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La Reine de Chypre. 2e article

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LA REINE DE CHYPRE.
2e Article.

Depuis le 22 décembre, jour de la première représentation de cette œuvre si remarquable, chaque nouvelle épreuve vient sanctionner un succès que nous avions prédit. Pour n’avoir pas réuni l’unanimité des suffrages de la presse musicale, la partition de la Reine de Chypre n’en restera pas moins un des beaux titres de gloire de M. Halevy. Les appréciations critiques qui accueillirent la Juive, à son apparition, portaient un cachet de tiédeur et d’hostilité autrement formidable que la froide polémique des aristarques de nos jours. La brillante carrière de la Juive en a-t-elle souffert la moindre atteinte ? C’est qu’un ouvrage de cette portée ne saurait être jugé sur les chaudes impressions d’une première soirée ; il faut qu’il s’épure au creuset du temps et que toutes les parties qui composent cet imposant édifice se casent insensiblement dans l’esprit des masses. Quand cette épreuve est passée, quand le public a saisi le majestueux ensemble avec tous ses détails, alors seulement l’œuvre du critique pourrait commencer sans risquer d’être démentie par l’opinion.

Cette époque est arrivée pour la Reine de Chypre. Dès aujourd’hui l’on peut affirmer que cette nouvelle partition figure avec éclat entre celle de la Juiveet de Guido.

L’introduction renferme un travail harmonique d’un effet puissant. Ce dialogue si suave entre les instrumens à cordes et les instrumens à vent, coupé par un solo plaintif, annonce mystérieusement l’union de deux cœurs, dont un incident vient détruire toutes les espérances.

Le récitatif et les couplets de Catarina disposent l’auditeur à écouter religieusement le beau duo qui suit et dont la seconde partie s’élève jusqu’à la passion. La ravissante phrase Fleur de beauté fleur d’innocence, est chaque fois accueillie avec le plus vif enthousiasme.

Déjà nous avons jugé le trio qui se développe ensuite avec le concours de Bouché, morceau empreint d’une harmonie riche et distinguée et traité de main de maître. Nous persistons à dire que c’est un des meilleurs élémens de la partition, et ses trois interprètes s’y élèvent constamment à la hauteur du style.

Le final du premier acte est plein de rythme et de vigueur ; il termine puissamment toute cette magnifique exposition.

Le chant des gondoliers qui ouvre le second acte est un des morceaux les plus hardis qu’on ait tentés sur nos scènes lyriques. Il se compose d’une succession de phrases mélodiques auxquelles le chœur répond par quatre accords diversement modulés. Le chant qu’on entend derrière les coulisses est produit à l’unisson par un ténor et un contralto, le premier faisant sa partie à l’octave supérieure. Le singulier mariage de ces deux registres jette bien des auditeurs dans le doute sur la dualité vocale. Quoiqu’il en soit, ce chœur de gondoliers a une physionomie heureuse et piquante ; il obtient et mérite d’unanimes applaudissemens.

L’air qui suit, chanté par Cantarina est assurément un des plus développés qui existent au théâtre.

La cabaletta Mon Dieu soyez béni est une mélodie rythmée avec une grâce exquise. Elle est coupée par une ravissante phrase de hautbois, modulée à la tierce supérieure. Dans toute cette scène, Mme Stoltz est admirable d’expression et de puissance dramatique. On voit que cette cantatrice s’applique à poétiser une situation déjà si riche en contrastes. Chaque représentation accuse chez Mme Stoltz un nouveau progrès et une étude consciencieuse du rôle qui lui est confié.

Le duo qui termine l’acte n’est pas moins important. Le passage Tout me trahit, tout m’abandonne, offre un chant simple, vigoureux, et exprime avec bonheur l’angoisse et le désespoir ; il aboutit à une strette en imitation à l’octave d’un effet puissant et électrique.

Les charmans couplets de Massol

Tout n’est en ce bas monde
Qu’un jeu

sont redemandés chaque soir avec enthousiasme. C’est un chant d’une allure nette et franche, d’un rythme vif et énergiquement dessiné.

Tout a été dit sur le magnifique duo du troisième acte entre Duprez et Barroilhet. Ce morceau, si chaleureusement inspiré, a excité les acclamations de la salle entière. Il est vrai que les deux artistes auxquels il est confié peuvent revendiquer une forte part de l’impression qu’il produit. Rien n’est comparable à l’exécution de ce duo.

Le chœur du clergé cypriote, au quatrième acte mérite également l’attention des connaisseurs. Ce chant plein de majesté ouvre de la manière la plus heureuse la grande cérémonie du cortège. L’air de Duprez qui succède à la scène du débarquement contient des élémens traités avec une grande supériorité.

La romance de Barroilhet, au cinquième acte est parfaitement écrite et produit beaucoup d’effet.

Le grand duo entre Duprez et Mme Stoltz renferme un chant noble et pathétique. Nous avons déjà fait ressortir la phrase si touchante De moi prenez pitié Seigneur ; nous avons également rendu justice au quatuor qui termine la partition.

Cette nouvelle œuvre de M. Halevy, si riche de mélodie et d’instrumentation, brille encore par la manière dont notre célèbre Duprez, Barroilhet et Mme Stoltz s’acquittent de leur tâche, Massol dit assez bien tout son rôle et chante les couplets du troisième acte avec beaucoup de verve. La voix de Bouché est-elle en progrès ? That is the question.

Mais tout en nous appesantissant sur la part des auteurs et des artistes exécutans nous ne devons point perdre de vue la fastueuse mise en scène de la Reine de Chypre et les éblouissantes richesses que l’administration a étalées à nos yeux. C’est pour la Reine de Chypre surtout qu’on peut répéter avec le poète :

Ce spectacle magique
De cent plaisirs divers fait un plaisir unique.

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Composer

Fromental HALÉVY

(1799 - 1862)

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La Reine de Chypre

Fromental HALÉVY

/

Henri de SAINT-GEORGES

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publication date : 16/10/23