Skip to main content

Cendrillon d’Isouard

Category(ies):
Publication date:

Charles Perrault, l’auteur du conte de Cendrillon, fut un personnage assez singulier. Frère de l’architecte qui fit ce beau monument : la colonnade du Louvre, et ce vilain édifice : la tour de l’observatoire, à l’époque où il vivait il fut pour ainsi dire le premier à soutenir contre l’opinion unanime cette assertion paradoxale au temps des classiques : O que les anciens ne valaient pas les modernes. Charles Perrault donna donc, sous Louis XIV, l’exemple d’un homme qui ne fut pas sérieux. Il se servit ensuite de cette qualification pour attirer sur soi l’attention, afin que, l’étonnement passé et les colères apaisées, il lui restât, du bruit qui s’était fait autour de lui, assez de notoriété et de réputation pour le faire entrer à l’Académie française dont il fit partie jusqu’à l’année 1703. Ch. Perrault fut l’auteur des contes des fées, d’où Riquet à la houppe, Barbe-Bleue, la Belle au bois dormant sortirent un beau jour pour se répandre dans les châteaux, les gentilhommières et les maisons de province, afin de peupler, dans la chambre à coucher tendue de verdures, les insomnies des châtelaines, des gentilhommes et des jeunes bourgeois, qui jusqu’alors n’avaient vu passer dans leurs rêves les plus éblouissants, que les Festes de Versailles ou de Saint-Germain-en-Laye, racontées par le Mercure galant. C’est ainsi que Ch. Perrault mit en circulation ce conte bleu de Cendrillon, que tous nous avons lu dans notre enfance. En 1809, Etienne s’empara de la merveilleuse légende, la coupa en scènes, puis en actes, en fit un poëme d’opéra-comique, et présenta ce poëme à Nicolo, qui le mit en musique.

Le succès de Cendrillon fut immense pour le temps. Nous avons eu la curiosité de rechercher les traces de ce succès dans l’année 1810 du Journal de Flore, et voici les comptes rendus que nous avons retrouvés, singulièrement mêlés avec des descriptions de costumes à la mode.

« Février 1810. — On va donner Cendrillon à l’Opéra-Comique. Soixante loges sont louées pour la représentation de cet ouvrage ; la musique est attribuée à un de nos compositeurs les plus hardis ! (aimable Nicolo !) Louons l’auteur d’avoir placé Cendrillon à Feydeau et d’avoir réservé un sujet plus moral pour le théâtre où règne Thalie (le Théâtre-Français). La redingote, l’hiver passé, était très-courte et de couleur brune, on la mettait pour aller à pied ; une redingote cette année est très-longue, d’un drap blanchâtre et ne convient que sur un carrick (ô Odry !) » 

« 9 février. — Les répétitions sont suspendues. Cendrillon (c’était Mlle Saint-Aubin) s’est trop approchée du feu, elle a mis ses petits pieds trop près de la cendre, et elle a des engelures qui l’empêchent de chausser la pantoufle verte ; ce retard ne nuira pas au succès de la pièce. Toutes les pierres sont aujourd’hui à la mode quelles que soient leurs couleurs : jaune, bleue, rouge, verd. Autrefois on les séparait en ajustements, aujourd’hui on les mêle. » 

Dans le numéro du 24 février 1810, le Journal de Flore annonce le grand succès de Cendrillon 

« Le dialogue est naturel et piquant, la musique est parfaitement adaptée au sujet, et la lyre de M. Nicolo, naïve et gracieuse, a été en harmonie parfaite ave la muse de M. Etienne. » 

Puis, plus loin :

« On se bat à la porte de l’Opéra-Comique lorsque l’on donne Cendrillon ; des bijoutiers ont fait des bijoux qui portent la devise : Simplicité, constance. 

On a maintenant des bonnets polonais rattachés par deux ganses à glands d’argent, une robe de satin blanc et une polonaise cramoisi. Ce n’est que désolation ou gaîté dans tout Paris ; les gens enchantés sont ceux qui ont pu assister à une représentation de Cendrillon ; ceux qui n’ont pu voir encore le nouvel opéra-comique sont honteux et désolés. » 

Que la ciel accorde au théâtre de l’Opéra-Comique le renouvellement du grand succès dont nous voyons ici les preuves. 

L’autre soir, en songeant à cette Alexandrine Saint-Aubin qui créa le rôle de Cendrillon, et à tous les excellents artistes qui parurent dans la première représentation de l’opéra de Nicolo, nous avons fait cette réflexion, que le temps des troupes d’ensemble était certainement venu, et qu’au théâtre, comme ailleurs, la valeur générale ayant beaucoup augmenté, les artistes célèbres n’étaient peut-être plus indispensables. Certes, ce ne sont pas encore de grands mais de jeunes et consciencieux artistes qui remplissent aujourd’hui les principaux rôles de l’opéra de Nicolo à l’Opéra-Comique ; mais M. Nicot a une voix charmante et chante à ravir ; mais la jolie Mlle Chevalier a un costume de velours bleu qu’elle porte avec une crânerie qui la rend gentille à croquer ; mais Mme Franck-Duvernoy chante fort bien un air nouveau de Nicole ; mais Mlle Potel a une beauté sobre et une grâce modeste qui la rendent sympathique et intéressante. Quant à MM. Thierry et Legrand, ils ont l’aplomb de vieux comédiens habiles et expérimentés. Et tout cela va très-bien et la pièce fait son effet, sans qu’il soit nécessaire d’évoquer des souvenirs et de rappeler des ombres ! Puisque les comédiens de notre jeunesse sont morts ou retirés du théâtre, il faut faire paraître les jeunes et former des troupes d’ensemble ; cet exemple sera suivi et les artistes du chant reviendront à des prix raisonnables, sans lesquels il n’est point d’entreprises théâtrales possibles, ni de durables succès.

M. Carvalbo a habillé la Cendrillon de l’Opéra-Comique à la Louis XIV, et quoique l’œil soit un peu surpris par l’exactitude de ces graves habits, c’est évidemment sous ces costumes que se sont présentés d’abord à l’imagination de M. Perrault les personnages de Cendrillon.

Le ballet des Saisons ajouté à la partition est tout à fait charmant. Un érudit, M. Lajarte, a arrangé à ce propos quelques vieux airs de Lully, dont la sincérité n’est pas tout à fait d’accord avec la simplicité un peu affectée de la musique de Nicolo, et l’orchestration arrangée, croyons-nous, par Adolphe Adam.

Quoi qu’il en soit, l’ensemble de la représentation est très-agréable, et nous croyons que l’Opéra-Comique a bien fait nous donner la reprise de Cendrillon. […]

Eugène Gautier.

Related persons

Composer, Editor

Nicolò ISOUARD

(1773 - 1818)

Composer, Violinist, Journalist

Eugène GAUTIER

(1822 - 1878)

Permalink

https://www.bruzanemediabase.com/en/node/9699

publication date : 21/09/23