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Le Dilettante d’Avignon d’Halévy

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NOUVELLES DE PARIS.

THÉÂTRE DE L'OPERA-COMIQUE.

Première représentation du DILETTANTE D'AVIGNON, opéra comique en un acte, paroles de feu Hoffmann, musique de M. Halévy.

Si je ne me trompe, un des plaisirs les plus vifs de la nation française est de disputer sur ses plaisirs ; il est du moins certain que, malgré sa réputation de légèreté et d'indifférence, elle se distingue entre les autres nations de l’Europe par sa patience à discuter sérieusement de futiles questions. Il n'en est point qui ait été plus controversée que la prééminence de la musique italienne sur la française, ou de celle-ci sur l'autre. Ce qu'il y a de plaisant, c'est que les antagonistes de la musique italienne ont toujours fini par défendre avec chaleur ce qui avait été attaqué autrefois avec acharnement, et pour prendre pour de la musique française, la vieille musique italienne, que leurs pères avaient accablée de leurs sarcasmes. Ceci est une histoire qu’il faut que je vous conte.

Je ne sais si l’on peut dire qu'il y avait une musique française quand le cardinal Mazarin fit venir à Paris des chanteurs italiens, qui y firent entendre les premiers opéras qui eussent été joués en France ; la musique de ceux-ci avait été composée par Cavalli et d'autres maîtres italiens. Cambert prit exemple de ces musiciens, et se modela d'après eux. Vint ensuite Lully, Florentin, tout imbu des mélodies de Carissimi et des formes de ses récitatifs. En homme habile, il appliqua ce style ultramontain à la douce poésie de Quinault, et l'opéra français prit naissance aux dépens de l’italien. Personne ne se douta de cet emprunt, et il fut bien convenu que la musique de Lully était de la musique française, peut s'en fallut qu'on ne le prit lui-même pour un Français.

Tandis que la musique en était encore en France au point où Carissimi l'avait laissé, Alexandre Scarlatti lui avait fait faire d'immenses progrès. Un certain abbé Raguenet, charmé par les ouvrages de ce maître, se mit en tête de démontrer la supériorité de sa musique sur celle de Lully, et de convertir ses compatriotes ; ce qu'il entreprit de faire dans un livre qu'il intitula Parallèle des Italiens et des Français en ce qui regarde la musique et les opéras, Paris, 1702, in-12. Ce fut le signal de la première dispute qui s'éleva à ce sujet. D'amères critiques furent faites de récrit de Raguenet, et peu s'en fallut qu'on ne le présenta comme un mauvais citoyen, pour avoir osé médire de la musique de son pays. L'un des adversaires les plus passionnés du pauvre abbé, fut Le Cerf de la Vieuville de Freneuse, qui écrivit une lourde et volumineuse comparaison de la musique française et de la musique italienne. Bruxelles, 1705, 2 vol in-12. Raguenet répondit par une défense du parallèle, enfin il ne manqua rien pour que cette dispute eût tout l'éclat possible. Le résultat fut que la musique italienne continua de se perfectionner, et que la française resta ce qu'elle était pendant plus de quarante ans.

Or, il arriva qu’un jour (c'était en 1754) une petite troupe de chanteurs italiens assez médiocres vînt essayer de jouer sur le théâtre de l'opéra, des intermèdes de Pergolèse, de Léo, et de quelques autres. Grande fut la rumeur que fit naître cette nouveauté. Tout médiocres qu'ils étaient, ces chanteurs pouvaient passer pour des virtuoses en comparaison de nos braillards de lutrin ; et, bien que la musique qu'ils chantaient ne fût pas exempte de défauts, elle était incomparablement plus vive et plus mélodieuse que celle de nos opéras ; Rousseau, Grimm, et tous les beaux esprits prirent parti pour cette musique et ces chanteurs ; et d'un autre côté, une foule de vieux amateurs se rangèrent sous les bannières de la musique française. On sait quel bruit firent la lettre sur la musique française et les mille brochures auxquelles elle donna lieu. Le parti gaulois triompha des chanteurs de l'Italie, mais non de la musique : les uns furent chassés, mais l'autre s'impatronisa à l'Opéra-Comique, et peu d'années s'écoulèrent avant que les spectateurs français se persuadassent que cette musique était de la musique française, et qu'ils la prissent sous leur protection. Cette prétendue musique française se composait pour la plus grande partie d'opéras ou de morceaux traduits de l'italien. D'Auvergne, Desbrosses, Biaise et Rohaut, ne firent qu'en imiter le style : Duni, qui vint ensuite composer beaucoup d'opéras comiques originaux, était de Naples, et condisciple de Pergolèse. Après tous les débats qui avaient eu tant d'éclat en 1754, sa musique devint à la mode, et il fut convenu que Duni était un compositeur français.

Toutes les discussions sur les défauts ou les qualités de la musique française se renouvelèrent à propos de la dispute qui s'éleva entre les partisans de Piccinni et ceux de Gluck, car on avait fini par se persuader aussi que la musique de celui-ci était de la musique française, bien qu'il fut Allemand et que ses opéras d'Alceste et d’Orphée, eussent été traduits de l’italien. La querelle venait encore de ce que la musique avait fait d'immenses progrès en Italie entre les mains de Logroscino, de Galuppi, de Jomelli et de Piccinni, tandis que l’ancienne musique italienne était réellement devenue française en restant stationnaire. Après avoir écrit beaucoup de brochures, de pamphlets et d'articles de journaux, on finit par s'entendre, ou du moins par se lasser de disputer, et les grands airs de Roland et de Didon, dont on s’était moqué, s'impatronisèrent dans la musique française, comme il en avait été de tout temps. Remarquez, au reste, que ce furent toujours des gens de lettres qui disputèrent en France sur la musique, dont ils ne connaissaient pas les premiers éléments.

La naturalisation de la musique de Piccinni, datait de la jeunesse d'Hoffmann, homme de lettres aussi, et de plus homme d'esprit, d'une instruction rare, et d'un caractère fort honorable. Il est ordinaire qu'on se rappelle avec plaisir tout ce qui tient au temps le plus heureux de la vie : mais Hoffmann, plus qu'un autre, tenait aux souvenirs de sa jeunesse, et se persuadait que les choses avaient dégénéré depuis lors.

Sa musique d'Armide, de Didon, lui rappelait madame St.-Huberti et Mme St.-Huberti lui rappelait ses beaux jours. De là son antipathie pour toute musique faite autrement que celle de Didon ou d'Armide. D'ailleurs, en sa qualité d'homme de lettres, il voulait que la musique fût la très humble servante des paroles ; voilà pourquoi Grétry lui semblait le modèle que tout musicien devait se proposer pour le genre de l'opéra-comique. Les bouffons (c'est ainsi qu'on appelait les troupes de chanteurs Italiens) de 1789 avaient allumé sa bile, et celle-ci ne s'était point calmée depuis ce temps. En vain des prodiges de talent comme Mandini, Viganoni, et madame Morichelli avaient-ils prêté le charme d'une exécution parfaite aux délicieuses compositions de Cimarosa et de Paisiello — , Hoffman était resté ferme dans son opinion, car Hoffmann ne revenait point sur celles qu'il avait adoptées. Complètement étranger aux progrès que la musique italienne avait fait depuis cette époque, il n'avait plus voulu en entendre, et avait continué d'en médire. Lorsqu'on lui objectait qu'il ne la connaissait pas, il répondait plaisamment qu'il devinait ce que c était. Fatigué de n’avoir que ses amis pour confidents de son opinion, il voulut la mettre au grand jour, et composa contre l'objet de son aversion une satyre dramatique, qui ne vit point le jour de son temps, et qui vient d'apparaître sur la scène de l’opéra-comique, sous le titre du Dilettante d’Avignon, après avoir été arrangée par M. Léon Halévy.

Un essai du même genre, erreur d'un grand musicien, avait déjà été fait sur le même théâtre, mais avec cette différence, que L’Irato avait été donné sous le nom d'un compositeur italien, à la première représentation. Les habitués de l'Opéra-Comique n'étaient pas forts instruits en musique, ils furent dupes de la mystification qu'on leur avait faite, et s'en réjouirent ensuite beaucoup. Il est cependant vraisemblable que Méhul n'aurait pas pris la peine de se moquer de la musique italienne, si les chants de Paisiello, de Guglielmi et de Cimarosa eussent été de l'espèce de ceux de L’lrato.

Il n'était point dans l'esprit d’Hoffmann de traiter la musique italienne d'une manière si douce ; il ne voulait point charger le musicien du soin des épigrammes, et lui-même voulut porter les coups. Pour cela, voici comme il fit sa pièce.

M. Maisonneuve, riche habitant d'Avignon, espèce de Mélomane, s'est fait directeur de spectacles par amour pour la musique. Deux troupes, l’un d'opéra italien, l'autre d'opéra comique français, jouent alternativement sur son théâtre, mais M. Maisonneuve, enthousiaste de l'Italie, comme M. Dormeuil, des Voitures versées, l'est de tout ce qui vient de Paris ; M. Maisonneuve, dis-je, n'admire que la musique italienne, et néglige un peu son opéra français. Il ne sait pas un mot d'italien, mais il n'en est pas moins entêté des beautés de cette langue : il a même italianisé son nom et se fait appeler M. Casa Nova. Sa fille et sa nièce chantent et jouent l’opéra. Un jeune compositeur, élève du Conservatoire, nommé Dubreuil, est amoureux de la fille de M. Casa Nova et en est aimé. Il n'imagine rien de mieux, pour se faire agréer du père, que de se transformer en chanteur italien, et de se présenter pour remplir la place vacante de tenore. Tout est préparé pour l'entendre et presque toute la pièce roule sur son audition. La scène représente le foyer de la salle de spectacle de M. Casa Nova — , on y répète des morceaux d'opéra, et presque toute la musique du dilettante est précédée de la froide annonce qu'on va chanter. Dubreuil, sous le nom d'il signor Imbroglio, arrive, se fait entendre comme chanteur et comme compositeur, charme les oreilles de son beau-père futur et finit par lui faire avouer que la musique française vaut bien

l'italienne. Probablement Hoffman avait conclu que celle-ci est fort ridicule, et que la française est seule bonne ; mais M. Léon Halevy a voulu lui sauver ce ridicule, aux risques de l'affaiblir un peu.

Il est évident qu'il n'y a point de pièce dans ce canevas ; ce n'est qu'un cadre à quolibets contre les compositeurs et les chanteurs italiens ; quolibets qui auraient été fort bien accueillis il y a vingt ans, mais qui ne signifient plus rien aujourd'hui, même pour les habitués d'opéra-comique ; car la question est maintenant jugée. Le posthume a protégé l'œuvre d'Hoffmann ; le public a voulu honorer la mémoire d’un homme qui a travaillé longtemps pour ses plaisirs, et n'a point repoussé une boutade sans conséquence. D'ailleurs, une musique fort agréable plaidait en faveur du poème ; cette musique est de M. F. Halevy, frère de celui qui a arrangé le Libretto.

Ce n'est pas un petit mérite que d'avoir composé de jolies choses sur un ouvrage où il ne se trouve presque pas un morceau motivé par quelque situation dramatique. Il était autrefois d'usage parmi nous de reprocher aux Italiens de ne faire que de la musique de concert —, c'est sans doute le même préjugé qui a conduit l'auteur du Dilettante d'Avignon à ne donner à son musicien que des morceaux qui doivent se chanter le papier à la main. S'il en était ainsi dans les opéras italiens, Hoffmann aurait eu raison de se moquer, car rien n'est plus froid ni plus anti musical. Quel que soit le talent de M. Halévy, il n'a pu triompher complètement de situations si défavorables ; il l'a senti, et a voulu du moins montrer de quoi il est capable dans quelques morceaux où il était moins gêné. Son ouverture est charmante. Elle commence par une introduction lente du meilleur goût, dont l'instrumentation est élégante et neuve. L’allegro renferme des mélodies agréables disposées avec habileté et bien instrumentées. Une introduction à l'italienne commence la pièce : La coupe en est bonne —, peut-être aurait-on pu désirer un peu plus de nouveauté dans ses motifs, mais, telle qu'elle est, elle fait un bon effet. Cette introduction est suivie d'un duo chanté par mesdames Casimir et Monsel, dont le thème principal est joli, mais qui me paraît avoir le défaut d'être un peu écourté. Un autre duo chanté par Ponchard et madame Casimir, m'a paru languissant et vague. C'est un de ces morceaux de chant fait seulement pour chanter, et dont l'effet manque toujours de chaleur. La plupart des compositeurs ont échoué contre cet écueil —, je ne connais que monsieur Paer qui ait triomphé complètement de cette difficulté dans son charmant duo du Maître de chapelle. Des couplets chantés par Boulard ont eu peu de succès, ils en auraient eu davantage s'ils eussent été mieux chantés. La froideur que le public avait manifestée pendant les premiers morceaux s'est dissipée dès la ritournelle d'un morceau d'ensemble syllabique et bien rythmé qui commence par ces paroles : vive l’Italie. La conduite de ce morceau est heureuse, et la modulation en est recherchée sans être tourmentée. Peut-être pourrait-on désirer un peu plus de nouveauté dans le motif principal, mais tel qu'il est, cet ensemble, ou si l’on veut ce chœur, a un caractère de verve qui est toujours de bon aloi dans la musique dramatique.

Un morceau qui est, je ne sais pourquoi, nommé dans la pièce duo à trois voix a eu du succès, quoiqu'un peu long et diffus. Le chant en est facile et bien disposé pour les voix. C'est aussi une pièce de concert qui se chante la musique à la main, et qui, conséquemment, est privée de dramatique. M. Halévy y fait tout ce qu'on pouvait attendre d'un musicien habile. Dans le dessein de montrer que les compositeurs italiens ne brillent que parce qu'ils écrivent ordinairement sur des paroles qui ne signifièrent rien, Hoffmann a donné à son musicien, pour thème d'une espèce de finale, ces vers si célèbres et si ridicules de Mallebranche :

Il fait en ce beau jour le plus beau temps du monde

Pour aller à cheval sur la terre et sur l’onde.

Il est certain que beaucoup de finales italiens sont faits sur des paroles qui ne sont guères plus raisonnables, mais les grands musiciens qu'a produit l’Italie, ont fait souvent oublier ces sottises à force de beautés ; monsieur Halévy a plus suivi leur exemple en cette circonstance que son poète ne l’aurait peut-être désiré, car il fait aussi de belle musique sur les stupides hémistiches du philosophe. Après une introduction en canon à la manière de Rossini, il a réuni ses voix dans de belles masses d'harmonie, et a fini par un mouvement vif fort comique, dans lequel il a introduit l’air populaire : Malborough s'en va-t en guerre y pour achever la caricature.

D'après ce que je viens de dire, on voit que si la nouvelle production de M. Halévy n'est pas exempte de défauts, il faut en accuser principalement le sujet et la coupe du pâle libretto qu'il avait à mettre en musique. Dès qu'il a trouvé occasion de déployer son talent, il l’a saisie en homme habile.

Il me reste à parler de l'exécution : malheureusement ce n'est jamais pour moi une occasion de donner des éloges, et ce n'est pas ma faute. Madame Casimir, assez sérieusement indisposée, n'a pu tirer de sa jolie voix tout le parti qu'elle aurait voulu. J'aurais désiré, moi, qu'elle n'eût point entrepris de faire certaines gammes chromatiques qui ne sont que des charges peu plaisantes pour les oreilles d'un musicien : quand on est malade, il faut se mettre au régime. Mademoiselle Monsel a fait quelques progrès dont il faut lui tenir compte : elle a remplacé dans l’ouvrage madame Rigaut, qu'une indisposition éloigne du théâtre. Ponchard a bien chanté, quoique la position et le caractère des morceaux ne fussent pas favorables au genre de son talent ; Boulard a fait, comme à l'ordinaire, la grosse voix sans timbre. Quant à Fargueil, qui jouait le rôle du dilettante, il n'a pas même imité le buffo non cantante du Fanatico per la Musica, car, prudemment, il n'a point fait entendre un son. Malheureusement, les choristes ne l’ont pas imité ; ils en ont fait entendre, eux, et les plus faux possible dans le joli chœur de l’introduction. Ils ont mieux dit dans les deux autres morceaux d'ensemble.

FÉTIS.

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Composer

Fromental HALÉVY

(1799 - 1862)

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publication date : 19/10/23