’est pas neuve. Ayez un bon poëme, faites un chef-d’œuvre, et l’on vous nommera professeur de solfège dans un orphéon de province. » Et voilà ce qu’on appelle encourager les arts ! dîtes donc, dégoûter des arts ! Et il se trouve toujours de jeunes imprudents assez… jeunes pour subir cette condamnation pénale du prix de Rome à perpétuité ! La morale, demandez-vous ? La morale est qu’avant de se faire compositeur, il faut posséder un bon estomac pour lutter contre la faim, une bonne philosophie pour lutter contre l’attente et les intrigues, une grande persévérance pour lutter contre la jalousie, l’envie, l’amertume et les déceptions ; enfin un grandissime talent pour arriver quand même, tout en respectant son art et en se respectant soi-même. Je souhaite de grand cœur ces qualités importantes à M. Weintzweiller, dont la scène lyrique prouve de sérieuses tendances et de réelles dispositions. Mais comme le pauvre jeune homme a dû souffrir en voyant ces trois chanteurs inexpérimentés asseoir leurs habits noirs et leur robe blanche sur des fauteuils d’occasion ! Est-ce que vraiment cela pouvait donner une haute idée du prophète Daniel et du roi Balthazar (avant le festin) ? Il y a sur l’imprimé, dont la lecture assidue m’a empêché de prêter grande attention aux ronds de bras hyperboliques du chef d’orchestre Pasdeloup : « La scène se passe à Babylone, dans la salle du festin ; Balthazar et les seigneurs de sa cour se livrent à la joie de la fête au son des instruments. » J’ai bien entendu le son des instruments, mais les seigneurs de la cour et la scène du festin étaient probablement restés au cirque Napoléon. Quant à la joie de la fête, absente pour cause d’inutilité publique. Là, sérieusement, est-ce que vous croyez avoir mérité le tiers d’un mois de votre subvention par cette exécution triste et glaciale ? Est-ce ainsi qu’on doit accueillir les jeunes dans un théâtre fondé spécialement pour eux ? J’en appelle à M. Pasdeloup, qui conduisait la représentation lui-même, parlant à sa personne. Le théâtre ne se popularise pas avec de pareils expédients, bons tout au plus pour des concerts. Si vous voulez attirer la foule, commencez par lui offrir des choses dignes d’elle. Revenons à M. Weintzweiller, qu’il convient d’encourager fortement pour son orchestration intelligente, un joli chant de violon, un bon air de basse : « C’est la voix du Dieu des combats, » et la prière finale : « O toi dont la clémence, » pleine de chaleur et de bonnes intentions. Que M. Weintzweiller se défie surtout de l’abus du même procédé ; la monotonie est un crime en musique. Maintenant, il reste à ce jeune homme à lire, entendre et surtout écrire. Avec le temps et l’expérience, il promet assez pour tenir beaucoup. Je ne parlerai pas des trois interprètes de Daniel, c’est ce que je peux faire de plus charitable pour eux.

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Eugène WINTZWEILLER

(1844 - 1870)

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