Les Théâtres / Tablettes théâtrales. Xavière
LES THÉÂTRES
Opéra-Comique – Xavière, idyle en trois actes, de M. Louis Gallet, d'après M. Ferdinand Fabre, musique de M. Théodore Dubois
Ah ! cette Benoîte maudite ! Ah ! ce gredin de Ladrinier ! Méchant maître d’école et coquette marâtre ! Benoîte Ouradou, devenue veuve, prétend épouser Landrinier, magister, lui aussi en état de veuvage. Chacun a un enfant. Landrinier, un fils : Landry ; Benoîte, une fille : Xavière. Les deux jeunes gens s’aiment.
Le domaine de Fonjouve, riche en châtaignes, dans le pays cévenol, est la propriété de Xavière. Elle le tient de l'héritage de son père. On ne sait trop pourquoi Benoîte et Landrinier ne conçoivent de mariage possible qu'à la condition de s'emparer du bien appartenant à Xavière. Pour la dépouiller de ce territoire, ils iront jusqu'à l'assassinat. En attendant cette extrémité, Benoîte Ouradou martyrise sa fille. Un jour qu'elle la bat, Landry intervient et reçoit au front un coup de battoir vite guéri, car, à l'acte suivant, sa blessure ne l'empêchera pas d'assister à la cérémonie de la fête des châtaigniers.
Le bon curé Fulcran, doyen de la paroisse de Camplong ; où se passe l'action, prend pitié des malheurs de Xavière. Puisque les biens terrestres et périssables lui amènent tant d'embarras, il l'engage à chercher le repos dans un patrimoine éternel. Il lui propose d'entrer en religion au couvent des Filles de la Croix. Cette combinaison, satisfaisante pour la rapacité de Benoîte et de Landrinier, semble moins heureuse à Xavière et à Landry. Ils n'admettent pas que Dieu même puisse les séparer, et se lamentent si fort, au milieu de la joie des paysans dansant à l'ouverture de la battue des châtaignes, que le curé Fulcran, devinant sa pieuse sottise, renonce à pousser Xavière vers le noviciat.
Xavière, dès lors, aimerait paisiblement Landry et du mariage devrait immédiatement s'ensuivre. Mais, dans leur désir incompréhensible de devenir maîtres de Fonjouve, Benoîte et Landrinier redoublent d'embûches. Puisque la religion ne les débarrasse pas de Xavière, ils emploieront la mort. Ils forcent l'enfant à monter sur un haut châtaignier, abaissent la branche sur laquelle elle doit poser le pied. Plus de point d'appui, et là-bas, dans le fond du décor, un précipice. Xavière tombe.
Les chutes, dans un opéra-comique, ne sauraient faire beaucoup de mal. Au troisième et dernier acte, Xavière, encore endolorie, a été recueillie par le curé Fulcran, qui la soigne eu son presbytère. Il méconnaît ainsi le Code civil au chapitre des droits de l'autorité paternelle. Au lieu de réclamer sa fille par du légitime papier timbré, Benoîte Ouradou préfère que Landrinier viole le domicile du prêtre en enfonçant la porte avec une poutre. Mais, en dépit de ces violences extra-légales, Xavière ne retombera pas sous la cruelle domination de sa mère. L'abbé Fulcran revient de la ville, rapporte un dossier, d'où il résulte que Benoîte et Ouradou pourraient être condamnés dix fois. D'ailleurs, la voix publique les accuse. Ce sont eux qui ont machiné le châtaignier et tenté ainsi de faire périr Xavière. On les a vus. Fulcran les chasse. Landrinier ne sera plus rien à Camplong, ni chantre, ni maître d'école. Benoîte le suivra dans son exode de mépris. Xavière implore la grâce de sa mère ; elle l'aimera si fort que la marâtre deviendra bonne. Le prêtre écoute cette voix de pitié. Il pardonne à Benoîte, puis, séance tenante, procède aux fiançailles de Xavière avec Landry. Et encore que Landry ait eu la tête fendue d'un coup de battoir et que Xavière se soit trouvée en risque de se casser les reins, dans son optimisme, il se hasarde à conclure que « la vie leur sourit en sa fleur ».
Livret et partition.
Le livret tire assez faiblement parti des ressources du drame idyllique fournies par le roman de M. Ferdinand Fabre. Au lieu d'établir solidement le caractère des personnages et la brutalité des sentiments des paysans de ce coin des Cévennes, il estompe leurs passions, aveulit leurs instincts au point que les événements, comme les individus, perdent de leur intérêt. Le rude appétit de la terre, qui pouvait fournir matière à un lyrisme spécial, ne s'indique ni chez Benoît, ni chez Landrinier, dont on ne démêle point les raisons de barbarie et de traîtrise. L'abbé Fulcran, lui-même, n'a point de personnalité et apparaît comme un bénisseur vulgaire et point très intelligent.
Reste l'amour de Xavière pour Landry, lequel ressemble beaucoup à l'amour de Mireille pour Vincent. On dirait même que le grand effort du parolier a été de ramener sans cesse le roman de M. Fabre vers le poème de Mistral. Au lieu de prendre le sujet tel que le lui donnait l'originalité de l'écrivain, il s'est manifestement étudié à le rapprocher le plus possible des situations connues et aimées à l'Opéra-Comique.
Sur ces situations de passion modérée et sur ces épisodes de pittoresque facile, M. Théodore Dubois, sans souci des querelles d'école, a écrit une partition digne de tout intérêt par sa sincérité et son honnêteté artistiques. Xavière peut être l'œuvre d'un compositeur timide dans les nouveautés, mais c'est assurément l'œuvre d'un musicien plein de conscience. Sans ostentation et sans affectation de science, et il en possède beaucoup plus qu'il n'a la discrétion d'en laisser voir, il donne franchement son inspiration pour ce qu'elle vaut, et cette inspiration est toujours délicate et distinguée. Quand les grandes messes sont finies, il flotte encore dans l'ombre des églises un reste harmonieux de musique et de chants qui suffisent à l'élévation des cœurs isolés et fidèles. M. Théodore Dubois semble le virtuose mélancolique de ces heures de religieux crépuscule, et l'estime des esprits sans préjugés doit le suivre dans son succès d'hier soir.
Le premier acte, le moins riche en trouvailles, contient cependant un aimable chœur d'enfants et la séraphique légende de saint François et des oiseaux. Le duo d'amour, un peu écourté, se développe plus tendrement au deuxième acte, parmi les rythmes dansants d'un ballet emprunté à des airs populaires. L'invocation aux Cévennes a de la grandeur, mais ce qu'il faut louer surtout, c'est le troisième acte, absolument complet d'un bout à l'autre. La gaîté s'y mêle à la tendresse. Une jolie chanson cévenole traverse avec légèreté le thème murmurant d'un duo d'amour et le final dramatique traité en septuor termine brillamment un opéra-comique où le public pourrait bien retrouver le charme qu'il éprouve à l'audition de Mireille.
L’exécution est parfaite de la part de M. Fugère, excellent de bonhomie sacerdotale en abbé Fulcran. M. Isnardon a peu à chanter et donne une silhouette amusante au maître d'école. M. Clément module avec gentillesse les cantilènes de Landry, et le duo de M. Badiali et de Mlle Leclercq est charmant de galanterie rustique et comique. Mlle Dubois joue Xavière avec plus de sens scénique que n'en ont d'ordinaire les actrices d'opéra-comique, et sa voix, bien que pas très bien posée, ne manque ni de justesse ni d'émotion. Mmes Lloyd et Chevalier font bravement leur partie dans des personnages effacés. L'orchestre et les chœurs ont fonctionné à souhait.
TABLETTES THÉÂTRALES
Pendant les répétitions de l'Attaque du Moulin, M. Carvalho demanda à M. Louis Gallet, l'inépuisable librettiste, de faire un livret pour M. Théodore Dubois, et il lui désigna un roman, qui se trouvait sur son bureau directorial, et qui n'était autre que Xavière, de M. Ferdinand Fabre.
— Voilà, dit-il, ce qui ferait un excellent drame lyrique.
— En effet, on m'en a déjà parlé, répondit M. Gallet.
— Qui donc ?
— Saint-Saëns... Mais rien n'est convenu entre nous... Je ferai le livret pour M. Dubois.
Le gros public connaît peu M. Théodore Dubois. Professeur d'harmonie au Conservatoire auteur de la Guzla de l'Emir, à l'Athénée; d'Aben-Hamet, à la salle Ventadour ; de La Farandole, à l'Opéra ; organiste, à la Madeleine : tels sont ses titres auprès des musiciens.
M. Dubois a composé Xavière à Fontenay, dans la Marne, où il se réfugia afin de travailler avec recueillement.
M. Ferdinand Fabre s'intéressait beaucoup à la pièce tirée de son roman, et il vint souvent aux répétitions ; mais, depuis quelques jours, il est pris par de malencontreux rhumatismes qui l'ont empêché d'assister, hier soir, à sa première représentation.
Quant à M. Louis Gallet, est-il dans Paris un homme plus occupé ? Il faisait répéter en même temps Xavière et la Femme de Claude, chez M. Carvalho ; Frédégonde, à l'Opéra, et il s'apprête à faire ses malles pour aller surveiller, à Genève, les dernières répétitions de Photis, comédie lyrique d'Audran.
Sans compter qu'il est inspecteur des hôpitaux, par-dessus le marché !
La pièce est bien montée. Le premier acte, une place de village dans les Cévennes, est pittoresque. Les montagnes, au fond, couvertes de châtaigneraies, sont éclairées par un chaud soleil.
Le deuxième acte se passe dans la montagne. Un châtaignier énorme, aux racines profondes, occupe presque toute la scène. On dirait le mancenillier de l'Opéra... sans la musique de Meyerbeer.
Ce châtaignier est "praticable" comme on dit en style de théâtre, et Mlle Dubois se promène sur ses branches comme sur son balcon.
Au troisième acte, nous voyons une partie de la cuisine du presbytère du bon curé Fugère. Ah ! s'ils lui avaient tous ressemblé au procès de Bourges !
M. Clément, l'amoureux, porte à peu près son costume de Vincent, de Mireille. Ne serait-ce pas cette particularité qui nous a fait croire, un moment, qu'il chantait le duo de Magali avec Mlle Dubois ? Un début à signaler : celui de Mlle Lloyd, un deuxième prix du Conservatoire il y a deux ans, revient de Nantes et de Bordeaux. Mlle Chevalier s'est chargée, avec dévouement, d'un petit rôle de vieille servante, et Mlle Leclercq porte gentiment le costume simplet de paysanne.
Quant à Mlle Dubois, autre prix du Conservatoire, s'il était d'usage de voter, comme en province, pour les débuts d'artistes, je lui donnerais mon suffrage pour son charme; au moins, elle aurait une voix.
Mademoiselle, l'opérette vous guette !
Maurice ORDONNEAU.
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publication date : 05/10/23