Premier Nocturne pour piano
Le Premier Nocturne pour piano op. 15 de Louis Diémer, pianiste virtuose et éminent pédagogue de la Troisième République, est empreint d’une profonde mélancolie. Sans doute est-ce parce qu’il les dédie à son père que ces pages expriment, à travers un lyrisme intime, un matériau d’une grande pureté. La musique de Diémer est centrée sur le piano et si l’on trouve ici trace de sa facilité à faire sonner l’instrument dans la grande tradition, initiée par Chopin, du nocturne en trois parties, aucune virtuosité ostentatoire n’y est de mise. Le thème naît d’un arpège de main gauche, dont il est le prolongement, et porte en lui l’expressivité étirée, plastique d’un matériau malléable. La logique de Diémer n’est pas une logique de développement, mais plutôt de réitération. Ce motif initial ne tarde pas à dévoiler son identité obsessionnelle ; il dérive, il mute, il se transfigure, mais reste toujours proche de sa forme originelle. D’un premier geste d’arpèges, la section centrale émerge et emporte avec elle un nouveau type d’écriture pianistique, assurément plus verticale. Ce second moment entraîne une atmosphère plus intérieure encore, portée par un thème de sept notes, d’une exquise fragilité. Après un traitement analogue au début de l’œuvre, un nouveau geste d’arpège annonce le retour très légèrement varié de la première partie. Celle-ci finira dans les limbes, par deux accords égrainés du piano, comme suspendus, hors du temps. Éditée en 1870, cette pièce, qui s’exprime dans le ton éminemment fauréen de ré bémol majeur semble être le témoin d’une démarche commune de réévaluation du genre, entre avenir et mémoire du passé.