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Les Théâtres. Thérèse

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LES THÉÂTRES
Théâtre de Monte-Carlo : Première représentation de Thérèse, drame musical en deux actes, poème de M. Jules Claretie, musique de M. Massenet.
(par dépêche)

Au premier acte, nous sommes en octobre 1792 la scène se passe aux abords de Versailles, dans le parc et devant le château de Clerval, que le girondin Thorel, fils de l’intendant du marquis émigré, a acquis sur enchères, non pour y vivre – ainsi qu’il le dit lui-même, – mais pour pouvoir, un jour, rendre le foyer familial à celui dont il fut le compagnon d’enfance et que la tourmente révolutionnaire a emporté vers l’exil : Armand de Clerval.

Thorel aime sa femme Thérèse comme il aime la Patrie et la jeune Liberté : du plus ardent amour. Mais si Thérèse vénère Thorel, si elle est pénétrée de ses vertus et de ses bontés, elle ne peut fermer son cœur au souvenir d’Armand, du cher proscrit, car jadis, dans ce parc même, les arbres les ont vus tous les deux « se sourire et pleurer ».

Or, tandis que s’achève un dialogue où ces divers sentiments se sont fait jour, tandis que Thorel va préparer son départ pour Paris, où l’appellent ses devoirs de représentant, un homme vêtu en voyageur vient d’apparaître : c’est Armand. À travers les périls, il est rentré en France, résolu à rejoindre les siens, qui combattent en Vendée.

Comme un précieux viatique, il a voulu revoir sa maison et Thérèse, c’est-à-dire tout ce que contient son cœur. En vain Thérèse veut-elle le détourner de son fratricide dessein, en vain se défend-elle de l’aimer encore, en vain invoque-t-elle son devoir et le nom de celui que tous deux ont trahi : Armand la presse de céder à sa tendresse, sinon il ira mourir avec ses frères, les héros du Bocage.

Mais voici que Thorel est venu saluer une troupe de volontaires, de ces braves qui, ayant répondu à l’appel de la Patrie en danger, s’apprêtent à marcher à l’ennemi. Les désignant à Armand, qu’il a embrassé avec effusion et qu’il tente, lui aussi, de dissuader d’aller grossir les bandes révoltées « Voilà le devoir, dit-il, il est à la frontière. »

Cependant un officier municipal semble avoir reconnu la noble émigré. C’en est fait d’Armand si Thorel ne prenait sous sa garde l’ami des anciens jours ; il lui donne donc son toit pour asile, réunissant ainsi les deux amants.

Le second acte nous amène en juin 1793 à Paris, dans la maison du girondin. Par la fenêtre, ouverte sur les quais, montent les bruits du dehors, les noms des suspects dont les crieurs colportent la liste, le roulement des tambours au lointain et même, par un contraste si fréquent dans les époques troublées, la chanson, alors nouvelle « Il pleut, il pleut, bergère ! »

Les événements vont se précipiter pour nos héros. Armand est encore l’hôte dangereux que l’on cache. Un sauf-conduit obtenu par Thorel lui assure la liberté. Mais le proscrit ne consentira à fuir que si, à son tour, Thérèse accepte de fuir avec lui. De ce conflit passionné, il va sans dire que l’amour sort vainqueur. Thérèse suivra donc, fut-ce au bout du monde, celui dont elle a placé la tendresse au-dessus du devoir et de la pitié.

Mais voici que des rumeurs s’élèvent dans la rue, voici que des cris de mort arrachent les amants à leur rêve délicieux. Thorel vient d’être arrêté ainsi que ses compagnons, les girondins, on le mène à la Conciergerie, chemin de l’échafaud, et le cortège des prisonniers va précisément passer devant la maison. L’horreur de la situation éclaire subitement l’âme de celle qui, pour toujours, allait trahir l’homme le plus loyal, le plus tendre, le plus généreux. Thérèse force Armand à partir seul. Désormais, elle ne songera plus qu’à partager le sort de Thorel et, courant à la fenêtre, exaltée, frémissante, superbe d’indignation et de colère, elle crie à la foule « À bas la guillotine!... Vive le roi!... »

Aussitôt la horde populaire envahit la chambre en hurlant et en menaçant Thérèse qui s’avance, « statue vivante », au milieu des cris de mort.

La partition que Massenet a écrite sur le drame que je viens de raconter semble devoir prendre place à côté de la Navarraise, – et la place est bonne. Ces deux œuvres se rapprochent, en effet, non seulement par leurs brèves dimensions, mais encore par la similitude de l’action, rapide, passionnée, violente, farouche, ici comme là ; de plus, dans l’une comme dans l’autre, la musique relève très particulièrement de ce qu’on appelle « le théâtre », c’est-à-dire qu’elle est asservie aux moindres mouvements d’un drame où les faits matériels tiennent autant de place que les sentiments. Du reste, cette condition est peut-être plus frappante encore dans Thérèse. Ici l’intérêt des personnages est forcément amoindri par la grandeur de l’époque où est située l’action quatre-vingt-treize ; et la noblesse de cœur du girondin Thorel, les amours d’Armand et de Thérèse, même la sublime exaltation finale de celle-ci, ne constituent en somme qu’un bien petit épisode dans une immense tragédie. Aussi est-ce véritablement l’atmosphère où se meuvent les personnages qui l’emporte sur ces personnages, et ne doit-on pas s’étonner, par conséquent, si tout ce qui est extérieur à leurs sentiments, – chants de soldats, grondement populaire, roulements du tambour, – tout ce qui émane de l’effervescence révolutionnaire, occupe une grande partie du drame et y réduit fréquemment le rôle de la musique à l’imitation de bruits.

Bien entendu, il n’en va pas uniquement ainsi, et plus d’une situation, dans Thérèse, a fait jaillir bien des mélodies enveloppantes, bien des élans de tendresse passionnée, bien des accents nobles et pathétiques, bien des épisodes charmants qui tous s’écoulent, abondants et faciles, de cette source où Massenet a tant de fois puisé sans qu’elle se tarisse jamais. Pour les énumérer je citerai le premier duo entre Thérèse et Thorel, d’un caractère grave et tendre, où la musique se modernise par l’emploi de successions de quartes d’un très joli effet ; le dialogue entre Armand et Thérèse, avec le vieillot menuet, d’une grâce mélancolique qui évoque pour les deux amants tout un passé heureux, dialogue qui se poursuit et se développe avec une ardente éloquence puis, au second acte, le dramatique monologue de Thérèse, terrorisée par les clameurs sinistres qui montent de la rue ; puis une scène charmante entre elle et son mari : rêves d’avenir, rêves de bonheur, au loin, après la tourmente ; enfin le duo tout brûlant, tout dévorant de fièvre, où Armand décide Thérèse à s’enfuir avec lui.

Toutes ces pages sont du Massenet qu’on connaît, c’est-à-dire du Massenet personnel, du Massenet charmant, séduisant, captivant, qui entraîne son auditoire irrésistiblement et toujours.

Les protagonistes de Thérèse sont Mlle Lucy Arbell, M. Clément et M. Dufranne. M. Clément est toujours le ténor juvénile, à la voix exquise et qui ne connaît que le succès ; quant à M. Dufranne, je ne puis que rappeler les chaleureux éloges que lui valent, dans chacune de ses créations, ses hautes qualités de chanteur, de musicien et d’acteur. Mais le rôle le plus lourd, le personnage le plus difficile à interpréter, en raison de l’énorme place qu’il tient dans l’action et de la complexité du caractère, est celui de Thérèse. Physiquement, Mlle Lucy Arbell y apporte les lignes, l’aspect jeune et simple d’une Lucile Desmoulins ; et au fur et à mesure que le drame se déroule, elle en traduit chaque phase avec une sincérité, une variété, une justesse d’accent tout à fait émouvantes qui, hier soir, ont été pour cette artiste vaillante l’occasion d’un très chaleureux et très brillant succès.

De beaux décors, merveilleusement éclairés – au premier acte, un parc aux teintes automnales ; au second acte, la perspective de la Seine et des quais, – une mise en scène absolument saisissante, un orchestre et des chœurs excellemment dirigés, complètent la parfaite représentation de Thérèse et font le plus grand honneur à Raoul Gunsbourg.

D’autre part, je ne dois pas oublier le précieux appoint que le célèbre pianiste Louis Diémer a apporté au succès en exécutant sur le clavecin, dans la coulisse, le menuet dont j’ai déjà parlé et dont on parlera certainement beaucoup.

[…]

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publication date : 25/09/23