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Chronique musicale. Le Roi d'Ys

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CHRONIQUE MUSICALE
Opéra-Comique. — Le Roi d’Ys, opéra en trois actes et cinq tableaux, poème de M. Edouard Blau, musique de M. Edouard Lalo.

— La vieille Armorique est une terre féconde en légendes ! Tantôt poétiques et touchantes, comme l’histoire heureuse du chevalier Tristan de la Table Ronde, et d’Iseult, la blonde princesse de Cornouailles elles sont le plus souvent sanguinaires et terribles.

Telle, par exemple, la sombre aventure du Vaisseau Fantôme, condamné à errer toujours à travers les Océans ; telle encore la légende de cette mystérieuse et perverse ville d’Is engloutie sous les flots en châtiment de ses crimes, et qui a su inspirer M. Lalo.

— Si vous voyagez jamais en Bretagne, du côté de Douarnenez, vous entendrez les pécheurs du littoral affirmer qu’en novembre, aux jours de tempête, quand le glas des morts a retenti partout, la baie s’entr’ouvre, les vagues soulevées par le vent s’écartent, et que le marin épouvanté découvre au fond, sous le manteau verdâtre des algues, des vestiges de l’antique cité d’Is… Is qui fut, dit on, la rivale de Lutèce (Par-Is : égale à Is).

— D’aucuns vont même jusqu’à prétendre qu’ils ont perçu parfois le son des cloches, appelant les fidèles à l’église où se célèbre un éternel office.

Car c’est en vain que le prêtre attend « l’Amen » rédempteur qui doit délivrer Is de sa prison liquide et lui redonner sa splendeur d’autrefois !
Aucune voix ne s’élève du peuple assemblé, et nous ne devons pas trop le déplorer, car, dit un vieux proverbe breton :

Quand la ville d’Is, des flots sortira 
Brest, ainsi qu’Ouëesant s’abîmera.

— Aura-t-on jamais une certitude sur l’existence de la ville d’Is ?

Il serait difficile de l’affirmer. Cependant, tout récemment, la mer, enlevant à Saint-Enogat, une montagne de sable, a mis à nu les vestiges d’une antique forêt, englouti il y a des milliers de siècles, et transformée en une houillère immense !

Ce serait, paraît-il, aux environs de cette forêt, qu’était située la ville d’Is, ou toute autre cité ; car Is ne fut pas la seule ville submergée ; la ville bretonne de Nasado, et d’autres cités dont les noms ne nous sont pas parvenus, subirent le même sort.

Il importe peu, d’ailleurs ! Et pour le rêveur parcourant la côte bretonne, à la recherche des vieilles croyances, l’exactitude des faits qu’on lui raconte est entièrement secondaire ! Sans doute, toute légende (et celle d’Is comme les autres) repose sur un fond de vérité ! Car la tradition populaire aime à expliquer les cataclysmes de la nature par une intervention divine ; et c’est ainsi quelle elle nous rapporte qu’ls, cette Sodome occidentale, fut engloutie sous les Îlots, en raison de ses forfaits abominables !

— Or un soir d’hiver, raconte M. de la Villemarqué, dans ses « Barzaz-Breiz », la mer battait avec fureur le rempart où s’élevait le palais royal, tout resplendissant des lumières du festin.

Dahut, la fille du roi, bravant l’orage, se promenait, belle et radieuse, en compagnie d’Hoël, son amant, sur une terrasse dominant la digue qui préservait la ville de l’envahissement des flots.

Tout à coup, le criminel désir lui vint d’ouvrir les écluses, et de se donner en spectacle, l’agonie de tout un peuple !

Elle pénétra dans la chambre de son père. Le vieux roi était étendu sur sa couche ; ses cheveux, blancs comme neige, couvraient ses épaules, et sa chaîne d’or pendait sur sa poitrine.

Dahut déroba cette chaîne, à laquelle se trouvait suspendue la clef des écluses, et le misérable Hoël, n’ayant pas eu l’énergie de résister à la folie de son amante, livra passage à la mer démontée ! — Ce ne fut bientôt que cris d’angoisse et de terreur ! — Surpris par l’impétuosité des vagues. Gradlon, le roi d’Is, suivi de saint Guénolé, qui l’avait averti du danger, n’eut que le temps de se jeter sur un cheval, de prendre sa fille en croupe, et de fuir éperdument à travers la campagne !

Mais bientôt, les flots poussés par un vent lugubre, le rejoignirent, et à la vue des vagues qui gagnaient toujours, et venait baigner les jarrets des chevaux, le saint irrité dit au malheureux prince :

— Seigneur, si tu ne veux périr, jette le démon que tu portes en croupe.
— Le démon, reprit le roi, le démon, où est-il ? 
— Le voilà ! s’écria saint Guénolé, en touchant Dahut du bout de son bâton pastoral.

Et l’infortunée princesse, tombant à la renverse, disparut dans les Îlots, qui s’arrêtèrent aussitôt comme satisfaits de leur proie.

C’est cette scène que représente le tableau M. Luminais qui se trouve aujourd’hui au musée de Quimper.

Comme on le voit, cette légende est pleine d’une sombre poésie, et il est à regretter que M. Edouard Blau, le librettiste de l’opéra représenté lundi soir, ne l’ait pas suivie de plus près. Le peuple d’Is, que nous présente l’Opéra-Comique est un brave peuple très tranquille : si j’ose le dire, très bourgeois, qui n’a rien d’impie, ni de corrompu ; et nous ne comprenons pas l’irritation qu’il a su inspirer au Dieu vengeur ! Le dénouement seul a été à peu près conservé ; au dernier tableau, nous assistons, en effet, à l’envahissement de la cité d’Is par la mer furieuse, et le sacrifice de Margared (la Dahut de la légende) peut seul arrêter les vagues dans leur course furibonde !

Toute l’intrigue qui précède cette fin tragique est sortie de l’imagination de M. E. Blau, et, il faut le dire, elle est aussi banale, que le langage poétique qui sert à l’exprimer est médiocre !

D’après M. Blau le roi d’Ys (au lieu de Is) a deux filles : Margared et Rozenn, éprises toutes deux du beau guerrier Mylio, qui est parti courir les mers, et qu’on croit disparu pour toujours.

Soudain, au moment où la tendre Rozenn appelle en une plainte caressante, son aventureux amant Mylio apparaît. Il a échappé à des dangers sans nombre, et revient riche et vainqueur Margared en apprenant le retour de Mylio, ne veut plus épouser le prince Karnac, qui avait consenti, sous cette condition, à mettre fin à une guerre meurtrière.

Karnac jure de se venger de cette mortelle offense, et en signe de défi, jette son gantelet aux pieds du roi d’Ys. C’est Mylio qui relève le gant, et jure, à son tour, de défendre le roi I

Il triomphe de son rival, et Karnac, dont la mort n’a pas voulu, accablé de honte, en proie au plus farouche désespoir, appelle l’enfer à son aide !

L’enfer lui répond par la voix de Margared, qui dédaignée de Mylio, promet à celui qu’elle-même a dédaigné, de l’aider dans sa vengeance, et lui propose, comme moyen efficace, d’ouvrir les écluses qui séparent la ville d’Ys de la mer. Karnac accepte avec enthousiasme, et tous deux, dans leur haine débordante, commencent par adresser des imprécations ironiques et des blasphèmes à la statue de saint Corentin, protecteur du roi et de sa cité. — Mais, tout à coup, la statue s’anime, l’évêque mort se dresse dans sa tombe, et lance l’anathème au couple monstrueux. — Voilà pour les deux premiers actes. — Le 1er tableau du 3e acte, nous fait assister à une noce bretonne ; Mylio, en récompense de sa victoire, a reçu la main de Rozenn. — Au moment où le cortège nuptial disparaît dans la chapelle, Margared survient, haletante, suivie de près par Karnac ; prise de remords, elle veut renoncer à son infâme projet. Mais elle a compté sans Karnac, qui pousse sa jalousie au paroxysme, en lui montrant les deux fiancés agenouillés l’un près de l’autre ! — Au 2e tableau, la ville d’Ys a disparu sous les flots, et les survivants du désastre (parmi lesquels le roi, ses deux filles et Mylio) vont bientôt être atteints par l’inondation, lorsque Margared, qui sait que son trépas peut seul apaiser la colère céleste, gravit un rocher et se précipite dans le gouffre, tandis que dans un nimbe radieux, l’image de saint Corentin se profile sur les nuées gonflées d’orage !

Tel est ce livret. — Comme on le voit la légende primitive n’existe plus, et cette nouvelle version a le tort de nous présenter des situations, dont on a déjà abusé. Toute poésie a disparu, aussi bien dans l’idée que dans la forme. — Des vers comme ceux-ci, que je cite au hasard, et qui pourraient être accompagnés de beaucoup d’autres :

Que notre gaîté renaisse ! 
Revienne le cher loisir 
Quand les rois ont la jeunesse 
Les peuples ont le plaisir, 

ne sont pas dignes d’un écrivain qui a le souci de sa plume.

Je sais bien qu’il est de tradition d’admettre que la musique est la sauce épicée qui permet de présenter au public des mets avariés. L’enseignement du chant au Conservatoire semble d’ailleurs, en négligeant d’apprendre aux chanteurs à prononcer, donner raison à cette tradition !

Les librettistes, alors, se mettent peu en frais d’imagination pour composer des paroles qu’on n’entend pas.

On ne me persuadera jamais cependant que de beaux vers peuvent nuire au succès d’une œuvre lyrique. Wagner qui, au musicien de génie, joignait un écrivain de premier ordre, nous a ouvert, dans cet ordre d’idées, une voie qu’il serait peut-être glorieux de parcourir.

Quoi qu’il en soit, le Roi d’Ys a réussi, et ce succès légitime, d’ailleurs, vient peut-être augmenter encore les adversaires de la belle poésie mise en musique.

Mais n’eût-il pas été encore plus grand, le succès, si aux accents dramatiques qu’a su trouver M. Lalo, étaient venus s’ajouter des vers superbes, dignes de l’œuvre qu’ils inspiraient ?

Il serait imprudent de juger une œuvre aussi importante, que le Roi d’Ys, sur une seule audition, même en ayant feuilleté la partition ! L’effet a été très grand le premier soir, et je crois facilement que le public des représentations suivantes, qui est le vrai public, conservera ce jugement.

M. Lalo était déjà connu comme symphoniste de premier ordre ; il a révélé, lundi, sa puissance dramatique, en mêmes temps que le charme poétique le plus raffiné !

Le premier acte, qui débute par un chœur d’allégresse, accompagné d’une pédale frappée à la dominante, procédé familier au compositeur, était un peu languissant.

Cependant dans le duo entre Margared et Rozenn, certaines phrases nous faisaient déjà sentir que nous n’avions pas à faire seulement à un érudit en musique. La science profonde du compositeur était accompagnée de l’inspiration, sans laquelle, bien souvent, elle est inutile et ennuyeuse !

Le deuxième acte est bien supérieur au premier. Dans l’air de Margared, nous entendons de nouveau un thème présenté dans l’ouverture, et heureusement trouvé dans le caractère du personnage.

C’est un des rares « motifs de réminiscence » qu’on rencontre dans l’ouvrage.

Les wagnériens, qui comptaient M. Lalo dans leurs rangs, ont dû être un peu déçus !

La vision de Mylio, la phrase ravissante de Rozenn dans le second duo des sœurs, sont autant de pages délicieuses !

Dans la note tragique, la phrase par laquelle Karnac exprime son désespoir de vaincu, l’arrivée de Margared qui vient lui proposer la vengeance, enfin, l’apparition de saint Corentin, accompagnée des voix célestes, sont des pages empreintes d’un sentiment dramatique très accusé, et qui dénotent un tempérament de maître, plein de vigueur et de noblesse !

Au troisième acte le tableau des noces bretonnes est traité avec un charme tout particulier ; dans une adorable cantilène, Mylio réclame sa fiancée, qui, avec une douceur infinie, nous dit la joie qu’elle éprouve, à suivre celui qu’elle a choisi !

Nous sommes ramené au sentiment tragique, par l’arrivée de Margared, suivie de Karnac, et la lutte qui s’engage entre eux, lutte où le mauvais génie l’emporte sur le bon, et où Margared, folle de jalousie, court ouvrir les écluses.

Le dernier tableau est d’une sombre et terrible grandeur.

Le déchaînement de l’orchestre nous peint avec une réalité saisissante, les éléments de la nature en furie !

Cette belle œuvre avait débuté par une magnifique ouverture, entendue plusieurs fois déjà aux concerts du dimanche. Page symphonique, admirable de puissance et de sonorité, construite à la manière de Weber !

L’interprétation n’a rien laissé à désirer. Il y a déjà longtemps que Mme Deschamps aurait du être au premier rang à l’Opéra-Comique. Je crois qu’elle n’a pas à se plaindre de sa soirée de lundi, ainsi d’ailleurs que Mlle Simonnet, délicieuse dans le joli rôle de Rozenn. Les applaudissements ont été unanimes ! Il m’a semblé que la voix de Talazac avait un peu perdu de son éclat. Bouvet a su trouver des accents très énergiques dans le rôle ingrat du prince Karnac, et Cobalet a traduit, avec une grandeur antique, le personnage du roi d’Ys ! Inutile d’ajouter, que comme toujours, l’excellent orchestre de Daubé à vaillamment fait son devoir !

En résumé belle soirée, et qui n’a eu qu’un tort, celui de s’être trop longtemps fait attendre ! 

Pan.

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Édouard LALO

(1823 - 1892)

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Édouard LALO

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