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Opéra-Comique. Cendrillon

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THÉÂTRE ROYAL DE L’OPÉRA-COMIQUE
Première représentation de la reprise de Cendrillon, opéra en trois actes, paroles de M. Etienne, musique de Nicolo.

Cendrillon fut représenté pour la première fois le 22 février 1810. Il n’y a pas d’exemple dans les fastes du théâtre d’un succès aussi colossal. Pendant trois années consécutives la pièce fit de l’argent ; une parodie, jouée aux Variétés par Potier et Brunet, sous le titre de la Chatte merveilleuse, eut plus de cinq cents représentations : le Vaudeville fit aussi jouer une pièce intitulée les Sept Pantoufles ; c’était une espèce de revue des sept pièces composées sur le sujet populaire de Cendrillon Enfin, pendant quelques années, Paris ne rêva que Cendrillon, que petite mute verte et que tambour de basque. C’est à cette époque qu’on imagina d’ajouter aux pianos une pédale qui frappait sur un tambour de basque placé au-dessous de la caisse de l’instrument ce fut alors un grand luxe d’avoir un piano a tambourin. La danse de Cendrillon pénétra même dans les salons ; c’était la polka et la mazurka de l’empire, et les merveilleuses du jour (c’est encore ainsi que l’on nommait les élégantes qui donnaient le ton) se faisaient admirer dans tous les bals à la mode en dansant seules ce fameux pas qui détrôna complètement la gavotte ; il y eut une consommation effrayante de jupes courtes, de taquets à plumes et de tambours de basque : les désastres de 1815 mirent seuls fin à cette fureur. J’étais bien enfant, j’avais à peine six ans à cette époque du succès de Cendrillon, et je me rappelle fort bien la sensation extraordinaire que produisait l’ouvrage, que je ne vis pas, mais dont j’entendais sans cesse parler, dont on chantait les airs, et à qui toutes les modes empruntaient leur nom.

La pièce était jouée par Mmes Alexandrine Saint-Aubin, Duret-Saint-Aubin, Regnault (qui devint Mme Lemonnier), et par MM. Paul, Solié, Lesage et Juillet. Quelques années plus tard, tous ces acteurs étaient retirés du théâtre ; on tenta une reprise qui n’eut aucun succès. Mme Rigaut, cantatrice habile, mais actrice fausse et maniérée, avait été chargée du rôle principal, et comme i ! y avait peu à chanter et beaucoup à jouer, il n’est pas étonnant que cette reprise n’ait fait aucune sensation. 

Il en sera tout autrement de celle qui vient d’avoir lieu a l’Opéra-Comique, et l’accueil qu’elle a reçu du public doit lui faire présager une suite de représentations fructueuses dont nous ne pouvons prévoir le terme. L’ouvrage, il faut la dire, a, sous de certains rapports, subi de grandes améliorations. Le plus grand défaut de la pièce primitive était d’être une féerie sans féerie : celles qu’on a ajoutées sont du meilleur goût, et ont donné à l’ouvrage le relief dont il avait besoin. L’exécution a été tort bonne. Quelques rôles n’avaient pas été mieux joués dans l’origine, quelques-uns ne l’avaient peut-être pas été aussi bien.

Mlle Darcier est ravissante de grâce et de sensibilité dans le rôle de Cendrillon : les couplets si naïfs et si heureux Je suis modeste et soumise ont été chantés par elle avec un charme et un accent qui ont peut-être fait verser autant de larmes qu’ils ont provoqua d’applaudissements. Nous reprocherons cependant à Mlle Darcier, qui possède toutes tes qualités physiques de son rôle, de porter une robe si longue que l’on ne peut que deviner le joli petit pied qui lui fait mériter la couronne et la rose, comme dit le livret. Sa danse est, nonobstant cet inconvénient, d’un goût et d’une décence charmante, tour à tour petite fille et grande dame, cette piquante actrice est également ravissante sous ces deux aspects. Mme Casimir a eu occasion, dans le rôle de la première chanteuse, de déployer toutes les ressources de sa magnifique voix et de sa merveilleuse vocalisation. Mlle Révilly n’a que le tort d’être trop belle dans un rôle où les avantages physiques deviennent presque un contresens ; elle a fort bien dit, dans le grand duo avec Mme Casimir, une partie d’autant plus difficile qu’il faut chanter et danser à la fois, problème que Nathalie Fitzjames et Carlotta Gris : n’ont même jamais essaye de résoudre ; car ces deux aimables artistes ne chantaient que quand elles ne dansaient pas, et ne se sont jamais avisées ne vouloir réunir leurs deux talents de chanteuse et de danseuse en une même fois. Grard, qui chante si bien quand il veut adoucir sa voix (ce à quoi il n’est pas trop enclin), a parfaitement chanté son solo du premier acte et son air du second, difficulté d’autant plus grande que la mélodie en est excessivement élevée. Audran a eu un succès de chanteur des plus prononcés dans sa romance du deuxième acte, qu’il a rendue avec un goût exquis. Paul, qui a créé ce rôle, n’avait jamais fait soupçonner le parti qu’un chanteur habile pourrait tirer de cette musique à laquelle n’avait su donner aucun effet. Le succès d’Audran est des plus honorables, et prouve tout ce qu’on peut attendre de ce jeune artiste qui rachète, par le goût et l’expression, ce qui lui manque en force et en énergie. Grignon et Sainte-Foy sont chargés des rôles de Montefiascone et de Dandini. On leur a beaucoup reproché d’avoir fait trop de charges le jour de la première représentation. Moi, j’ai le bonheur d’avoir très-mauvais goût, ce qui fait que je m’amuse là où de plus délicats ne trouvent aucun plaisir, et je n’avais pas été trop choqué de ce qui avait scandalisé les autres ; a la deuxième représentation, les deux artistes ont modifié leur jeu, et comme on a moins ri, j’en ai conclu que l’honneur était satisfait. La musique de Nicolo est pleine de mélodies ravissantes que le public a accueillies de nouveau avec transport. Cet opéra, qui devait rester si longtemps an théâtre, a été fait en quinze jours, poème et musique. Il ne faut pas s’étonner si Nicolo, qui n’instrumentait déjà pas trop bien quand il en avait le temps, ait cette fois apporté plus que de la négligence dans la disposition de ses accompagnements. Il est inconcevable de penser que cet ouvrage ait pu être écrit à une époque où MéhuI et Cherubini avaient déjà donne de si beaux modèles de pureté, et où Spontini avait déjà révélé dans la Vestale le germe de cette brillante instrumentation que Rossini devait compléter quelques années plus tard, et qui est devenue le guide et la base de l’orchestration moderne. Chargé de revoir la partition de Nicolo, je n’ai eu d’autre tache que de mettre en relief de ravissantes idées trop souvent enfouies sous des accompagnements qui en détruisaient l’effet. Mais j’ai eu un autre embarras au deuxième acte. Nicolo y avait placé, pour Mme Duret, un air de bravoure, d’une si malheureuse conception, que la cantatrice renonça bientôt à le chanter et en demanda un autre au compositeur : il en refit un second ; mais ne fut guère mieux inspiré que la première fois. Depuis ce temps, les cantatrices intercalaient un air de leur choix. Je n’aime pas les pastiches et surtout je tiens à ne pas superposer ma musique à celle des autres. Je cherchai donc dans tout le répertoire de Nicolo, et je ne pus y découvrir que deux airs de femme, l’un de Jeannot et Colin, qui est de situation, et l’autre du Billet de loterie, qui est trop connu. Je fus donc, à mon corps défendant, obligé d’en composer un ; mais pour tourner la difficulté autant que je le pouvais, je me contentai de donner à Mme Casimir un thème de seize mesures, et c’est sous la dictée de sa voix que j’ai écrit les brillantes variations qu’elle a exécutées avec tant de sûreté. Admettez alors que cet air est de Mme Casimir et non de moi, j’en décline toute la responsabilité pour pouvoir vous en dire mon opinion. Je déclare donc que l’air de Mme Casimir est merveilleusement écrit dans ses moyens, et que rarement la cantatrice a trouvé une plus favorable occasion de faire applaudir son instrument et son exécution. Je ne suis point autorisé à vous nommer l’auteur des paroles de cet air, mais je puis bien me permettre de vous dire qu’elles sont très jolies : et comme la netteté de prononciation n’est pas la qualité dominante de Mme Casimir, je vous engage, pour vous en assurer, à vous procurer cet air, qui sera publié la semaine prochaine au magasin de musique de Mme Troupenas, qui va également faire paraître la petite partition de cendrillon, avec les changements apportés à cette reprise.

Je n’ai point fait d’analyse de la pièce qui est trop connue, je ne vous citerai pas non plus les morceaux que chacun voudra aller réentendre, car, depuis trente-cinq ans, leur popularité n’a point cessé. Je ne vous parlerai pas non plus de la merveilleuse finesse d’exécution de l’orchestre, obéissant comme un seul homme à l’archet magique de Girard, mais je ne puis me dispenser de vous signaler un luxe de mise en scène et de costumes, tels que vous iriez le chercher à l’Opéra, sans être aussi sûrs de l’y rencontrer. Cicéri a fait une dernière décoration représentant un palais illuminé, dont l’effet est enchanteur.

L’Opéra-Comique vient, en remontant Cendrillon, d’obtenir un succès d’argent qui va se prolonger jusqu’à la première représentation de l’opéra d’Auber ; on sait que pour le théâtre c’est une affaire sûre. D’ici là, on doit aussi reprendre Gagliostro, interrompu par l’indisposition de Mme Boulanger. Je souhaite que cette reprise fasse autant de plaisir au public qu’à moi et à mes éditeurs.

Ad. Adam.

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Composer, Editor

Nicolò ISOUARD

(1773 - 1818)

Composer, Pianist

Adolphe ADAM

(1803 - 1856)

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Charles-Guillaume ÉTIENNE

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publication date : 22/09/23