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Les premières représentations. Le Roi d'Ys

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Les Premières Représentations
Opéra-Comique. – Le Roi d’Ys, drame lyrique en trois actes et cinq tableaux, paroles de M. E. Blau, musique de M. Ed. Lalo.

Comme je l’annonçais hier, le Roi d’Ys a obtenu auprès du public un succès grandissant d’acte, en acte jusqu’au triomphe final. C’est une partition d’une inspiration généreuse et pittoresque, d’une force, d’une délicatesse, d’une variété de forme qui attestent le vigoureux tempérament dramatique du musicien. Il a fallu toute l’imbécillité des potentats subventionnés pour qu’une œuvre de cette envergure, achevée depuis vingt ans, ait attendu depuis si longtemps l’heure de la gloire. Bien que M. Edouard Lalo soit wagnérien ; comme presque tous les artistes de notre époque, son ou rage n’a point été conçu dans le nouveau système musical. Par son style et sa coupe, il appartient à l’école française, à celle qui dérive de Gluck, et ne se laisse point envahir par l’italianisme et ses développements macaroniques. Vous n’y trouverez point de leitmotiv de phrases caractéristiques d’un personnage, qui montent, descendent, s’entrecroisent et sa confondent dans la progression des situations. La déclamation n’est point continue. Des récitatifs se détachent les romances, les airs distincts, même les duos et les quatuors. Mais M. Lalo ne tombe point dans les abus du genre italien, répétitions de phrases et grossissement de l’effet par l’unisson des voix : le plus souvent il procède par dialogue de chant alterné. Ce qu’on appelle l’air jaillit de la situation, et duo et quatuors montent au paroxysme de sentiments identiques. C’est un rajeunissement de la forme usée de l’Opéra, et non point une innovation de drame lyrique. Cependant, dans le monde ancien, le compositeur a su fondre un ouvrage original, tout plein de vie et de couleur. C’est que tous les types sont nettement conçus, exprimés et mis en relief par la peinture de leurs caractères ; chacun d’eux a sa personnalité décrite par le musicien, dans une forme, spéciale. Ainsi, Mylio, e jeune héros, croyant, vaillant, fort et tendre, est montré sous ses divers aspects, dans la diversité du coloris de l’inspiration musicale. C’est d’abord la phrase héroïque du défi, puis la foi ardente de la prière à saint Corentin, enfin, la grâce et la naïveté de l’épithalame au seuil de la chambre de sa bien-aimée. Qu’il s’agisse de Margared ; une phrase impétueuse roule dans les cordes de l’orchestre qui peint les désordes et les déchirements de cette passionnée. La violence, la fougue sauvage, l’ardeur belliqueuse de Karnac rugissent dans la clameur des cuivres, grossie par les roulements du tambour ; la douceur et la tendresse de Rozenn sont chantées dans la grâce mélodieuse de sa phrase musicale. Les chœurs aussi, au lieu de figurer par masses de voix qui remplissent une formule, ont leur action, tour à tour joyeuse et tragique ; ils concourent au progrès du drame, ils en expriment les péripéties, et rappellent ces beaux ensembles vocaux de Lohengrin. Que dire de la puissance symphonique de l’instrumentation ! Sur ce point, M. Lalo n’est plus à louer. Tous les sentiments de personnages, les situations du drame trouvent à l’orchestre leurs commentaires et leur complément. Quelle variété, quelle hardiesse, quelle vigueur dans la combinaison des groupes ! Quelle sonorité, quelle chaleur, quelle gradation dans les périodes d’ensemble ? Quelle pièce d’orchestre, justement célèbre, que cette ouverture, dans la multiplicité de ses timbres, et l’énergie de ses rythmes ! Quel superbe morceau, d’une couleur grandiose et terrible, celui de la submersion de la ville d’Ys par la mer en courroux. 

Le poème de M. Edouard Blau est emprunté au fonds si riche de nos vieilles légendes. Une princesse débauchée, sorte de Messaline bretonne, aurait volé à son père la clef d’or de la grande écluse qui défendait la ville d’Ys contre les flots de la mer, et l’aurait donnée à un amant. Celui-ci aurait d’une main criminelle ouvert un passage aux flots. Le roi Gralon poursuivi par l’Océan en furie, fuyait emportant sa coupable fille sur la croupe de son cheval. Une voix d’en haut lui cria : « Si tu ne veux mourir, repousse le démon que tu portes derrière toi. » Dahut, c’était le nom de la misérable, hébétée de terreur sentit ses forces l’abandonner, et tombant de cheval, fut précipitée dans les flots. Ceux-ci s’arrêtèrent aussitôt. Telle est la légende armoricaine. Ce qui est certain, c’est qu’entre la pointe de Raz et du Van, sur les hauts bords désolés de l’étang de la baie des Trépassés, l’étang de Laoual paraît avoir englouti une ville, dont quelques ruines subsistent encore au village de Troguec, de l’autre côté de la baie. Du mythe de la nouvelle Sodome engloutie au XVe siècle, M. Edouard Blau a tiré un livret, à la fois simple et clair, qui offre les situations dramatiques nécessaires au genre de l’opéra. Le premier tableau nous montre le roi Gralon prêt à conclure la paix avec le terrible chef Karnac son voisin. Margared, fille aînée de Gralon, sera le gage de l’accord entre les deux ennemis, et la princesse se résout à satisfaire au projet de son père. Mais ce dévouement lui est pesant, car elle aime secrètement le brave Mylior, qui a perdu la vie dans une expédition lointaine. Rozenn a au cœur semblable amour pour le héros. Au moment, où Margared se rend à la chapelle où doit être consacrée son union avec Karnac, elle apprend que Mylio est vivant. Aussitôt, elle repousse l’alliance du chef. Furieux de l’outrage, celui-ci jette son gant au roi Gralon. Mylio survient à point pour le ramasser.

Avec l’aide de saint Corentin, le héros triomphe du farouche Karnac et reçoit en récompense la main de Rozenn. Enragée de jalousie, Margared la dédaignée désigne à Karnac le point faible de l’écluse qui défend la ville d’Ys contre l’invasion des flots. Le misérable brise cette digue. L’Océan furieux submerge la ville, et ses habitants périraient jusqu’au dernier si Margared, repentante, ne se jetait elle-même dans les flots pour apaiser la colère du ciel.

Il est malaisé de citer tous les morceaux qui, d’acte en acte, ont été salués d’acclamations triomphales. Ce catalogue ne dirait rien au lecteur, qui à la ressource de la partition et du spectacle. Est-il nécessaire, vraiment, d’évoquer la forme, délicate des chœurs du premier acte, l’ampleur de la déclamation lyrique, la sincérité de la prière à saint Corentin, au deuxième tableau, la puissance dramatique du troisième, la douceur, la grâce et la mélancolie de l’épithalame dont le motif est emprunté à un air populaire breton ; enfin la majesté, la grandeur de l’invasion des flots au dernier tableau.

Il se peut que l’inspiration de M. Lalo ne soit point toujours d’une poussée généreuse et abondante, mais partout le musicien est lui-même, artiste sincère et convaincu, s’élevant vite aux hauts sommets, d’un souffle robuste. S’il a l’honneur d’avoir écrit la plus belle partition que l’école française ait donnée depuis Sigurd, M. Paravay a bien mérité de l’art et du public en la recevant sur la scène de l’Opéra-Comique ; ainsi, il fait la leçon aux directeurs de l’Académie nationale où ce magnifique ouvrage eût dû, tout naturellement, prendre place.

Aux soucis de la mise en scène et de la décoration s’ajoute la bonne distribution de l’interprétation : Mlle Deschamps vaut par sa voix solide de mezzo-soprano, et par les mouvements d’un tempérament dramatique, mais son articulation est détestable ; on n’entend point un mot de ce qu’elle dit. Qu’elle réforme ce vice si elle aspire à devenir une tragédienne lyrique. Mlle Simonnet, au contraire, prononce bien ; si sa voix est plus mince au moins la développe-t-elle avec aisance et correction. Elle met aussi dans son jeu de la grâce et de la gentillesse. Talazac plaît dans le rôle de Mylio par sa voix souple et charmante, et son excellent débit ; mais il abuse un peu des demi-teintes et des effets de ténorino. C’est un défaut dont un artiste, de sa valeur doit se défier. M. Bouvet est en plein progrès, depuis son entrée à l’Opéra-Comique. Sa voix s’est développée, étendue ; elle a pris de la force et de la sonorité. L’acteur ne le cédera point au chanteur, quand il se décidera à être simple, à mépriser les effets faciles et vulgaires. L’organe plus homogène de M. Cobalet convient à la dignité du roi Gralon ; le cuivre, le mordant, la vigoureuse diction de M. Fournets font merveille dans l’apparition de saint Corentin.

Henry Bauer

Note : article repris (sans signature) dans Le Réveil du 11 mai 1888.

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Journalist

Henry BAUËR

(1851 - 1915)

Composer

Édouard LALO

(1823 - 1892)

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