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Critique dramatique. La Montagne noire

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CRITIQUE DRAMATIQUE
« La Montagne noire » à l’Opéra

Tout d’abord, il convient de reconnaître le succès remporté par Mlle Holmès avec son opéra à la fois belliqueux et passionné de la Montagne Noire, dont l’action, comme ce nom l’indique (Monte Negro) a pour cadre le pays où de rudes montagnards luttèrent au dix-septième siècle contre l’oppression turque. Racontons toujours, nous discuterons après. 

Au lever du rideau, parmi les rocs neigeux, des monténégrines considèrent, anxieuses, par-dessus des créneaux construits par le décorateur Jambon, une bataille lointaine qu’on n’aperçoit pas de la salle, mais qui se déroule en ut mineur, avec de stridentes sonneries des trompettes, des coups de canon, des fusillades et des lamentations des vierges qui se voient déjà traînées dans les harems turcs, Bientôt, les deux chefs insurgés Mirko (ténor) et Aslar (baryton) reviennent en triomphateurs, annoncer que la Croix a mis le Croissant en fuite, et chanter, pas très juste, un hymne de victoire à deux voix, sans accompagnement. Joie exubérante du chœur qui entoure les deux amis, les deux inséparables, et les engage à prêter le « Serment de fraternité », inviolable et trois fois saint. Ainsi font-ils, devant un vieux pope (Dresse) qui détonne un peu : 

Je jure devant Dieu de t’aimer comme un frère, 
Dans la vie ou la mort, dans la paix ou la guerre,
Et de sauvegarder ton honneur de chrétien
Fût-ce au prix de mon sang… ou fut-ce au prix du tien !... 

Hémistiche qui nous permet de deviner le dénouement.

Interrompant les effusions fraternelles de ce couple, une femme arrive, étrangement belle, voilée d’une gaze transparente à travers laquelle brillent des anneaux d’or. C’est Yamina, c’est Mlle Bréval dont la chevelure d’un roux imprévu avive encore les yeux de diamant noir, c’est la prisonnière turque malmenée par les Monténégrins qui ont enlevé sa tente de pourpre en même temps que les bagages des timariots et des spahis mis en déroute. Semblable à la Persane chantée par Anatole France :

Elle entra. Du nuage incertain de ses voiles
L’astre pur de son front surgissait calme et blanc ;
Ses cheveux, comme un ciel, étaient semés d’étoiles,
L’eau des saphirs tremblait stagnante sur son flanc. 

Tout de suite, sa grâce sensuelle captive le naïf Mirko qui perd la tête en l’entendant roucouler sa mélopée alanguie, avec des ports de voix traînant comme une ceinture lâche d’almée : « Parmi les fleurs, Et les odeurs… » Il obtient que « l’espionne » ne soit pas fusillée, vide la coupe pleine qu’elle lui présente à genoux et se retire rêveur. Il l’aime déjà. Les passions sont rapides, dans ces pays de montagnes. 

À partir de ce moment, le Wilhelm Meister de la Montagne Noire est ballotté entre les candeurs à la Mignon de sa douce et pure fiancée, un soprano monténégrin qui répond au nom d’Héléna, et la brillante Philine-Yamina. Cette dernière ne tarde pas à l’emporter ; pour la suivre, il abandonne son ami Aslar, sa fiancée, sa mère, son pays, ses devoirs et fuit dans la montagne, où tous deux s’épanchent en romances grisantes qui seront demain sur tous les pianos. Ah ! je ne plains pas l’éditeur Maquet ! 

Aslar les rattrape…, s’épuise en prières éloquentes pour ramener Mirko à des sentiments meilleurs et au bercail, mais il ne reçoit pour prix de son intervention qu’un coup de poignard de la vindicative Yamina. 

Une dernière fois, il tente de réveiller en cette âme dégradée les glorieux souvenirs d’antan, mais Mirko a été chambré par sa belle mahométane dans une petite ville turque et passe sa vie dans un jardin fleuri de roses et d’almées, à se repaître de vins du terroir, de danses lascives, (Mlle Tori ondule, se tord, ardemment lorgnée), de baisers et de couplets bachiques en fa dièse majeur. Cette vie plutôt facile plaît infiniment au héros de jadis, et quand Aslar vint le rejoindre avec des reproches mérités et un Arioso à l’italienne : « Ah ! tu vois donc en moi le miroir de ta faute » que nous ne méritions pas, il refuse nettement de le suivre, il s’enlise dans son péché, il déclare Tous les degrés de l’infamie, je le sens, je les franchirai, bref, il se soucie fort peu de son « honneur de chrétien ». C’est donc à Aslar qu’il appartient de le sauvegarder, « fût-ce au prix de son sang ». Il n’hésite plus, et poignarde celui qu’il a tant aimé. Puis, parmi les clameurs triomphales des Monténégrins qui viennent de prendre d’assaut la ville, il meurt aussi, sur le cadavre de Mirko. 

La morale de cette sanglante histoire, c’est que la femme est plus dangereuse que l’homme, et que l’amour ne vaut pas l’amitié. L’assertion est discutable. Ce qui ne l’est pas, c’est le succès obtenu par un grand nombre de pages, notamment par celles du 3e acte, où sur de grands arpèges caressants s’envolent les aveux de Mirko « Mon ciel c’est toi », avec les strophes séductrices d’Yamina « Les paradis de ta croyance », sous lesquelles se déroulent les triolets obstinés du motif d’amour.

Je citerai encore, à défaut des couplets patriotiques dont l’intérêt est mince, la mélopée berceuse en ré bémol ponctuée de flûtes douces, Près des flots d’une mer bleue et lente… d’un rythme mol et comme fluide, spécimen très réussi de Lotisme musical. Quant à la pénétrante invocation Ô sommeil de l’âme enivrée, on peut en regretter la sensualité mélodique, non en contester l’effet immédiat, presque brutal. 

Volontiers je passe condamnation sur les tapages belliqueux où se complaît Mlle Holmès qui lâche à travers sa pièce de redoutables bataillons de trombones soutenus par la grosse caisse avec renforts de cymbales ; volontiers je lui concède ses réminiscences, grandes phrases simili-passionnée selon la formule de Massenet « cette femme de chambre dépravée » — Descaves dixit — cadences chères à Gounod (une mesure de Faust se retrouve intégralement dans un chœur du deux) gros ensembles à la Meyerbeer ; du moins, elle ne copie pas Wagner ce qui, à notre époque de plagiats tétralogiques, devient une originalité presque invraisemblable. Quant à son livret, on ne peut lui refuser des qualités de simplicité vigoureuse et de vie dont les confectionneurs ordinaires de ces sortes de choses nous avaient depuis longtemps déshabitués. 

Les interprètes, vaillamment, défendent leurs rôles ; Mme Héglon, très supérieur au sien, donna une fière allure au personnage de Dara, et l’on ne saurait trop admirer sa farouche énergie dans le vocero des joueurs de Guzla, « Quand mon fils meurt… ». Mlle Bréval dont la voix ne descend qu’avec peine jusqu’aux notes trop graves pour elle d’Yamina se montre grande artiste dans le duo de la Fuite ; comment Mirko aurait-il résisté à ces belles notes caressantes, à ces beaux bras caressants ? Mlle Berthet dit gentiment sa massenetique Invocation à la Vierge. M. Renaud chante avec mollesse, M. Alvarez avec conviction. 

Colette Gauthier-Villars

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Writer

COLETTE

(1873 - 1954)

Composer, Pianist, Librettist

Augusta HOLMÈS

(1847 - 1903)

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