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Cendrillon d’Isouard

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Théâtre impérial de l’Opéra-Comique.
Première représentation de Cendrillon, opéra-féerie en trois actes.

Le hasard avoit voulu que jeudi dernier fût le jour choisi pour la représentation de Brunchaut et de Cendrillon : Paris s’étonnoit de voir ces deux grands événements rapprochés et pressés dans la même soirée : c’étoit évidemment mettre les curieux à la torture que de les forcer ainsi à se déterminer entre deux objets également capables d’exciter la concupiscence. On s’attendoit bien que pour apaiser les murmures des mécontens, les deux fameuses représentations seroient séparées, et auroient chacune leur jour à part ; mais l’embarras étoit de deviner laquelle passeroit la première et seroit maintenue dans la possession du jeudi, précédemment fixé par les affiches des deux théâtres. On connoit l’aventure de ces deux femmes qui se trouvant en carrosse dans une rue très-étroite s’entêtèrent à ne point reculer l’une devant l’autre, et finirent par s’en aller à pied. Les deux théâtres se sont montrés bien plus sages que les deux femmes : le Théâtre Français, comme le plus raisonnable, n’a pas cru compromettre sa dignité en cédant le pas à un enfant tel que l’Opéra-Comique ; la fière et terrible Brunchaut a reculé devant la petite Cendrillon. Nous souhaitons à la reine d’Australie, pour prix de sa complaisance, un aussi beau destin sur la scène que celui de la modeste fille du baron de Montefiascone ; car Cendrillon, dans l’opéra est une petite baronne, et n’en est pas plus fière : sa baronnie ne l’empêche pas d’être la très-humble servante de ses sœurs. 

Le conte de Cendrillon est d’une naïveté charmante ; et Perrault, qui n’aimoit pas les anciens, n’en est pas moins un auteur d’une simplicité antique. Mais il est impossible de conserver au théâtre cette précieuse candeur : on y supplée par l’agrément du spectacle, par les charmes de la musique, sur-tout par le jeu des acteurs et des actrices ; et l’on a parfaitement réussi, quand, avec tant de frais, on est parvenu à donner aux spectateurs à-peu-près autant de plaisir qu’en donne aux lecteurs le récit ingénu de l’aventure ; car tout ce qu’on fait au théâtre pour la broder, en affoiblit nécessairement l’intérêt principal.

La scène est donc en Italie. Le baron de Montefiascone a deux filles dont il est idolâtre : ce sont, comme toutes les filles que l’on gâte, des orgueilleuses et des sottes. Cendrillon n’est que la fille de sa seconde femme : c’est la meilleure fille du monde ; mais son beau-père la maltraite, et la force à servir ses sœurs comme une esclave : sa place est au coin du feu, et c’est de là que lui vient son nom de Cendrillon. On la voit, au lever de la toile, occupée à préparer le déjeuner, pendant que ses sœurs se disposent à un bal que donne le roi du pays. Un pauvre se présente et demande l’aumône : les sœurs le rebutent ; Cendrillon le fait asseoir auprès du feu, lui donne un morceau de pain ; mais dès que les deux sœurs s’en aperçoivent, le malheureux est impitoyablement chassé. Ce pauvre est un magicien déguisé, et Cendrillon éprouvera bientôt les effets de sa reconnoissance. En attendant, elle sert le déjeuner à son père et à ses sœurs ; et pour la punir du bon accueil qu’elle a fait au pauvre, on la condamne à manger son pain sec.

Le bruit du cor annonce que le roi chasse dans les environs ; il pourroit bien venir au château du baron : les sœurs volent à leur toilette. Le roi arrive en effet seul avec le sage Alidor son précepteur : cet Alidor est précisément le magicien qui a éprouvé le bon cœur de Cendrillon. Le roi garde l’incognito, déguisé sous l’habit d’un simple écuyer. Cendrillon leur parle, leur conte ses malheurs dans une romance fort agréable, et qu’elle chante avec beaucoup d’intérêt : ils sont enchantés de sa naïveté, et touchés de sa situation. Cependant les sœurs reviennent de leur toilette, magnifiques et rayonnantes. Le baron les présente au sage Alidor et à son compagnon ; il apprend d’eux avec ravissement que le roi doit envoyer un carrosse à ses filles pour les conduire au bal. La pauvre Cendrillon meurt d’envie de voir ce bal : elle en demande la permission à son père, à ses sœurs, qui l’accablent de mépris ; mais le sage Alidor la console, et lui assure qu’elle ira au bal. Tel est le premier acte, qui me semble le meilleur des trois, celui où il y a le moins de fracas, et où l’on a le plus conservé de l’esprit du conte.

Le second s’ouvre par un tour de magicien : dans une superbe chambre du palais, on voit Cendrillon magnifiquement vêtue, et dormant sur un lit de repos très-riche : le bruit de la musique a bientôt troublé son sommeil. Qu’on juge de sa surprise : elle s’étoit endormie Cendrillon, et se réveille princesse ! Le sage Alidor vient rassurer, instruire, exhorter sa protégée : il lui fait présent d’une rose magique ; admirable talisman qui donne tout-à-coup à Cendrillon les graces, les talens, le bon ton, et l’empêche d’être reconnue par ses sœurs. Ces deux impertinentes ne tardent pas à paroitre, gonflées de vanité, sûres de la conquête du roi ; car c’est là le grand motif qui réunit au bal toutes les femmes de la contrée. Le roi doit ce jour même choisir une épouse : toutes s’embarrassent peu du roi mais toutes aspirent à la couronne.

Ce petit roi d’un coin de l’Italie est aussi délicat que le roi de Pologne dans la Revanche ; il veut être aimé pour lui-même : c’est une fantaisie qui prend quelquefois aux rois de théâtre et de romans, dans le monde, il ne leur arrive guère de vouloir séparer leur personne d’avec leur fortune. Pour tromper l’ambition de tant de rivales, le jeune élève d’Alidor leur montre à sa place un roi postiche ; celui qu’il choisit pour le représenter est un sot ; un imbécile, qui se trahit à chaque mot, et dément le rôle dont il est chargé. Le piège en est plus innocent, mais non moins dangereux. Le prétendu roi, fût-il plus niais et plus ridicule encore, n’en seroit pas moins l’objet des adulations, des adorations, de l’idolâtrie de toutes les femmes, qui ne voient en lui que son rang. Le véritable roi, déguisé en simple écuyer, est dédaigné de tout le monde : les sœurs de Cendrillon, sur-tout, le traitent avec la plus grossière insolence, tandis qu’elles prodiguent les plus basses flatteries au nigaud couronné. Cendrillon seule est aussi bonne, aussi franche à la cour, qu’elle l’étoit chez elle au coin du feu : elle reconnoit ses sœurs ; et malgré leur froid accueil, elle les comble de caresses et de présens. Le petit écuyer l’aborde ; et comme il paroit tout triste des affronts qu’il essuie, elle le plaint, le console, et lui témoigne le plus tendre intérêt : cet intérêt est bientôt de l’amour. L’écuyer est plus joli garçon que l’imbécile qui le représente en qualité du roi. Cendrillon est sensible à ses hommages, et les reçoit avec une aimable modestie ; elle l’accepte pour son chevalier, et lui donne pour devise : simplicité, constance. Enflammé des faveurs de sa dame, l’amoureux écuyer soutient dans un tournoi l’honneur de sa beauté, et sort vainqueur de tous les combats ; il revient avec toute la cour. Le faux roi monte sur son trône ; les sœurs de Cendrillon étalent devant lui leurs graces et leurs talens. Alors on ordonne à Cendrillon de danser. Elle prend un tambour de basque, entonne une ronde, et dans les intervalles des couplets, exécute de petits pas avec beaucoup de précision, et de manière à faire honneur à madame Coulon, sa maîtresse. Ces pas ne seroient rien pour une danseuse de l’Opéra ; ils plaisent dans une actrice de Feydeau, qui n’est pas obligée de danser, et de qui l’on attend que de l’aisance et de la grace. C’est ainsi qu’au Théâtre Français, dans les Trois Sultanes, le public est enchanté d’un petit air que Mlle Leverd chante avec goût, et de quelques pas qu’elle trace avec légèreté. L’écuyer, aussi passionné que Soliman, présente à Cendrillon la couronne, comme de la part du roi. Le roi postiche descend alors de son trône, et veut aussi couronner la belle inconnue. Cendrillon, qui ne veut point du roi, et n’a que son écuyer dans la tête, jette la couronne, et s’enfuit avec tant de précipitation, qu’elle laisse tomber en chemin un de ses souliers verts. Cet acte beaucoup plus chargé que le premier, malgré le spectacle, la musique et la danse, me paroit moins agréable, parce qu’il s’éloigne plus de la comédie, et que l’intérêt y est étouffé sous la foule des accessoires.

Dans l’intervalle du second au troisième, le roi prête-nom est détrôné ; l’écuyer, redevenu roi, est désolé de ce qu’il ne lui reste plus de tous les charmes de sa maîtresse, qu’un soulier vert dont la forme atteste qu’il appartient au plus joli pied du monde. L’acte s’ouvre par un air de bravoure chanté par Mlle Regnault, et fort applaudi ; mais le jour d’une première représentation, il est prudent de ne pas juger tout-à-fait du mérite des choses par le bruit des applaudissemens. Si l’on s’en tenoit à cette règle, presque tout seroit parfait dans l’opéra nouveau : car presque tout a été applaudi avec les mêmes transports ; mais les airs de bravoure ont toujours tort dans les momens où l’on désire avec impatience que l’action marche : ce sont des obstacles dont la curiosité s’irrite ; et c’est alors que le dépit s’écrie : Musique, que me veux-tu ? L’autre sœur survient après l’air de bravoure, et quoique ce soit madame Duret, on craint qu’elle ne veuille aussi faire briller mal à propos son gosier ; mais on en est quitte pour la peur. Il s’agit bien d’une autre chanson : on apprend que ce roi si fêté n’est plus roi ; lui-même vient certifier aux deux sœurs qu’il n’est qu’un misérable ; et l’embarras qu’il éprouve à faire cette déclaration rappelle la scène de Pasquin avec Lisette dans le Jeu de l’Amour et du Hasard.

Les sœurs crèvent de colère : elles en ont d’autant plus sujet, que c’est le petit écuyer tant méprisé qui est le vrai roi, et que le premier usage qu’il fait de son autorité est d’ordonner qu’une des deux sœurs épouse le ridicule mannequin qui le représentoit. Dans l’excès de leur mauvaise humeur, elles reçoivent fort mal Cendrillon, revenue à la cour avec ses habits de servante, d’après l’appel que le roi vient de faire à toutes les filles nobles de ses États. L’objet de cet appel est de leur faire essayer le soulier vert, et d’épouser celle à qui cet essai sera favorable ; mais on n’auroit jamais fini s’il eût fallu présenter à tous les pieds des prétendantes cette merveilleuse chaussure. À l’aspect du soulier vert, Cendrillon s’écrie naïvement que c’est le sien, et le prouve en le chaussant.

Cet acte est le plus vide : on y trouve cependant de bonnes scènes ; entr’autres, celles où les deux sœurs veulent faire épouser à Cendrillon le niais qui a fait le roi, est assez plaisante ; et celle où Cendrillon rencontre son chevalier, qui ne la reconnoît pas, offre de l’agrément. Mais le vice du sujet, c’est que du moment où le magicien prend sous sa protection Cendrillon, on n’a plus d’inquiétude sur son sort ; il ne reste plus que la curiosité de savoir comment il s’y prendra pour faire la fortune de sa protégée. L’auteur a donc eu besoin de beaucoup d’art et de talent pour ajuster ce sujet au théâtre aussi heureusement qu’il l’a fait : la nécessité de suppléer à l’intérêt est une excuse pour le fracas du spectacle auquel il a eu recours. L’éclat des décorations, la multitude des acteurs, les chœurs, la danse, sont des remplissages dont on ne peut guère se passer quand l’action ne suffit pas par elle-même pour attacher.

Le premier acte est très-satisfaisant ; le second est remarquable par la métamorphose de Cendrillon en princesse, et sur-tout par une scène de Cendrillon avec le roi déguisé en écuyer. L’ensemble des trois actes est amusant, sauf quelques longueurs qu’il est aisé de faire disparoitre. Le succès étoit assuré dès que Mlle Alexandrine Saint-Aubin jouoit le rôle de Cendrillon : la faveur publique qui s’est déclarée si hautement pour elle pendant tout le cours de ses débuts est encore dans toute sa force : elle la mérite d’ailleurs par un naturel exquis, et des graces qui lui sont particulières : ce n’est plus ici la copie de sa mère ; c’est un rôle nouveau qu’elle établit. Il est vrai que c’est encore, dans le premier acte, la petite servante d’Ambroise, mais dans les suivans, elle s’élève fort au-dessus des ingénuités enfantines, grace à la rose du magicien : elle a de la noblesse, de la sensibilité, de l’énergie ; on peut augurer qu’elle conservera long-temps ce talisman.

Il y a deux niais dans la pièce. Le premier est le père, qui est aussi ridicule que le comte Sigismond dans la Revanche : ce rôle est bien joué par Juliet. Le second est le faux roi : Lesage y est aussi plaisant que dans M. des Chalumeaux. Il y a de l’esprit et de bonnes plaisanteries dans le dialogue.

La musique fait honneur au talent de M. Nicolo : la romance sur-tout, et la ronde accompagnée du tambour de basque. On y remarque des duos agréables entre les deux sœurs : le premier est trop chargé d’ornemens, uniquement propres à faire briller, non la voix, mais le gosier. Les rôles des deux sœurs sont confiés à deux cantatrices distinguées, qui le font bien valoir. Madame Duret a beaucoup contribué, ainsi que sa sœur cadette, au succès de la pièce. Mlle Regnault a donné une nouvelle preuve de ses heureuses dispositions pour le jeu et le chant théâtral : le public l’ai traitée de manière à n’exciter entre les sœurs aucune jalousie. Paul a joué le rôle du roi avec beaucoup d’énergie et de sensibilité. Cet acteur zélé et laborieux acquiert chaque jour de nouveaux droits à la faveur publique. La plupart des morceaux de chant sont un peu longs : ils ne sont pas toujours bien placés, et retardent quelquefois la marche de l’action. L’auteur des paroles, M. Etienne, qui a déjà enrichi ce théâtre de plusieurs productions ingénieuses, soutient avantageusement sa réputation dans celle-ci. Les auteurs ont été demandés avec empressement, et applaudis avec enthousiasme, ainsi que Mlle Alexandrine Saint-Aubin. 

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Composer, Editor

Nicolò ISOUARD

(1773 - 1818)

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Nicolò ISOUARD

/

Charles-Guillaume ÉTIENNE

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publication date : 21/09/23