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Premières représentations. Les Barbares

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PREMIÈRES REPRÉSENTATIONS
Théâtre national de l'Opéra : Les Barbares, tragédie lyrique en trois actes et un prologue de MM. Victorien Sardou et Gheusi. Musique de M. Camille Saint-Saëns.

Une Première à l'Opéra ! Il y a donc encore des Premières à l'Opéra ? Mais oui, une fois, deux fois l'an. C'est un théâtre où l'on travaille beaucoup… Demandez aux jeunes compositeurs… Et on y travaille sans le moindre bruit. Par exemple, pour les Barbares ; personne ne se doutait que M. Gailhard montât les Barbares ! Il avait tenu la chose secrète… Aussi quel événement !...

Moquerie à part, c'est un événement que l'apparition des Barbares. Une œuvre de M. Saint-Saëns est toujours un événement. Et sachez tout de suite que la nouvelle partition du maître contient des pages de très haute beauté.

Les Barbares ont pour cadre le théâtre romain d'Orange, et c'est à ce théâtre même que la première représentation en eût été donnée, si des difficultés n'étaient venues anéantir ce beau projet.

Le livret de MM. Victorien Sardou et Gheusi a le mérite d'être très clair. Mais on s'est accordé à lui reprocher une simplicité exagérée, à trouver qu'il n'offrait pas au musicien un assez grand nombre de moments dramatiques. MM. Gheusi et Sardou répondent, croyons‑nous, à ce reproche, qu'ils ont voulu écrire non pas un drame, mais une tragédie, et que, d'ailleurs, M. Saint-Saëns souhaitait que cette tragédie fût la moins compliquée possible…

Voici cette « tragédie » :

« Un siècle avant le Christ, Rome trembla. Contre elle, trois cent mille Germains, géants aux cheveux roux, chassés du Nord brumeux que l'ouragan harcèle, s'abattirent soudain hurlant comme des loups… Dans Orange investie, une jeune Vestale, seule, arrêtant le flot impur, maîtrisa la tourbe brutale par l'auguste fierté de son regard d'azur. Vierge, elle se donne pour racheter la ville. Cypris malgré Vesta s'éveilla dans son cœur. Mais la chaste déesse à tout amour hostile vengea l'outrage aux dieux dans le sang du vainqueur. »

Cela est du moins le résumé de la tragédie et ce sont les propres paroles – les vers – qu'au prologue un récitant, à la manière antique, vient nous dire.

Entrons maintenant dans l'action même.

Les Germains ont assiégé Orange, et les Romains luttent désespérément aux portes de la ville sous les ordres des consuls Euryale et Scaurus. On apprend tout à coup qu'Euryale vient de succomber, et Scaurus arrive tout sanglant, annonce la défaite, ordonne aux femmes de fuir pour ne pas tomber aux mains de l'envahisseur… Celles-ci obéissant, excepté Floria, jeune prêtresse de Vesta, qui a confiance en la protection de sa déesse, et Livie, femme d'Euryale, Romaine hardie, qui a juré de venger la mort de son époux…

Les « Barbares » envahissent la place (nous sommes aux portes du théâtre d'Orange, lequel, disons-le en passant, n'était pas construit un siècle avant le Christ). Ils sont conduits par Marcomir, qui leur a laissé liberté de viol et de meurtre, et ils vont se précipiter sur les Vestales quand leur chef les arrête… C'est que Marcomir vient d'apercevoir Floria. et il est tombé en extase devant la divine beauté de la prêtresse... Et c'est le premier acte.

Au second acte, Floria obtient de Marcomir la grâce de Scaurus qui avait fui et que les Germains ont fait prisonnier... Et Floria croit Orange sauvée… Et dans son âme elle remercie Vesta…

Mais Marcomir réclame le prix de ses bienfaits. Il aime Floria d'un amour éperdu. Il la veut. Floria le repousse. Alors il menace de faire massacrer tous les Romains d'Orange ; et, folle de douleur, la prêtresse promet de se sacrifier…

Marcomir, de barbare, brutal et féroce qu'il était tout à l'heure, devient l'homme le plus doux et le plus tendre. Il n'a plus que des paroles d'amour, et peu à peu un trouble étrange emplit le cœur de Floria… C’est Vénus qui triomphe de Vesta ; et la prêtresse s'abandonne d'elle-même aux caresses du Germain…

Troisième acte. La ville est délivrée. Chants, danses, farandoles. Les Barbares vont partir. Marcomir, pour prix de sa générosité, ne réclame que Floria. Elle le suivra…

Mais on célèbre les funérailles d'Euryale. Et voici Livie toujours préoccupée de vengeance. Elle demande que Floria lui permette de la suivre… Elle finira bien par découvrir le meurtrier de son époux... Floria y consent. Or, le meurtrier d'Euryale, c'est Marcomir. L'apprenant, Floria se trouble, ne veut plus que Livie l'accompagne. Mais Livie devine la vérité :

Oui, chante-t-elle, je tuerai le lâche qui a frappé Euryale dans le dos.

Alors Marcomir :

Tu mens, c'était au cœur !

« Au cœur donc ! » s'écrie Livie et elle le tue du même glaive qui avait tué Euryale.

La partition, vous ai-je dit, contient des pages de rare beauté. On y retrouve tout entier M. Saint-Saëns, la noblesse de son inspiration, la simplicité savante et la pureté de son style.

« Pour moi, le drame doit rester sur la scène et l’orchestre ne peut prétendre à un plus beau rôle que d'exprimer les sous-entendus, les dessous innombrables de l'action. C'est un accompagnateur d'abord, c'est ensuite un commentateur. La voix, l'instrument divin, inimitable, doit toujours garder la première place. »

Ceci est une déclaration de principes que M. Saint-Saëns a faite il y a quelques jours à M. Gustave Larroumet… Dans les Barbares, la voix a, en effet, la première place, et cela nous vaut des chœurs et des duos délicieux. Mais, faut-il le dire, à certains moments, et particulièrement au premier acte, à l'entrée des Barbares furieux, on regrette que le rôle de l'orchestre soit quelque peu mince et court. On voudrait que M. Saint-Saëns, nuanceur exquis, fût plus souvent coloriste.

La mise en scène est soignée, trop soignée. Tous les Barbares qu'on nous a montrés manquent de pittoresque à un point que je ne saurais dire. Il faudrait que M. Gailhard voulût bien se mettre à l'école d'Antoine ou de Gémier. Le décor du second acte est harmonieux, mais il ne donne qu'une impression assez lointaine de l'immense théâtre romain.

Bonne interprétation M. Delmas fait tour à tour le récitant et Scaurus. On a admiré une fois de plus sa généreuse voix et son incomparable diction. M. Vaguet – Marcomir – chante bien, mais comme son jeu est peu expressif ! Mlle Hatto, la prêtresse Floria, est délicieuse à voir sous ses voiles blancs aux lignes pures et harmonieuses. Elle chante avec sentiment, mais sa voix est un peu frêle. Et pourquoi n'articule-t-elle pas mieux ? On ne l'entend bien qu'à la condition – qui, d'ailleurs, n'a rien d'ennuyeux – de la regarder avec des jumelles, c'est-à-dire à la condition de voir de très près les mouvements de sa bouche. Mme Héglon – Livie – a été dramatique avec puissance, et on doit citer enfin : MM. Riddez et Rousselière, qui se tirent fort bien de rôles peu importants.

Édouard SARRADIN.

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(1835 - 1921)

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Victorien SARDOU Pierre-Barthélemy GHEUSI

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publication date : 30/11/23