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Musique / La Soirée parisienne. La Vivandière

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MUSIQUE
Opéra-Comique. – La Vivandière, opéra comique en trois actes de M. Henri Cain, musique de Benjamin Godard.

Qu’est-ce que la Vivandière ? – Un opéra comique sans dialogue, aux morceaux reliés entre eux par de très sensibles récitatifs. – Est-ce un ouvrage important ? – Non. – Intéressant au point de vue musical ? Non pas. – Et le poème ? – Un poème du cirque Olympique, une Fille du régiment retour de chez Franconi. – L’œuvre est médiocre, en somme ? – Oui, mais de ce genre de médiocre qui fait courir le public. La Vivandière sera un grand succès.

*

Ce pauvre Godard, mort naguère à Cannes sans avoir pu terminer sa partition, était un musicien des mieux doués, d’une belle imagination mélodique, surtout dans le mode élégiaque, et d’un sens harmonique délicat. Son malheur vint d’une facilité excessive à laquelle il s’abandonna et qui l’induisit souvent en stérile abondance. Le théâtre le tenta pour le renom qu’il donne, encore qu’il ne parût pas avoir reçu le don théâtral. Je lui ai entendu soutenir un jour, avec grand sérieux, qu’un compositeur n’a pas à demander beaucoup à son poème et que toute situation lui doit être bonne.

Il ne prouva que trio la sincérité de son indifférence en matière de pièces lyriques en mettant en musique deux fois le même sujet, ou à peu près, avec les Guelfes et Dante, et en acceptant des livrets aussi médiocres que Pedro de Zulaméa et Jocelyn. Ses ouvrages dramatiques sont faits, en grande partie, de morceaux de concert, faciles à détacher, dont quelques-uns sont beaux et plusieurs comme improvisés. J’ignore ce qu’il eût écrit par la suite, instruit par l’expérience et ramené à des notions plus justes des actuelles nécessités de l’art. Une seule fois, il a composé un opéra spontanément à son loisir et sans répondre au désir d’un impresario – en un mot, comme on devrait toujours faire.

Or, cet opéra, les Guelfes, n’a été ni représenté, ni, que je sache, publié. Nos directeurs n’ont généralement d’initiative que pour traiter les musiciens en fournisseurs auxquels on fait des commandes livrables à date fixe. Encore se réservent-ils, presque toujours, de leur fournir des poèmes et trop heureux, quand ils n’y mettent point la main ! Godard, cependant, lorsqu’il eut entrepris les Guelfes, était l’auteur du Tasse, c’est-à-dire d’une œuvre considérable et vraiment distinguée, jouée avec éclat dans les concerts. Il avait le droit de se produire à la scène et d’y faire juger ces tendances librement accusées. On l’obligea, somme toute, à travailler sur mesure. De là, peut-être, cette nuance de dégoût qui se marquait dans théorie artificielle, digne d’un dilettante, et qu’il eût à coup sûr répudiée avant longtemps. Nous en avons déjà la preuve en la Vivandière.

Où en était cet ouvrage au moment de sa mort ? J’ai oui dire, qu’il se promettait de solidariser par des récitatifs, tout en vaquant à son orchestration. Cette conception est en elle-même assez bizarre. L’époque est passée où l’on pouvait procéder de la sorte. L’œuvre théâtrale, comique ou tragique, doit désormais avoir son utilité, autrement dit marcher du même pas que l’action, sans arrêts, sans transitions arbitraires et, tout ensemble, mélodiquement et symphoniquement. Quoi qu’il en soit, la mise en œuvre instrumentale et les petites scènes de suture sont du fait de M. Paul Vidal, qui a, d’ailleurs, exécuté ce travail d’une main légère et discrète. Les parties qu’on lui doit figurent, dans la partition, sous des numéros bis. Ainsi s’établit le compte de la collaboration suivant les convenances et selon la justice. Il est inutile d’y insister.

*

[résumé de l’intrigue]

Au vrai, nous avons devant nous un mélodrame militaire, tourné en opéra comique. Une action rapide et simple, mais convenue ; des personnages de tradition depuis Marion jusqu’à Jeanne et depuis le marquis jusqu’au grognard La Balafre ; pas mal de fadaises et quelques trivialités de circonstance ; enfin, brochant sur le tout, l’appel au chauvinisme. Bref, tout, hormis une œuvre d’art. Aussi quel triomphe !...

*

Y avait-il grande musique à répandre sur cette donnée ? Non certes. L’auteur l’a si bien compris qu’il a réduit son rôle à l’indispensable. Sa partition accompagne les scènes au lieu de s’identifier avec elles. Les petits morceaux suivent les petits morceaux. Prière, ariette, berceuse, chanson de marche, chansonnette de bivouac, airs de fifre accélérés au rythme du tambour arrivent à leur tour, l’un chassant l’autre. Les mélodies sont de style courant ; les duos se construisent selon la formule. Une hymne à la liberté, entonné par la vivandière, repris à toute voix par les choristes, éclate, en grosse banalité, à la fin du second acte.

Au troisième, voici des chants joyeux, d’une sonorité moins commune et d’un entrain réel. Puis, tandis que Marion fait évader le marquis, le théâtre reste vide ; un intermède d’orchestre étale ses idées pauvres… Mais faisons halte à cet intermède révélateur. Il trahit le secret de l’œuvre. Le malheureux Benjamin Godard, sentant, pour la première fois en cette Vivandière, la nécessité d’être scénique, s’est ralllié – qui l’aurait cru ? – à l’esthétique de Cavalleria rusticana.

Oui, rien n’est plus certain, l’idéal de M. Mascagni a envahi son esprit, prêt pour de meilleures lumières. Sa musique ne prétend qu’à rehausser les paroles aux endroits mouvementés, d’une enluminure impressionniste. Par exemple, un récit de bataille, crié par Fugère, se développe, tout en râles, sur un crescendo de tambours et de fifres, battant et sonnant la charge. On subit cet effet purement physique et l’on applaudit l’acteur excellent qui le fait valoir. Pourtant, est-ce là mieux que l’adaptation au procédé des mélodrames ?

Si l’on eût joué cette pièce au Châtelet ou à la Gaité, en façon d’œuvre illustrée de musique et non, proprement, d’œuvre musicale, nous n’aurions rien à dire. Il serait compréhensible que le compositeur se fût assigné le rôle secondaire d’accompagnateur. Seulement, nous sommes à l’Opéra-Comique ; nous avons le droit d’être musicalement plus exigeants. En matière lyrique, la parole et la musique doivent s’identifier, sans que l’une où l’autre aient à souffrir. Si le livret de M. Henri Cain commande cet effacement de la partie musicale, c’est qu’il répond mal aux conditions de l’art moderne. Je reconnais d’ailleurs que le musicien aurait pu pousser moins loin le renoncement.

Je vois au dernier acte un madrigal en style amphigourique, extrait par le sergent La Balafre de quelque Parfait secrétaire des amants et récité à Marion : « Ma Zélulbé, je serai ton sultan… » La parodie ne laisse pas d’être assez comique. Pourquoi faut-il que le comique, comme le tragique de tout à l’heure, provienne de la situation et du verbe seuls, sans que la musique y ajoute rien ?

Qu’on fasse donc à la Vivandière des soirs aussi nombreux que l’on voudra, j’affirme que le principe en est antimusical. Il importe peu que la mélodie soit écrite sur de la prose ou sur des vers ; l’essentiel est que l’action se déroule lyriquement. Le pseudo-réalisme qui apparaît ici par places, au milieu de formes empruntées au vieux répertoire, peut conduire au drame-express, au drame-éclair, au drame-explosif ; il ne conduit pas au vrai drame lyrique.

Avec le mascagnisme, il ne fait pas s’y tromper, nous voyons naître un nouveau malentendu sur lequel nous aurons, avant longtemps, l’occasion de nous expliquer en détail et qui ne saurait nous ramener qu’à l’idéal des mélodrames de Lazare le pâtre et de Gasparo le pêcheur. L’école de M. Mascagni, au fond, c’est l’école de M. Artus ressuscitée. Il est possible que ce système, dont le pauvre Godard s’était – partiellement – laissé tomber, aboutisse à un certain théâtre ; ce n’est pas, tout compte fait, à un théâtre de musicien.

*

Je dois cette injustice aux acteurs de la place du Châtelet qu’ils interprètent l’ouvrage dans un bon mouvement et avec intelligence. Mlle Delna est fort intéressante et toujours très en voix dans le personnage de Marion. J’aime beaucoup M. Fugère sous l’uniforme de La Balafre. En Mlle Laisné et en M. Célemnt, les deux amoureux d’opéra-comique trouvent une agréable incarnation.

M. Mondaud joue avec autorité le rôle très court du marquis et M. Badiali tire parti de celui du capitaine. Les ensembles se meuvent un peu plus librement qu’à l’ordinaire. Il y a même, au troisième acte, une danse à laquelle les chanteurs prennent part et qui a, de ce fait, un appréciable brio d’action. On n’aurait pas fait beaucoup mieux à l’Ambigu, en somme. Contentons-nous, pour aujourd’hui, de ce résultat.

Fourcaud.

[…]

La Soirée parisienne
LA VIVANDIÈRE

Benjamin Godard n’a pu, hélas ! assister au succès triomphal de la Vivandière. Il n’a pu voir toute une salle se lever frémissante et acclamer son œuvre et ses vaillants interprètes. Mais le souvenir du jeune maître, si tristement et si prématurément enlevé, n’a cessé d’être présent pendant toute la soirée, parmi la brillante assemblée qui fêtait si chaleureusement son œuvre, et critiques, clubmen, femmes élégantes, au milieu des bravos, des bis et des rappels, n’ont pas manqué d’envoyer une pensée émue à la mémoire du pauvre compositeur qui n’a pu jouir du fruit de ses derniers efforts.

Mon éminent collaborateur M. de Fourcaud vient de vous analyser l’œuvre. À moi, la besogne plus modeste, mais plus appropriée à mes aptitudes, de vous en décrire les aspects extérieurs.

L’action se passe en Vendée. Au premier acte, nous nous trouvons dans la campagne bretonne, devant la porte du château du marquis de Rieul. Au fond, un moulin à eau, mû par un ruisseau sur lequel est jeté un pont de pierre.

À gauche, l’entrée d’une ferme, dans la cour de laquelle est remisée la carriole de la vivandière Marion. Au loin, le paysage se déroule, pittoresque et ensoleillé. Une demi-brigade de l’armée du Rhin vient d’arriver dans le pays, et nous voyons Georges de Rieul, le fils du vieux marquis, s’engager dans les troupes républicaines, suivi de sa fiancée Jeanne, que Marion prend sous sa sauvegarde.

Au deuxième acte, Georges de Rieul est devenu sergent. Sa compagnie, qui vient de se distinguer à la prise de Cholet, arrive prendre ses quartiers dans un enclos abandonné et en ruines. À droite, une masure à moitié renversée et recouverte de lierre ; à gauche, des ruines perdues dans une épaisse futaie. Au fond, se détachant sur le paysage, un calvaire, séparé des masures par une route et par un mur écroulé, autrefois percé d’une porte dont on aperçoit encore quelques vestiges. La compagnie de Georges fait son entrée, précédée de ses tambours et de ses fifres.

À signaler un jeune tapin d’une dizaine d’années, que l’on croirait descendu d’une gravure de Raffet. Le capitaine fait former le carré (ne pas confondre avec l’excellent chef des chœurs, auquel je saisis cette occasion d’envoyer tous mes compliments) ; l’excellent Fugère, qui s’est distingué une fois de plus reçoit un fusil d’honneur. Il chante aussitôt avec une furia superbe un morceau entraînant : Serrez les rangs, qu’on lui fait recommencer. Ce fusil d’honneur est assurément un fusil à répétition.

La divine Delna, qui ne veut pas être en reste, chante, en finale, une invocation à la patrie qui lui est également redemandée. Je manque d’ailleurs, à la promesse que je m’étais faite, en mentionnant ces deux bis. Les bis ont été, en effet, si nombreux, que je ne saurais me permettre, vu la place restreinte dont je dispose, de les énumérer fidèlement.

Au troisième acte, le chef des Vendéens, le marquis de Rieul, est fait prisonnier. Marion a déjà pu empêcher que le fils ne combatte contre le père, mais elle ne peut éviter que Georges n’apprenne que son père va être fusillé. Il a été enfermé dans la propre demeure affectée à Marion, cette demeure, on la voit au premier plan, à droite. L’unique rue du village avec ses maisons basses et son église au porche de bois, se profile en perspective.

Elle est remplie de soldats qui se sont mêlés aux gens du pays. Il y a là une danse des pieds, des genoux et des mains, exécutée par les soldats et les paysannes, qui a soulevé des tonnerres d’applaudissements. Au moment où le vieux marquis va être passé par les armes, Marion le fait évader. Elle serait elle-même fusillée, si la Convention, dans un de ses bons jours, ne décrétait une amnistie générale. Tous les regards, à ce moment, se tournent vers la loge présidentielle, d’où part le signal des bravos.

Le nom de Benjamin Godard, quand Fugère est venu le lancer au public, a été salué d’une triple acclamation. Il serait injuste, toutefois, de ne pas mentionner ici, – car on ne l’a pas proclamé là-bas, – le nom de Paul Vidal, qui a terminé avec un art consommé l’orchestration inachevée de la Vivandière. Il convient également d’adresser les compliments à M. Henri Cain, un peintre aimable qui s’est révélé un aimable librettiste.

Quant à l’interprétation, elle est au-dessus de tout éloge. Superbe, Delna, en vivandière ! Superbe, Fulgère, en sergent La Balafre ! Parfait, de voix et d’attitudes, M. Clément en Georges de Rieul. Gracieuse et touchante, Mlle Laisné, qui fait entendre sa jolie voix dans le rôle de la petite fiancée Jeanne. Excellents, MM. Badiali, Mondaud, E. Thomas et Tony Thoms.

N’oublions point le grison, qui traîne la carriole de Marion, et que nous avons vu débuter dans Don Quichotte, sous le ventre de Dailly.

La mise en scène est curieuse et intéressante ; les chœurs évoluent avec une précision inaccoutumée.

Au résumé, un succès qui aura de nombreux lendemains. Je ne serais pas étonné que l’on joue encore la Vivandière… quand l’Opéra-Comique sera reconstruit.

Intérim.

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Journalist

Louis de FOURCAUD

(1851 - 1914)

Conductor, Composer, Violinist

Benjamin GODARD

(1849 - 1895)

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Henri CAIN

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publication date : 31/10/23