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Le Pré aux clercs d’Hérold

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(Premier article)

Il faut quelque connaissance de l’art et du jugement exercé pour discerner le mérite d’un ouvrage au milieu de choquantes imperfections, et voir en quelque sorte l’or dans la mine qui le recèle. Vous ne persuadez pas à un auditeur ignorant qu’un morceau de musique, exécuté sans justesse, sans mesure ou sans ensemble, est un morceau très estimable, et qui doit être plein de charme. En vain vous vous évertueriez à vanter au vulgaire les éminentes qualités d’un tableau, si l’artiste a manqué trop grossièrement aux règles du dessin ou à la vérité du coloris, ou seulement si le temps a endommagé la toile. Allons plus loin : en fait d’éloquence et de poésie, que plus de gens sont aptes à juger, tout le monde rend-il justice à une conception qui a été gauchement mise en œuvre, à une pensée que l’expression trahit et déshonore ? « Toute la différence entre Pradon et moi, disait Racine, c’est que je sais écrire. » Comme le remarque La Harpe, il ne faut pas prendre à la lettre ce propos modeste. Cependant il y avait quelque chose dans la Phèdre de Pradon ; et la preuve, c’est que Racine ne dédaigna pas de lui faire des emprunts.

C’est ainsi que les champions de l’Opéra-Comique plaidaient pour leur client, abstraction faite d’un présent plus ou moins chaleureux, et s’élançaient au-delà de la réalité pour atteindre le vrai. Les dandys de Paris avaient dit dans leur sagesse : Pourquoi vouloir ressusciter un genre qui est bien et dument défunt ? Tous les efforts, tous les talents du monde ne sauraient nous imposer de nouveau les plaisirs de nos pères ou de notre jeunesse, et emprisonner dans ces formes étroites le goût qui s’est tant développé pendant quinze ans de paix ? Et nous répondions : L’Opéra-Comique est un genre charmant, un genre national, auquel le public est toujours fidèle. Mais il faut que ce genre se réforme, comme tout le reste, ou simplement qu’il suive la route déjà tracée par quelques compositeurs. Une dixaine de partitions, qui par malheur n’ont plus l’intérêt de la nouveauté, satisfont précisément aux nouveaux besoins de notre organisation musicale. On objectait toujours une impossibilité. Il ne nous restait plus qu’à demander sans relâche l’argument de Diogène : on niait le mouvement, il fallait marcher. L’Opéra-Comique a rempli notre vœu ; et ce que les raisonnements les plus simples, les inductions les plus légitimes n’ont pu obtenir, les faits du moins l’obtiendront. Et, cependant, ce théâtre n’a pas recruté de chanteurs : ce serait là un autre perfectionnement, qui doublerait ses moyens de succès. Mais nous l’avions dit : en attendant mieux, ou pour parler plus juste, en attendant quelque renfort, la troupe actuelle présentait des éléments dont on pouvait tirer de l’effet.

Il fallait placer au premier plan deux ou trois femmes de talent, éteindre un peu l’orchestre pour produire telle voix facile mais peu sonore, donner à tel acteur un rôle capable de faire ressortir sa verve comique ; voilà ce qui a été compris par les auteurs du Pré aux Clercs, et ce qu’ils ont exécuté avec beaucoup d’habileté. En définitive, un plein succès nous justifie ; mais c’est un heureux hasard : Supposons que le théâtre de la place de la Bourse n’eût pas été rouvert, ou qu’il eût été refermé après quelques représentations, nous n’en aurions pas moins dit : l’opéra-comique est encore possible en France. Donnez à un directeur un portefeuille qui contienne assez de billets de banque pour inspirer la lyre de Rossini, qu’il aille commander au célèbre maëstro un operette dans le genre du Turc et du Comte Ory ; que, de plus, il prie, s’il le faut, M. Véron de lui prêter un sujet indispensable, et les plus belles accourront à ce théâtre, objet de leurs dédains, quelquefois même de leurs articles nécrologiques.

Le Pré aux Clercs est un ouvrage important, qui demande un examen sérieux. Nous consacrerons ce premier feuilleton à analyser le contingent fourni par M. Planard. Ce n’est pas trop d’un second pour apprécier la belle partition de M. Hérold.

L’action a lieu, je pense, vers l’an 1583. Marguerite de Valois, reine de Navarre, est prisonnière à la cour de France. Henri III, qui, si nous en croyons les Mémoires de cette princesse, « n’avait du courage que contre les femmes », s’était permis de jouer ce vilain tour à sa sœur ou plutôt à son beau-frère : car chacun sait comme quoi Marguerite prit son mal en patience. Elle égaya sa captivité par certaines distractions qui lui ôtent tout droit à l’intérêt ; et nous plaindrions bien plus volontiers son royal époux, si, de son côté, le Béarnais n’eût été un vert galant, comme dit la chanson. Au lever du rideau, nous sommes à Etampes, dans une salle d’auberge. Girot, qui tient à Paris l’hôtellerie du Pré aux Clercs, est venu pour se marier avec Nicette, que la reine-mère a eu la fantaisie de faire tenir sur les fonds baptismaux par sa fille Marguerite. L’introduction est un chœur de villageois. La jeune future a l’air fort peu enivrée des douceurs du mariage, et paraît tenir beaucoup plus au titre de filleule d’une reine qu’à celui d’épouse d’un aubergiste ; vaniteuse, intrigante, égrillarde, et tout cela sans doute pour mieux plaire à sa marraine, elle ne craint pas les compliments et les agaceries des jeunes seigneurs. Girot lui décrit les agréments de son pré : c’est le rendez-vous de la bonne compagnie ; et puis les cavaliers lui font l’honneur de venir se tuer sur son terrain.

A cette époque c’est un grand mérite que de savoir donner prestement un coup d’épée. Le Louvre était comme une école d’escrime ; la noblesse du royaume passait des journées dans les salles basses à faire des armes. Or ce n’était pas là un vain apprentissage ; la transition de la théorie à la pratique était facile : alors une barque vous portait sur l’autre rive (le pont des Arts n’existait pas encore), et l’on venait dans le Pré de Girot faire une périlleuse épreuve de ses progrès. Aujourd’hui, il faut aller jusqu’au bois de Boulogne ! Cependant paraît Mergy, envoyé de Navarre, pour réclamer l’épouse de son roi. Toutefois un intérêt plus direct et plus vif guide l’ambassadeur. Marguerite amena avec elle une jeune Béarnaise, la comtesse Isabelle de Montal, dont Mergy est amoureux : en sorte que la prisonnière qu’il vient principalement redemander, n’est pas celle dont il désire le plus obtenir la liberté. Le voyageur, pour qui Nicette montre dès l’abord une grande partialité, se leste l’estomac d’un poulet, avec un laisser-aller vraiment huguenot : car c’est un vendredi qu’il fait ainsi son menu, au grand scandale des chevau-légers qui boivent à la table voisine.

Cantarelli est un musicien que la reine a fait venir de Florence pour organiser les concerts et les divertissements de la cour. Il renouvelle connaissance avec Mergy, qui lui explique l’objet de son message ; mais le virtuose lui prédit que ni Marguerite ni même Isabelle ne lui seront rendues : Catherine garde autour d’elle les jolies femmes, comme un oiseleur des fauvettes. Il lui apprend, en outre, que celle qu’il aime a un adorateur, le marquis de Cominges, colonel des gardes, terrible ferrailleur, qui tire la rapière au moins quatre fois par semaine, et donne souvent au pré de Girot les divertissants spectacles que le galant prétendu a promis à sa fiancée.

Mergy cède prudemment la place à ce Cominges, qui arrive de fort mauvaise humeur : un cartel l’a empêché d’être de la partie de chasse. Nous voyons ensuite Isabelle et la reine de Navarre. Celle-ci reproche à sa charmante amie sa tristesse et son indifférence pour tous es hommages qui lui sont adressés ; la jeune comtesse, étonnée de se trouver prisonnière quand elle pensait ne rester que peu de temps à la cour de France, est toute au souvenir de sa patrie. Cependant la reine lui révèle qu’elle est aimée de Cominges. Dès qu’elle a appris ce secret, Isabelle s’écrit : Je me meurs ! Mais son amant se trouve là fort à propos pour la soutenir ; ce qui la détermine à ne pas mourir. Cominges, Cantarelli, Girot, Nicette reviennent en scène, et l’acte finit, comme il a commencé, par un chant de noces.

Au second acte, nous nous trouvons transportés au Louvre, dans une des salles du rez-de-chaussée. Isabelle regrette les jours de son enfance, et rêve le bonheur du retour. Marguerite vient lui annoncer que le roi veut lui donner Cominges pur époux ; et, comme elle prévoit le refus de son amie, elle l’engage à fuir avec Mergy, après un mariage secret dont elle prend tout le soin. C’est de Cantarelli qu’elle se servira dans cette intrigue. Pour s’assurer de lui, elle lui découvre qu’elle peut le perdre : une lettre, qui se trouve entre ses mains, prouve que le chanteur de la reine mère s’est fait l’agent du pape auprès de la maison de Lorraine. Or, Marguerite demande beaucoup : il ne s’agit rien de moins que le tromper Cominges ! Elle a de l’humeur contre son frère, et a promis de ne point paraître au bal. Cantarelli devra y conduire Isabelle, et faire en sorte que Mergy se glisse dans la mascarade. On juge de la consternation de ce pauvre virtuose : cependant Florentini est peureux, et se résigne à user d’artifice, et il ne tarde pas de se mettre à l’ouvrage.

Cominges lui ayant fait part de ses soupçons jaloux, Cantarelli lui dit confidentiellement que c’est de la reine de Navarre que l’ambassadeur est amoureux, et le marquis prend le change on ne peut mieux. Mais voici les masques qui arrivent ; le divertissement va commencer. Mergy vient en grande pompe redemander Isabelle ; Marguerite lui dit d’aller s’adresser au roi. On entre dans la salle de bal, excepté la reine, qui s’est ménagé la satisfaction de bouder. Cominges et Mergy se rencontrent : le premier félicite de ses prétendues amours le Béarnais, qui n’entend pas raillerie ; un défi est bientôt donné et accepté. Cependant, on ramène Isabelle presque mourante : le roi s’oppose à son départ ; et cette situation qui provoque bien des sentiments divers est le thème du final.

Au troisième acte, la scène représente le Pré au Clercs : à droite, la tour de Nesle et les ruines d’un vieux pont (vous savez qu’Henri IV a fait bâtir le Pont-Neuf) ; au milieu coule la Seine, sur laquelle on fait promener, à la seconde représentation, des barques élégantes ; enfin, on voit au fond le Louvre, qui, le soir, est illuminé pour le bal. Ce décor est d’un effet agréable.

Après une ronde chantée par la nouvelle mariée, on voit paraître Marguerite, Isabelle et Mergy, qui viennent exécute le projet d’évasion. Les deux rivaux se trouvent bientôt au rendez-vous et dérangés un peu par l’arrivée des chevau-légers, ils vont quelques pas plus loin vider leur querelle. Huit heures sonnent : c’est le moment fixé pour la fuite des deux amants. Marguerite, Isabelle, Girot et Nicette sortent de l’auberge. Alors passe une barque qui porte à Chaillot un corps sans vie : c’est celui de l’un des champions, et avez deviné quelle est la victime. Mergy accourt presser Isabelle dans ses bras, et la toile tombe.

On ne peut refuse à M. Planard une grande entente de la scène. On lui doit en partie d’avoir modifié l’opéra-comique et de l’avoir engagé dans une voie plus large. Il y a dans ce nouveau drame du mouvement, de la variété, de l’intérêt : les entrées et les sorties sont en général bien motivées, le dialogue ne manque ni d’esprit, ni de gaité : un grand nombre de mots heureux ont été applaudis. On trouvera peut-être un peu de lenteur dans les deux premiers actes et surtout dans le premier : mais que voulez-vous ? vous demandez de la couleur locale, on vous en donne ; mais on ne peut le faire qu’à la condition de transcrire quelques passages des mémoires du temps, et de développer un peu aux dépens de l’action. Quant aux vers, nous avons trouvé, dans ceux que nous avons entendus, que l’auteur de Marie a fait un grand progrès. Ils ont surtout une qualité bien précieuse, c’est d’être parfaitement coupés pour la musique. Quinault aurait eu besoin de prendre quelques leçons de M. Planard.

Quoique nous ne parlions pas aujourd’hui de la musique, nous ne pouvons nous refuser le plaisir de constater le brillant succès obtenu samedi par Mlle Dorus. Pourquoi la pièce a-t-elle été suspendue après une représentation ? Pourquoi Mme Casimir a-t-elle été remplacée par une artiste de l’Opéra ? Nous ne chercherons pas à pénétrer tous ces secrets de coulisse : mais nous nous réjouirons que ces petites contestations aient été pour le talent de Mlle Dorus l’occasion d’un véritable triomphe. Redemandée après la pièce, elle a été accueillie par les plus vifs applaudissements. Nous avons vu avec plaisir notre première et illustre cantatrice encourager plusieurs fois sa jeune compagne de son suffrage flatteur.

ZZ.

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Ferdinand HÉROLD

(1791 - 1833)

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Ferdinand HÉROLD

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Eugène de PLANARD

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publication date : 22/09/23