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Audition des envois de Rome

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L’audition nouvelle des envois de Rome a eu lieu jeudi soir, dans la grande salle du Conservatoire, avec le concours de l’orchestre de l’Opéra, dirigé par M. Garcin. La séance comprenait une ouverture de Balthazar et une suite pour orchestre de M. Georges Marty et, les Elfes, légende dramatique en trois parties de M. Gabriel Pierné, écrite sur un poème de M. Ed. Guinand.

De l’ouverture de M. Marty, soufflée, essoufflée et boursouflée, il n’y a vraiment rien à dire. Un bruit infernal, des modulations éternelles, un orchestre incessamment furieux et déchaîné m’ont mis dans l’impossibilité de discerner dans cette page incohérente l’ombre d’un plan logique et l’apparence même d’une idée musicale. A cette ouverture sans pitié pour l’auditeur, je préfère de beaucoup la suite d’orchestre, divisée en quatre morceaux dont les deux derniers s’enchaînent : Ballade d’hiver ; Matinée de printemps ; Brouillard d’automne et Kermesse. Malgré son solo d’alto, la Ballade d’hiver ne m’a pas paru briller encore par une inspiration bien généreuse ; mais la Matinée de printemps est une page excellente. Le morceau est construit sur un rythme charmant et plein d’élégance, sur un motif établi d’abord par les violons et qui, passant successivement par les diverses parties de l’orchestre, est travaillé et modulé avec beaucoup de délicatesse et de goût, avec un art véritable, qui en fait ressortir encore toute la valeur première. Rien de bien neuf dans les Brouillards d’automne, mais la Kermesse est encore un tableau très bien venu et d’un très bon effet. L’idée mère du morceau, posée par le quatuor des instruments à cordes, se déroule logiquement et, après plusieurs épisodes piquants, revient, renforcée par tout l’orchestre, et se développe de façon à amener une péroraison chaude et vigoureuse. Toutefois, je n’ai pas retrouvé dans ce morceau, d’ailleurs très agréable, l’unité charmante de la Matinée de printemps.

Avec les Elfes de M. Pierné, nous quittons l’élément symphonique pour entrer dans l’élément dramatique, sinon scénique. Il y a de bonnes qualités dans cette composition vaste et un peu inégale, et plusieurs pages en sont très intéressantes et d’un heureux sentiment. Je citerai particulièrement, dans la première partie, un chœur d’introduction charmant, le duo des amoureux, qui est d’un dessin élégant et d’une jolie couleur, et un air de basse vigoureux ; dans la seconde, un chœur féminin plein de grâce, et deux airs de basse d’une rare ampleur et d’un accent très dramatique ; j’aime beaucoup moins l’air de soprano et le duo des deux femmes qui me semblent manquer complètement d’inspiration : enfin, dans la troisième partie, je signalerai l’air du ténor, d’un sentiment tendre et touchant et qu’accompagnent les violons d’une façon adorable, et un passage charmant du duo final, dans lequel le trémolo aigu des violons et les arpèges des harpes sont du plus heureux effet. Ceci dit, je demanderai à M. Pierné, comme à M. Marty, s’il ne leur serait pas possible décrire avec plus de simplicité, de ne pas entasser modulations sur modulations, de rester quelquefois au moins quatre mesures dans le même ton, et lorsqu’il s’agit des voix, de ne pas leur présenter des intervalles impossibles, je dirai presque sauvages. Pourquoi toujours tant de complications, bon Dieu ! et ne pourrait-on parfois être un peu naturel ? Allons-nous avoir nos décadents, en musique comme en littérature ? Je m’aperçois que je n’ai rien dit des interprètes de M. Pierné. Côté des hommes excellent, avec MM. Escalaïs et Delmas, tous deux impeccables. Côté féminin beaucoup plus faible, avec Mme Bilbaut-Vauchelet et Mlle Agussol. L’adorable beauté de Mme Bilbaut-Vauchelet ne saurait me faire passer condamnation sur les licences que sa voix prend parfois avec la justesse. D’ailleurs, il faut le dire, cette musique large ne convient pas à la nature de son talent délicat et fin, et elle n’en saurait avoir, non plus que Mlle Agussol, le style et la solide couleur.

Arthur Pougin.

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Arthur POUGIN

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publication date : 16/10/23