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Audition des envois de Rome

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Les envois de Rome en séance publique.

Souvent le Conservatoire nous a fait penser à ces mères dont l’affection égoïste et autoritaire impose à l’enfant un véritable esclavage, le poursuivant jusque dans son adolescence qu’elles ne délivrent même pas de la laisse paralysante du jupon.

Les chanteurs et les comédiens se présentent trop longtemps après le sevrage, ils intéressent moins. Les musiciens, au contraire, frappent à la porte administrative, le lait encore aux lèvres, conduits par papa ou maman. Ils ne savent rien souvent et, depuis le solfège jusqu’aux mystères de la fugue et du contrepoint, on leur apprend tout.

Cette éducation complète crée des rapports constants. Le bambin a grandi. L’administration l’a suivi dans toutes ses étapes. Médaillé au solfège, primé à l’harmonie, le voilà enfin couronné au concours de composition musicale. Il part pour Rome. Généralement il y perd son temps ; le peu de travail qu’il y fait est du moins pieusement recueilli  et constitue l’envoi de Rome que l’on exécute, on n’a jamais pu savoir pourquoi, que deux ans après le retour définitif.

C’est de cette réflexion dont nous voulons parler. L’administration des Beaux-Arts en paie les frais. C’est bien. Mais le Conservatoire s’en empare. Pourquoi ? Cet usage trop consacré par le temps a des inconvénients graves.

D’abord le Conservatoire n’a pas d’orchestre. Les musiciens devant interpréter les envois de Rome sont pris un peu partout, à l’Opéra, à l’Opéra Comique, aux phalanges Colonne et Lamoureux, dans les classes aussi. La diversité de provenance des exécutants, le manque d’habitude à un chef qui n’est pas le leur, constituent une gêne que ne peuvent vaincre trois seules répétitions. D’où, pas de cohésion, pas de sûreté ; un exécution incolore et branlante.

Le Conservatoire n’a qu’une salle petite et parcimonieusement remplie. Son public se compose de journalistes, de coulissiers des académies, de la bande indifférente à tout, et que l’on rencontre partout où les billets s’obtiennent avec des sollicitations.

On cause souvent, on écoute parfois. Le lendemain quelques article ennuyés paraissent, toujours à peu près les mêmes. Et puis, c’est tout. Le compositeur qui comptait sur son envoi pour asseoir sa jeune réputation reste aussi inconnu après l’exécution qu’avant. Le plus souvent il la regrette, car si cette exécution n’a pas été bonne, l’œuvre a été mal jugée.

La conclusion est facile. Le Conservatoire pour les raisons données ne pouvant offrir qu’une exécution faible ou médiocre, de plus la quantité restreinte et spéciale de son public ne permettant pas à l’audition d’être réellement profitable à celui pour qui elle est donnée, il faut chercher ailleurs un orchestre constitué et une salle ouverte.

M. Saint-Säens a dû peser toutes ces raisons avant de demander à l’Académie que l’affaire soit mise entre les mains de MM. Colonne ou Lamoureux. Le passé de ces éminents chefs d’orchestre, le souci de la réputation de leurs sociétés répondent du soin qu’ils apporteront à l’accomplissement de la mission nouvelle.

Les conséquences seront tout autres. Si le compositeur réussit, ses deux mille auditeurs le suivront dans ses essais : compositions de chant et de piano qui précèdent toujours les travaux d’haleine. Il cessera d’être un inconnu. Pour nous, nous voudrions la présentation du musicien au public plus complète encore, nous voudrions que celui-ci dirigeât son œuvre lui-même, en assumât la complète responsabilité, s’interdisant ainsi du même coup les récriminations du lendemain.

Pour quiconque a suivi jusqu’ici les répétitions des Envois de Rome la réforme s’impose. Nous nous rappelons un fait qui en dit long sur l’attitude prise vis-à-vis du compositeur par le chef chargé d’en conduire l’œuvre.

On répétait en envoi de Rome, il y a cinq ou six ans. Était-il de M. Broutin ou de M. Rousseau ? Nous ne saurions rien affirmer, ces jeunes gens ayant paru ensemble au programme ; nous croyons toutefois qu’il s’agit de la cantate Jehovah du premier.

L’orchestre s’en donnait à pleins sons. Tout à coup les trompettes éclatent, mais leurs fanfares laissent une impression de désarroi. « Il en manque une ! » s’écrie le compositeur. « La composition ordinaire de l’orchestre ne la comporte pas », répond le chef d’un ton tranchant. « Cela ne peut aller ainsi ! ». « Nous n’avons pas de temps à perdre en discussions ! ». Et à l’ordre de la baguette, les accords se déchaînent étouffant les protestations du musicien et y coupant court.

Pour le chef d’orchestre, pour les professeurs présents, pour le Conservatoire tout entier, le compositeur n’avait pas le sens commun. Pensez donc ! écrire une partie de trompette supplémentaire, à peine échappé aux bancs de l’École ! Et dire que si Berlioz ou Saint-Saëns avaient présenté comme envoi de Rome, l’un le Tuba mirum de son Requiem, l’autre sa Danse macabre, un pur chef-d’œuvre de musique pittoresque, ils eussent été obligés d’y faire des retouches pour satisfaire aux exigences de la composition habituelle de l’orchestre !

Il est temps d’en finir avec une situation chaque fois plus tendue. Les prix de Rome n’ayant pas leurs aises au Conservatoire pour l’exécution de leurs envois, toute observation de leur part restant sans effet ou à peu près, qu’on les enlève à la famille habituée à considérer leurs pas comme chancelants, pour les mettre en face du vrai public auquel ils appartiennent.

A.H. 

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publication date : 21/09/23