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Académie royale de musique. Renaud

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ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE
Reprise de Renaud, tragédie lyrique en trois actes, musique de Sacchini. – Rentrée de Mlle Bigottini dans le ballet de Nina.

Cette représentation, donnée au profit des pensionnaires de l’Opéra a eu quelque chose de bizarre ; elle ne composait d’une tragédie et d’un ballet. La tragédie était à la glace, et les beaux airs de Sacchini ont paru aussi insipides que des pirouettes ou des entrechats ; mais en revanche le ballet a brulé, comme on dit, les planches, et une pantomime a fait couler autant de larmes que les vers les plus touchants de Racine : à qui le tort ? à qui la gloire ? Est-ce aux auteurs ? est-ce aux exécutants ? La réponse ne peut pas être douteuse : M. Milon serait le premier à la fournir ; il n’a pas la prétention de lutter de talent avec l’auteur d’Œdipe à Colonne.

Renaud n’a point sans doute la réputation de ce dernier opéra : le poëme absurde sur lequel le musicien a travaillé a dû plus d’une fois refroidir son génie et arrêter son inspiration. La pensée du poëte féconde celle du compositeur : elle le guide, le soutient, ou bien le déconcerte et l’égaie. C’est un germe dont le développement lui est confié : si le germe est vicieux, le travail et les soins pourront en corriger, mais non en réformer entièrement la nature : ainsi, toute la magie des couleurs adoucirait, sans la sauver, la défectuosité d’une esquisse irrégulièrement tracée.

Renaud fut donné pour la première fois en 1783. Sacchini n’était alors connu en France que par son joli opéra de laColonie ; parodié sur les paroles italiennes. À cette époque, l’esprit de parti qui avait si longtemps divisé les défenseurs de Gluck et ceux de Piccini, commençait à s’affaiblir ; il en avait été de cette querelle comme il en a été depuis de bien d’autres plus sérieuses, où l’on se dispute sans vouloir s’entendre, et où, après s’être entendu -, on est aussi honteux que surpris d’avoir disputé. La musique est du chant, disait les Piccinistes, et Gluck ne chante pas, donc il n’est pas musicien ; une pièce de théâtre, répliquaient les Gluckistes, quelle qu’elle soit, doit parler à l’âme, peindre les passions, exprimer les sentiments : or, Piccini ne flatte que l’oreille ; ainsi sa musique n’est pas une musique de théâtre. Les deux principes sur lesquels on s’appuyait de part et d’autre, étaient incontestables : la passion seule a pu refuser à l’auteur de Didon l’expression dramatique, et à celui d’Orphée le charme de la mélodie ; mais enfin le temps commençait à faire justice à ces billevesées, lorsque Sacchini en quelque sorte se placer entre les deux rivaux, et fondant dans sa manière les qualités que chacun d’eux possédait éminemment, joignant aux agréments d’un chant toujours pur la force et la vérité du sentiment dramatique, réunit en sa faveur les opinions de tous les partis, à l’exception de quelques chefs opiniâtres qui lui savaient mauvais gré de ne pas s’être rangé exclusivement sous la bannière du maître qu’ils avaient choisi.

Il n’est pas inutile de rappeler de temps en temps ces disputes oubliées aujourd’hui, et qui eurent quelquefois alors des suites déplorables. Ces souvenirs ne sont pas perdus, puisqu’ils nous font reconnaître le danger et le ridicule du fanatisme ; on se battait alors pour des chansons par cet esprit d’irritation et d’orgueil qui, non seulement nous attache à nos opinions, mais encore veut y soumettre les autres : je pense ainsi ; pense de même, ou je te tue, cette maladie est ancienne et ne date pas comme quelques autres de la découverte du Nouveau-Monde.

La Harpe était tenace dans sa manière de voir et de juger ; il était avec Marmontel l’un des plus ardents chevaliers de la musique de Piccini : hors Piccini, point de salut. Dans sa correspondance avec le grand-duc, il lui rend compte de la première représentation de Renaud ; et, suivant lui : « À l’exception de deux ou trois morceaux ou l’on retrouve le caractère d’un grand maître, la musique a paru faible, et remplie de traits déjà connus. » Voilà tout ce que la musique de Renaud lui fournit d’observations ; mais des lettres entières ne lui suffisant pas, lorsqu’il parle de Didonet de Pénélope ; et l’année suivante, à l’occasion du Dardanus de ce même Sacchini qu’il condamne en deux mots et sans daigner motiver son arrêt, il ajoute gravement : « Renaudet Chimène, quoique joués souvent, n’ont pas la même place, à beaucoup près, que Didon, Iphigénie et que cette Iphigénie et Rolland les chefs-d’œuvre de notre scène lyrique. » Remarquez que cette Iphigénie dont il parle est celle de Piccini, et qu’il ne nomme aucun des cinq chefs-d’œuvre de Gluck, qui tous sont restés à la scène.

Bachaumont est plus impartial que La Harpe : « Le résultat du jugement des connaisseurs est que si M. Sacchini n’a pas les saccades, les cris, les déchirements du musicien allemand, il a infiniment plus de douceur, d’agrément et de chant, et que non moins pur, non moins élégant, non moins mélodieux que M. Piccini, il n’est jamais monotone et soporatif comme lui ; il a une énergie bien supérieure. »

Si la musique de Renaudest si pure, si harmonieuse, si énergique, comment donc a-t-elle paru avant-hier si monotone et si soporative ? C’est qu’elle a été non point médiocrement, non point mal, mais horriblement mal exécutée.

Cependant, c’était Mme Branchu qui jouait Armide ! Oui, c’était Mme Branchu ; il y a plus, Nourrit jouait Renaud, et Mlle Armand Antiope ; mais l’humidité de la saison avait enrhumé apparemment et la princesse de Damas, et le chevalier Ferrarrais, et la superbe Amazone. D’un autre côté, Lays avait abandonné à Bertin le rôle d’Hidraot, pour lequel, comme dit M. Jourdain, il n ‘eût pas été trop bon lui-même ; et Dérivis, qui n’aurait point dérogé en chantant un rôle créé par Chéron, avait déserté pour les banquettes de l’orchestre les remparts d’Ascalon et les tentes de la Palestine.

Ainsi, de cinq rôle, deux ont été sacrifiés à l’amour-propre, et les trois autres à un système de chant qui a détruit, qui a fait disparaître entièrement toutes les intentions du compositeur. Que l’on essaie de jouer Athalie aux Français comme Renaud l’a été avant-hier à l’Opéra, et Racine paraîtra aussi ennuyeux que l’a paru Sacchini.

Il faut d’abord se faire une illusion un peu forte pour voir dans Mme Branchu cette Armide qui, d’un seul regard, enflamme les Sarrazins et les chevaliers chrétiens, les traîne en esclaves à son char, et en fait à son gré les jouets de ses caprices ou les instruments de ses vengeances. Mme Saint-Huberti, je le sais, si admirable dans ce rôle, n’était point un modèle de beauté ; mais elle avait une taille élégante, une démarche noble, un port de tête majestueux ; et l’expression de son âme passant à chaque instant sur son visage, lui prêtait ce charme de physionomie qui, pour l’actrice, est bien préférable à la froide régularité des traits.

Mme Branchu a contracté l’habitude très extraordinaire d’une grimace qui, dans les moments les plus pathétiques, offre l’image d’un rire sardonique, et ce rire affecté et pénible forme avec la situation le contraste le plus désagréable. J’ai déjà eu plusieurs fois l’occasion d’en faire l’observation, et je la renouvelle ici moins pour l’actrice à laquelle cet avertissement sera désormais inutile, que pour les jeunes élèves qui pourraient se faire un mérite d’imiter les défauts d’une actrice célèbre.

Cependant ces défauts seraient facilement rachetés par le mérite du chant qui, occupant comme de raison la première place sur un théâtre lyrique, doit y tenir lieu ou du moins obtenir la dispense des qualités dont la réunion complète est si rare dans un même sujet. Hé bien ! je le dis à regret, Mme Branchu, si souvent et si justement applaudie dans d’autres rôles, semblait avoir perdu tous ses avantages dans un de ceux où il lui eût été le plus facile de s’en prévaloir.

Ainsi, ce beau duo du second acte :

Seras-tu toujours inflexible ?
M’es-tu donc ravi sans retour ?

a été chanté avec une mollesse, une langueur, une afféterie même qui semblait donner un démenti continuel aux sons vigoureux par lesquels le musicien a si bien exprimé et les tourments d’Armide et la violence de sa passion effrénée. Une femme qui ose dire à son amant : Comble mes vœux, et qui va aussi droit au but, n’est point une soupirante des bords du Lignon.

Que dirai-je de l’air magnifique :

Barbare Amour, tyran des cœurs,
Ne te lasses-tu point de voir couler mes pleurs ?

Vous croyez peut-être que Mme Branchu, se laissant aller à l’inspiration de son guide, a fait au moins deviner, dans ce morceau, ce que tout le monde y voit au premier coup d’œil, une imprécation contre l’amour ; que le mot de barbare, si sensiblement accentué dans la partition, a été prononcé du ton de l’indignation et du reproche ; que cette autre expression : Ne te lasses-tu pas, si bien parquée par une tenue, a été détachée et rendue avec l’accent de l’accablement et du désespoir ? Rien de tout cela : nous chantons aujourd’hui la musique d’une manière toute différente que du temps de Mme Saint-Huberti. Le corps de l’air, sa triple ritournelle, tout le morceau enfin a été filé avec une grâce, une douceur, une gentillesse charmantes : Mme Barilli ne chantait pas mieux la romance du petit page, et Mme Dugazon n’était pas plus agréable dans les Amours d’été.

Il en a été de même à plus forte raison de l’air :

Et comment veux-tu que je vive ?

air qui est tout de passion, à la vérité ; mais encore une fois, la passion d’Armide n’est pas celle de l’innocence devenue sensible : l’amour dans une magicienne qui va se promener aux enfers, ou qui les appelle sur la terre, doit conserver un goût de terroir. C’est pour bien exprimer cet amour qu’il faut avoir véritablement le diable au corps.

Mme Branchu n’a eu que deux beaux moments : c’est celui où, dans le premier acte, elle promet sa main au guerrier qui lui apportera la tête de Renaud ; et, lorsque, au troisième acte, elle s’indigne contre les divinités infernales qu’une puissance supérieure rend rebelles à ses volontés.

Mlle Armand n’a qu’un air :

Élevée au sein des alarmes ;

mais il est superbe, et il commença la réputation de Mlle Maillard. J’ai bien peur qu’il n’achève celle de Mlle Armand : au lieu de la chanter avec la dignité qui convient à une femme guerrière, elle n’y a fait entendre que des sons aigus et discordants ; on eût dit les cris d’une femme en couches : ce qui n’est ni dans les convenances ni dans es mœurs d’une amazone.

Nourrit, dont la voix est ordinairement si juste, s’est oublié dans un passage très élevé, où il a manqué son intonation : il n’a ni assez de chaleur ni assez de noblesse pour représenter le vainqueur de [illisible] :

Armé, c’est le dieu de la Thrace ;
Otez le casque, c’est l’Amour.

Casqué ou non casqué, Nourrit n’a rien de commun avec Renaud.

Les choristes n’ont pas voulu être en reste avec leurs chefs de file. Rien n’est plus célèbre à l’Opéra que le serment du premier acte de Renaud :

Arbitre souverain du sort.

Sacchini, pour en rendre l’effet plus imposant et lui imprimer un caractère à la fois plus réfléchi et plus religieux, a imaginé de le faire chanter à demi-voix : on a bien exécuté le matériel de son idée ; mais, quant à son intention, elle avait entièrement disparu. Les princes conjurés avaient plutôt l’air de se chuchoter une confidence amicale, que de s’enchaîner à un grand exploit par un engagement solennel.

Ainsi le public, pour qui, en grande partie, cet opéra d’un de nos plus grands maîtres était entièrement nouveau, n’a point été mis à même de le juger. Il est probable que, malgré sa supériorité évidente sur tout ce qu’on nous a donné depuis vingt ans, cet ouvrage retombera enseveli dans le gouffre du répertoire, à moins que, par une détermination vigoureuse, les premiers sujets ne s’entendent entr’eux, les uns pour le réétudier, ce qui ne sera pas le plus facile, les autres pour y reprendre la place qu’ils ont trop légèrement cédée à leurs doubles.

[...]

C.

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Antonio SACCHINI

(1730 - 1786)

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Jean-Joseph LE BŒUF

Permalink

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publication date : 03/11/23