Poème élégiaque pour violon et piano op. 12
Publié en 1893, le Poème élégiaque pour violon et piano op. 12 d’Eugène Ysaÿe est dédié au compositeur Gabriel Fauré, dont le Deuxième Quintette avec piano op. 89 sera écrit pour le violoniste. L’œuvre doit être jouée sur un violon accordé de façon inhabituelle (scordatura), le sol grave étant remplacé par un fa. Cette technique est utilisée dans un autre poème pour violon d’inspiration funèbre de la même période, la Danse macabre op. 40 de Camille Saint-Saëns (1874), dont le mi aigu est accordé mi bémol, à intervalle de quarte augmenté du la. Tout au long du Poème élégiaque, les codes de la virtuosité violonistique (sixtes et octaves parallèles en doubles cordes ou brisées, gammes et arpèges rapides, trilles) sont mis au service d’une intensification de l’expression funèbre. Ils sont notamment utilisés au moment des climax, ou pour y mener. Dans la première partie du Poème, le thème initial, accompagné de croches haletantes au piano, semble se développer à l’infini. Vient ensuite une « Scène funèbre » : au début de cette seconde section, le rythme se fait beaucoup plus statique, et le violon déclame une sorte de litanie « grave et soutenue » sur une pédale de si bémol au piano. C’est dans cette partie de l’œuvre que l’on peut entendre très distinctement la corde grave accordée de façon inhabituelle. Se déployant avec peine en lignes torturées, la mélodie semble devoir inexorablement retomber sur ce fa qui assombrit le timbre du violon, et le fait sonner comme un alto. Le langage chromatique de ce poème témoigne de l’influence de la musique de Wagner sur sa composition. Orchestré par Ysaÿe, le Poème élégiaque inspira au compositeur Ernest Chausson l’écriture de son propre Poème pour violon et orchestre op. 25, qu’il dédia à Ysaÿe. Créateur de cette œuvre, Ysaÿe la joua dans le monde entier, l’intégrant de façon quasi-systématique aux programmes de ses récitals.