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La Montagne noire d’Holmès

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LES THÉÂTRES

Opéra. — La Montagne noire, drame lyrique en quatre actes ; poème et musique de Mme Augusta Holmès.

Nous voici en présence d’une œuvre de longue haleine, écrite avec beaucoup de conscience, montée avec le plus grand soin et défendue avec conviction par des artistes de valeur. Mais, hélas ! on est bien obligé de le reconnaître, tous ces efforts réunis n’ont pas produit l’effet que sans doute on espérait à l’Opéra.

Mme Augusta Holmès pourra du moins se consoler des réserves que fera la critique en se rappelant ses heureuses tentatives dans les grands concerts, surtout la dernière, Ludus pro patria, et aussi en songeant à l’avenir brillant que lui promet sa noble ardeur. Au théâtre, les blessures se cicatrisent vite ; après avoir essuyé une défaite, on repart pour une victoire : l’espérance de celle-ci fait oublier l’amertume de celle — là.

Du reste, les habitués de l’Opéra, bien que visiblement désillusionnés par l’ensemble de l’œuvre, n’ont point manqué de saisir toutes les occasions qui s’offraient à eux de témoigner leur sympathie au compositeur-poète de la Montagne noire.

Je résume l’action qui se déroule en 1657, d’abord au Monténégro, ensuite dans une ville turque de la frontière. Les Monténégrins, attaqués par les Turcs, résistent avec un mâle courage ; ils sont d’ailleurs dirigés par deux chefs intrépides, Mirko et Aslar. Celui-ci est tout à son devoir ; c’est l’incarnation de l’honneur et du patriotisme. L’autre sera bientôt tourmenté par des désirs sensuels qui lui feront oublier son pays et ses compagnons d’armes.

En effet, quoique fiancé à une jeune fille, Héléna, dont il est aimé ardemment, Mirko se laisse griser par une courtisane turque, devenue sa prisonnière, Yamina, qui ne tarde pas à en faire un déserteur. Aslar rejoint Mirko et veut le ramener à son poste de combat. Mais Yamina frappe Aslar d’un coup de couteau qui le blesse seulement. Mirko chasse alors son infâme maîtresse. Toutefois, sa passion le reprend vite. Aslar, pour le sauver du déshonneur, se décide enfin à le tuer. Il dit ensuite aux soldats monténégrins que Mirko est mort en combattant, fidèle à son devoir.

Ce poème, malgré des scènes développées avec assez de force, a paru un peu froid. La musique ne le réchauffe pas suffisamment ; plusieurs motifs ont de l’intérêt, mais aucun n’est traversé par un de ces éclairs qui illuminent une partition. D’un bout à l’autre de cette œuvre, on est trop dans le convenu ; c’est la note grise qui domine. Il faut cependant signaler un chœur : Victoire ! auquel succède le cri de Mirko et d’Aslar : Nous sommes délivrés, nous sommes triomphants !

Il y a là du mouvement et de la chaleur. Plus loin, on remarque le serment des deux chefs monténégrins : Je jure devant Dieu de t’aimer comme un frère. C’est d’un effet bien théâtral. La scène où Yamina voit Mirko s’éloigner avec sa fiancée est longuement développée ; si elle n’est pas bien originale, elle a du moins une certaine couleur. Mais elle ne vaut pas la page qui précède : le récitatif et l’air de Yamina : Je pleure, hélas ! sur mon pays perdu sur un rythme lent, plein de douceur et de mélancolie, la prisonnière exhale sa tristesse. C’est d’une charmante inspiration ; ce motif est malheureusement le seul que nous puissions louer sans réserve. À noter aussi une phrase d’AsIar, touchante dans sa simplicité : Mon frère a trahi son serment. Puis, l’appel du chœur : « Hommes et femmes accourez, tous ! » qui est suivi d’un chant patriotique plus bruyant que sincère. On y sent moins la passion que l’effort. Mais il n’est pas sans produire un certain effet sur la masse du public. Au troisième acte, j’ai noté un duo d’amour qui peu à peu s’anime et finit par émouvoir.

Et après ? Dame ! je ne vois plus rien à citer. En résumé, cette œuvre, travaillée avec soin, c’est indiscutable, a le défaut de tomber trop souvent dans la monotonie. L’orchestration n’est point toujours sans mérite ; mais, en général, le bruit qu’elle fait… est beaucoup de bruit pour rien.

Mme Augusta Holmès — au moins dans la Montagne noire — ne relève d’aucune école. Elle a voulu, semble-t-il, affirmer son indépendance artistique. Nous ne saurions l’en blâmer ; mais il lui est arrivé d’imiter tout le monde en ne voulant imiter personne. De là vient que sa partition a paru incolore dans son ensemble. Et puis, Mme Holmès s’est trop appliquée aux détails et pas assez aux situations qui dominent le sujet. Quoi qu’il en soit, la Montagne noire, tout en manquant d’unité et d’originalité, impose le respect par un effort consciencieux, où l’on voit bien que le compositeur, même dans une mauvaise veine, reste passionnément épris de son art.

Deux des interprètes au moins méritent de sérieux éloges. M. Alvarez est doué d’un organe très chaud qui, dans la tendresse comme dans le désespoir, sonne avec un bel éclat. De progrès en progrès, ce jeune ténor est devenu un des meilleurs pensionnaires de l’Opéra. Quand il a débuté, nous ne nous sommes pas montré fort enthousiaste à son égard, mais il a travaillé depuis et nous avons plaisir maintenant à constater ses réels succès. M. Renaud a aussi un beau timbre de voix ; mais il joue et chante d’une façon bien conventionnelle. M. Gresse fait valoir un rôle très effacé. Mlle Berthet est aujourd’hui ce qu’elle était au Conservatoire : une très bonne écolière. Mme Héglon fait preuve comme à l’ordinaire de beaucoup de conscience. C’est une artiste utile à l’Opéra, car elle ne laisse jamais tomber un rôle, si petit qu’il soit. Quant à Mlle Bréval qui porte le poids de cette œuvre très longue, elle a brillamment déployé toutes ses qualités de tragédienne lyrique. J’ai toujours loué cette vaillante artiste qui me semble seule capable, aujourd’hui, de remplacer à l’Opéra Gabrielle Krauss ; mais dans la Montagne noire sa tâche était particulièrement ardue et, pour cela, je crois juste de la féliciter plus fort que jamais. Elle n’a pas seulement mis toute sa voix, elle a mis aussi toute son âme dans ce rôle de Yamina qu’elle éclaire de sa rayonnante beauté.

GEORGES BERTAL.

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Composer, Pianist, Librettist

Augusta HOLMÈS

(1847 - 1903)

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