Revue musicale. Le Tribut de Zamora
REVUE MUSICALE
Théâtre National de l'Opéra : le Tribut de Zamora, opéra en autre qactes, paroles de MM. d'Ennery et Brésil, musique de M. Charles Gounod?
Voici don Galceran de Silva, l’autre Cid !
On lui garde à Toro, près de Valladolid,
Une châsse dorée où brûlent mille cierges ;
Il affranchit Léon du tribut des cent vierges !
Ce tribut annuel fut exigé des Espagnols, au dixième siècle, par le Maures, victorieux à Zamora. Oviedo, capitale du royaume des Asturies, en était exemptée, ce qui fait que les jeunes filles de la ville pouvaient en toute sécurité suspendre à leur balcon attacher à leur corsage le bouquet offert par celui qu’elles avaient choisi pour époux.
[Résumé de l’intrigue]
J’ai vu mourir avec regret cet aimable guerrier. Il avait une voix charmante, portait avec aisance et dignité un magnifique costume, montait fort bien à cheval et chantait la romance comme un vrai troubadour. Il m’était on ne peut plus sympathique, et j’avoue qu’entre Manoël et lui, à la place de Xaïma, j’eusse peut- être hésité.
Ma foi, j’ai eu beau vouloir me hâter, je n’ai pu résister au plaisir d’analyser le Tribut de Zamora dans ses moindres détails.
Le lecteur connaît maintenant le livret (je crois qu’il n’y a pas lieu de dire le poème) comme s’il l’avait lu. Que ne puis-je, même par une analyse non moins détaillée, lui faire aussi bien connaître la partition ! Cette partition, très volumineuse (elle a cinquante-six pages de plus que celle de Polyeucte), je l’ai là devant moi, ouverte encore à la page où sonne la fanfare de l’hymne national : Debout enfans de l’Ibérie, à la page où flamboie le regard inspiré de Gabrielle Krauss, où sa voix et son geste ont électrisé le public. Elle était tombée évanouie, à demi morte, la grande artiste, la grande tragédienne, et elle s’est relevée pour serrer la main du maître, au bruit de frénétiques applaudissemens.
Mais est-ce bien là, quant à la valeur purement musicale, le point culminant de l’œuvre ? Je ne le pense pas, et j’aime à croire que M. Gounod lui-même n’est pas d’un avis absolument différent du mien. N’importe que cette phrase soit ce qu’elle soit, elle a fait courir, par la façon dont elle a été interprétée, un frisson dans toute la salle. Ah ! combien je lui préfère la touchante romance d’Hermosa au quatrième acte : « J’ai trouvé, moi, le temps bien long », romance qui aboutit, il est vrai, à un ensemble un peu trop franchement italien, mais qui est pleine de tendresse, de charme, et que Mlle Krauss chante délicieusement. Quelle grâce, quelle élégance aussi dans le contour mélodique de l’andante : « Es-tu donc une fée », dit par Mlle Krauss avec une expression si vraie, avec un style si pur !
Le chant patriotique que j’ai cité plus haut n’est qu’un épisode dans le beau duo placé à la fin du troisième acte, duo dont la coda rappelle la manière de Donizetti, mais qui est construit avec une science réelle, supérieurement développé et précédé d’un large et dramatique récit.
Voyez comme le talent de Mlle Krauss m’impressionne et m’impose ! Ce sont les morceaux qu’elle chante que je cherche d’abord dans la partition. J’y trouve encore la scène du second acte dont j’aime le pathétique andante : Pitié, je ne suis qu’une pauvre hirondelle, et dont l’allegro débute par une phrase qui a tout l’élan de ce cri sublime d’Agathe dans le grand air du Freischütz :
Ciel clément, je te rends grâce !
Ta bonté comble mes vœux.
(Traduction de M. Emilien Pacini).
Le rôle d’Hermosa me semble donc le plus complet et le meilleur de l’ouvrage. Dans celui de Ben Saïd, écrit pour M. Lassalle, le compositeur s’est surtout préoccupé des qualités vocales de ce remarquable chanteur, de celles du moins que M. Lassalle aime à faire briller, à cause sans doute de l’action certaine qu’elles ont sur le public : le charme dans la demi-teinte, l’accent harmonieux et doux. Et M. Gounod, sollicité, dit-on, par son interprète, a mis dans le rôle de Ben Saïd plus de romances sentimentales et de cavatines amoureuses qu’il n’en aurait fallu donner à chanter, peut-être, à un guerrier sarrazin, fût-il plus sentimental et plus amoureux encore. M. Lassalle peut cependant être autre chose et mieux qu’un baryton ténorisant : il l’a bien prouvé par la façon mâle et énergique dont il a dit la belle mélopée du finale du premier acte, soutenue par un dessin d’orchestre d’un mouvement si dramatique, d’une allure si noble et si magnifiquement cadencée, puis au quatrième acte la strette de son duo avec Xaïma, strette, soit dit entre parenthèses, qui rappelle un peu trop, surtout par la similitude du rythme, celle du trio précédent.
C’est, aussi dans le même mouvement, dans le même rythme ternaire, qu’est écrite la Kasidah chantée par Hadjar au deuxième acte. Le manque de carrure de la première partie de ce morceau, très habilement dissimulé par le dessin de l’accompagnement, lui donne une certaine originalité, et il me semble que, malgré l’accent qu’a su lui prêter la voix mordante de M. Melchissédec, il n’a pas été assez remarqué.
Le rôle de Xaïma n’est point, fort heureusement, comme dans la plupart des opéras où il y a une forte chanteuse et une chanteuse légère, un rôle à roulades. Mlle Daram, dont on a pu apprécier ailleurs la facilité de vocalisation, y a montré de la passion et un très bon sentiment dramatique en maints endroits. Elle a fort bien dit le récit du premier acte « Ah ! oui, je me souviens », et a mérité, dans le duo qu’elle chante avec Hermosa, d’être applaudie à côté de Mlle Gabrielle Krauss. Je ne saurais vraiment lui dire rien de plus élogieux.
Dans le personnage de Manoël, le soldat berbère toujours vaincu, M. Sellier a dû se trouver moins à l’aise que dans celui de Ramadès, d’Aïda. Un ténor d’opéra n’est pas habitué à tous les sacrifices, à toutes les humiliations que MM. d’Ennery et Brésil imposent, jusqu’au dénoûment de leur pièce, à l’amour-propre du rival de Ben Saïd. Mais quel admirable instrument possède ce jeune chanteur, et que de progrès il a faits depuis le jour où on lui a indiqué la manière de s’en servir !
Les morceaux que j’ai cités ne sont pas les seuls qui contribueront au succès de la nouvelle partition de M. Gounod. Il convient d’y ajouter : le carillon du premier acte ; la marche guerrière : « Sonnez, clairons ! » la marche des captives, mélodie empreinte d’une tristesse qu’exprime on ne peut mieux le timbre mélancolique et doux de la flûte dans le médium ; la scène de la vente des esclaves et le finale du second acte avec son puissant crescendo, le trio du troisième acte, la cavatine de Manoël et le duo qu’il chante avec Xaïma, où dominent les notes si éclatantes, si largement timbrées de la voix de M. Sellier.
La mise en scène du Tribut de Zamora est splendide. M. Vaucorbeil a royalement fait les honneurs de l’Opéra à l’illustre compositeur qu’il y recevait.
Je ne sais vraiment si, comme on l’a dit, la nouvelle œuvre de M. Gounod, où chaque morceau porte l’étiquette qui lui est propre, où tout s’enchaîne et où tout peut se détacher, indique de la part du musicien l’intention de protester contre les tendances, les principes et les formules de l’École moderne qui l’influençaient tant soit peu jadis, et qu’il répudierait aujourd’hui. C’est bien possible. En tout cas, on ne peut voir là qu’une protestation isolée et qui ne troublera en rien les convictions de ceux qui, croyant trouver la vérité dramatique dans les doctrines de cette Ecole, les suivent de près ou de loin.
Quant aux auteurs du livret, ils ne doivent certainement pas regretter de s’être associé un collaborateur de la valeur de M. Gounod, et d’avoir renoncé à l’idée, si toutefois ils l’ont jamais eue, de tirer de leur sujet un gros mélodrame pour quelque théâtre du boulevard.
E. Reyer.
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Charles GOUNOD
/Adolphe d’ ENNERY Jules BRÉSIL
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publication date : 03/11/23