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Sur la musique de l’opéra des Abencérage

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BEAUX-ARTS – MUSIQUE
Sur la Musique de l’opéra des Abencérages.

Avant d’analyser la musique, je jeterai un coup-d’œil sur le poëme. Le drame est dénué d’intérêt, parce que l’action est coupée à tout moment par des ballets, qui d’ailleurs sont trop prolongés, surtout dans le premier acte. Le morceau le plus dramatique de l’ouvrage se trouve au second acte, quand Almanzor est condamné à l’exil, et fait ses adieux à ses amis. Depuis cette scène jusqu’au dénouement, la situation ne change pas, et l’intérêt diminue. De plus, les longueurs dominent dans la musique comme dans le drame ; elles sont sensibles, principalement dans le commencement du troisième acte, quand Noraïme chante son air, et, dans le second, quand Alémar chante le sien. On gagnerait beaucoup à retrancher ces deux morceaux, et à faire des coupures à quelques autres.

Parlons maintenant de l’impression générale que la musique a faite sur les véritables connaisseurs.

Les défauts principaux de cette musique, sont : 1o que les phrases mélodiques ne s’enchaînent pas, ne pas suivies, ne sont pas développées, ce qui fait qu’on ne peut point les retenir ; 2o qu’elles sont contrariées par l’harmonie, et encore plus par les mouvemens divers de l’orchestre, qui ne sont pas d’accord avec la nature de ces phrases mélodiques. De-là vient que l’attention des auditeurs est sans cesse balottée entre l’orchestre et le chant, et se détruit à force d’être fatiguée ; 3o que les masses sont toujours en mouvement, et produisent une monotonie nuisible, même à des traits qui auraient de l’effet, si elles étaient mieux ménagées[1] ; 4o que la couleur de l’ouvrage est si peu variée, qu’on croit, d’un bout à l’autre, entendre le même morceau de musique, seulement coupé par les différens mouvemens de mesure ; et certes, ce morceau est un trop long ; 5o que les airs de ballets qui ouvrent un chant si vaste au compositeur pour exercer son talent, parce qu’il n’est point gêné par les paroles ou par les caprices des chanteurs ; les airs de ballets, dis-je, ne sont que des mouvemens rhytmés, sans charme, sans mélodie, sans originalité, et son absolument manqués.

Il résulte de tout cela une prétention à vouloir briller comme compositeur habile, mais aux dépens de l’intérêt dramatique, et particulièrement de la mélodie. Hélas ! c’est une erreur très-commune, et qui nuit à l’art même ; car il y a deux choses à considérer dans l’art : le but qu’on se propose, et le but qu’on exige.

Quand, sous ces deux rapports, l’objet de l’art n’est pas rempli, l’artiste est nécessairement en défaut. La scène n’a pas été créée pour y faire un cours d’études. Je lui demande du plaisir et des émotions : la plus grande difficulté de l’art, c’est de rester fidèle à ses principes, en parvenant à ce but. Il n’est rien de plus aisé pour un harmoniste habile, que d’exercer son art avec des moyens qui paraissent au vulgaire un grand effort de talent ; mais les véritables connaisseurs, qui ne jugent que le but qu’on devait atteindre et la manière d’y arriver, n’en sont pas dupes. Ils savent très-bien qu’une chose, la plus simple possible, mise à sa place, exige plus de génie, plus de talent naturel, plus de jugement que tous les abus possibles de l’art.

Mais comment fait-il que, de nos jours, les musiciens aient tant tant [sic] de peine à mettre leurs productions à la portée du public ; chose si importante, puisqu’ils veulent travailler pour lui ?

C’est que, dès leur jeunesse, ils s’habituent à des proportions harmoniques si combinées, si multipliées, que leurs organes auditifs ne saisissent plus les proportions simples que le public exige. Lorsque le compositeur lui-même s’aperçoit de cette disparate, et qu’il veut revenir sur ses pas, il n’en est plus le maître ; et tout en croyant avancer vers le but, il s’en éloigne. C’est un gourmand dont le palais usé ne peut plus prendre goût qu’aux mets fortement épicés. Cela explique un phénomène assez frappant dans cet art : souvent des compositeurs médiocres obtiennent du succès où les compositeurs savans échouent.

Dans cette critique, je n’ai point eu l’intention de nuire à la gloire de M. Cherubini, acquise à tant d’autres titres ; je n’ai parlé de la musique des Abencérages, que par intérêt pour l’art. Ce n’est pas la première fois qu’un grand artiste s’est trompé. On sait que le célèbre Jomelli, parvenu à la plus haute réputation, fit représenter à Naples son dernier ouvrage, Ifigenia, et que cet opéra y obtint fort peu de succès. M. Cherubini peut bien une fois en sa vie avoir erré comme Jomelli.

Z.

[1] Il faut observer que le compositeur, écrivant pour un grand vaisseau, doit employer de grosses notes dans l’orchestre, et s’interdire tous les petits détails convenables à la musique de chambre.

Persone correlate

Compositore

Luigi CHERUBINI

(1760 - 1842)

Opere correlate

Les Abencérages ou L’Étendard de Grenade

Luigi CHERUBINI

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Étienne de JOUY

Permalink

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data di pubblicazione : 21/09/23