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Spectacles. Les Abencérages

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SPECTACLES.

Après une honorable excursion sur le domaine de Melpomène, nous venons de voir reparaître sur notre grande scène lyrique l’auteur de la Vestale ; de cet opéra qui pour le mérite du poème et le pathétique de la composition, paraît avoir sa place assignée immédiatement après Didon, et dont la reprise a été récemment un nouveau sujet d’éloges pour le poète, pour Spontini et pour Mme Branchu ; les Abencérages de M. de Jouy ont assez rapidement succédé aux Amazones ; ils ont eu déjà deux représentations fort brillantes. Florian a décrit et presque chanté les exploits de ces Maures intrépides, dignes rivaux d’une nation vouée au culte de l’honneur et de la beauté. On croit que l’auteur eût pu tirer plus de parti de Gonzalve de Cordoue, et répandre eu l’imitant plus fidèlement, plus d’intérêt et de vraisemblance sur sa fable. Voici celle qu’il a imaginée.

Les Maures règnent à Grenade. Les tribus des Abencérages et des Zégris unies contre les Espagnols, nourrissent l’une contre l’autre cette haine héréditaire, cette jalousie du pouvoir qui leur a été funeste. Muley Hassem, roi des Maures, est absent pour une expédition lointaine. Le visir Alémar, Zégris, commande à sa place. Almanzor, Abencérage, va s’unir à Noraime, princesse du sang royal ; le roi l’a voulu, et ce choix irrite le visir et son parti. La première scène fait connaître sous quels auspices Almanzor va s’unir a Noraime ; on voit que les torches de la discorde s’allumeront aux flambeaux d’hyménée. Cependant la fête commence, et Gonzalve de Cordoue, le grand capitaine, est venu dans les murs de Grenade pour eu être le témoin. Une [illisible] le lui permet, il est accompagné du joyeux et galant cortège des troubadours et des jongleurs ; leurs harpes mélodieuses se mêlent aux instruments guerriers des Maures, et les deux peuples se confondent dans des jeux qui sont encore une image de la guerre. Tout-à-coup la fête est suspendue ; un envoyé du camp royal est venu annoncer que la trêve est rompue. La situation de Gonzalve paraît ici dénuée de vraisemblance, car l’arrivée du hérault qui proclame la guerre a suivi de bien près le moment où Gonzalve est venu parler de paix, de jeux et d’hymen ; aussi parmi les Maures, les uns veulent l’arrêter, et ce sont les Zégris ; mais le parti du visir qui veut tendre un piège à Almanzor, feint des sentimens généreux, et se joignant aux Abencérages, permet à Gonzalve de rejoindre son camp. Ce dissentiment dans le sein de la tribu des Zégris elle-même, est peu senti à la représentation ; et à la lecture, quand on le reconnaît, on juge que cette conception a pu jeter de l’obscurité sur cette partie de la septième scène, et qu’elle justifie ce que la composition offre aussi d’obscur et de confus. Gonzalve sort accompagné de sa suite, dont les chants d’allégresse et de triomphe paraissent dans ce moment assez déplacés ; ici se révèle l’intrigue ourdie par le visir ; elle consiste à confier l’étendard sacré à Almanzor : on sait qu’à Grenade la loi condamnait à mort le général sous le commandement duquel cet étendard, l’oriflamme des enfants d’Ismaïl, tombait entre les mains de l’ennemi : or, le guerrier auquel Almanzor le remet au moment où il va combattre, est un traître vendu au visir : il doit remettre l’étendard aux mains des Espagnols. Comme ce guerrier est un Zégris, ou pourrait trouver étonnant qu’Almanzor lui confie le drapeau ; mais le poème nomme ce traître Octaire, porte drapeau du royaume de Grenade ; cependant s’il y a un porte-drapeau du royaume, le général qui commande peut-il être responsable de sa perte ? Le récit historique n’est peut-être pas ici très bien suivi. Ces détails critiques paraîtront minutieux, mais comme c’est ici le moyen principal employé par l’auteur, il est permis de discuter plus ou moins de vraisemblance.

La fête brillante du premier acte avait paru d’une étendue fort raisonnable ; celle que Noraime voit commencer sous ses yeux, en attendant le retour de son époux victorieux, était peut-être inutile ; elle est interrompue, comme la première, par une nouvelle qui fait succéder des cris de douleur aux chants de l’allégresse et de la victoire. Almanzor a triomphé des Espagnols ; il a conquis sur eux de nouveaux trophées ; mais au moment où il rentrait à Grenade, Octaire son étendard ne l’ont point suivi : l’un et l’autre sont au pouvoir de l’ennemi. Almanzor n’a plus à paraître que devant le conseil des vieillards.

La gloire le couronne
Et la mort l’environne
Au sein de ses foyers ;
La loi, que rien n’arrête,
À le frapper s’apprête,
Et le menace sa tête
Couverte de lauriers.

Almanzor, accusé par le visir devant le conseil et le peuple, répond :

J’ai vaincu, j’ai rempli tous les vœux de la gloire ;
La nuit, témoin de ma victoire,
L’est aussi d’un malheur que je ne conçois pas :
Triomphante, l’armée entière
A salué notre sainte bannière ;
Je la portais moi-même au milieu des combats ;
Octaire de retour fut commis à sa garde ;
L’ombre couvrait les cieux ;
Nous marchons ; le jour naît : j’appelle, je regarde ;
Octaire, l’étendart, rien ne s’offre à mes yeux…

Le visir s’écrie qu’Almanzor accuse injustement un Zégris : Almanzor éclairé par un mot de Noraime, répond que ses soupçons s’étendent plus loin : les vieillards demandent une preuve ; Almanzor n’en a pas, mais ses compagnons en apportent de nombreuses de sa vaillance ; ce sont les drapeaux conquis sur les Espagnols : leur amitié fidèle oppose ses trophées enlevés les armes à la main aux accusations du visir ; les vieillards délibèrent ; Almanzor a sauvé Grenade, mais il a perdu son étendard ; sa victoire lui donne la vie ; son malheur le condamne à l’exil. À ce mot les Zégris s’écrient que cette clémence remplit leur vengeance, deux de leurs chefs qu’elle l’a trahi, et le visir qu’elle la commence. Ici, s’il règne encore dans la partition quelqu’obscurité, il faut avouer que la faute n’est pas entièrement au musicien.

Almanzor est sorti de Grenade, mais il s’élance sur un esquif, et rentre dans la patrie solitaire des jardins de l’Allambra [sic], pour revoir Noraime, Noraime qui voulait s’exiler avec lui, et qu’il refuse d’entraîner dans son infortune ; tous deux se rencontrent et se reconnaissent aux pieds du tombeau de la mère de Noraime ; la situation est touchante autant que l’aspect du lieu pittoresque ; Almanzor cède aux vœux de Noraime, tous deux vont fuir, mais le cruel visir a épié leurs traces, et pour la seconde fois la loi prononce sur le sort d’Almanzor : convaincu d’être rentré dans Grenade, il doit périr si nul ne soutient sa cause en champ clos. Ou désirerait qu’ici, des rangs de ces Abencérages victorieux sous ses ordres, il sortit un ami fidèle, un défenseur intrépide ; mais quand deux Zégris se présentent dans l’arène, les Abencérages se bornent à dire entr’eux et à demi-voix (note du Poëme) :

Braves amis, dans le silence
Souffrirons-nous tant d’arrogance ?

Almanzor a peu de peine à modérer une telle ardeur, et après de nouveaux adieux à ses faibles amis, il serait forcé à se précipiter du haut des remparts, si Noraime ne lui amenait un défenseur, dont la visière est baissée, le bouclier sans couleur, et la bannière voilée. Le combat à outrance s’engage comme dans les Amours de Bayard, entre l’inconnu et un chef des Zégris ; l’appareil et les formes du combat sont les mêmes, et le résultat est semblable. La victoire couronne la valeur et l’innocence ; Almanzor est absous ; mais le visir renouvelle à l’instant l’accusation première, il redemande une seconde fois l’étendard sacré. L’inconnu lève alors sa visière ; le voile qui couvrait sa bannière tombe, ici l’on reconnaît en même temps Gonzalve, et l’étendard livré aux Espagnols par Octaire ; le monarque espagnol s’est indigné contre un traître, il renvoie l’étendard à Grenade, et offre la paix aux Maures. Les deux tribus se réunissent à l’instant contre le visir qu’on entraîne au supplice, et un chant d’allégresse s’élève en l’honneur de Gonzalve et des deux époux.

Quelques réflexions critiques ont été glissées dans cette analyse pour indiquer à quelles parties du plan de M. de Jouy le public a paru hésiter à donner ses suffrages. En général, on a trouvé peu d’invention dans ce poème, et l’on y a reconnu la contre-partie d’un fond d’idées déjà employé par l’auteur. C’est pour ainsi dire le feu sacré qu’AImanzor a laissé éteindre. La situation du guerrier est à peu près celle de la Vestale, et elle a le défaut de se répéter au 3e acte ; ajoutons qu’elle est bien moins intéressante, et que dans un ouvrage où des développemens tragiques sont interdits, le sort d’un guerrier que ses amis pleurent au lieu de le défendre est bien moins touchant que celui d’une victime de l’amour qu’une loi cruelle frappe, dont le supplice affreux commence, et que l’amour seul peut sauver, par un dévouement au-dessus de toutes les lois : mais on ne peut s’attendre à être souvent aussi heureux dans le choix d’un sujet et dans celui d’un musicien si propre à le traiter. Le talent de Spontini et le sujet de la Vestale étaient en harmonie parfaite ; un très bel ouvrage en a été le résultat : M. de Jouy ne dira pas, mais il pourrait dire à ses censeurs ce que Lemierre, qui n’avait pas encore assez d’amour-propre pour cacher celui dont il était plein, disait aux critiques de son temps : Croyez-vous qu’on vous donnera tous les jours des Veuves de Malabar ; mais M. de Jouy aura cet avantage sur l’auteur d’Hypermnestre, que la Veuve ne voit plus rallumer son bûcher, et que longtemps encore la Vestale descendra vivante dans la tombe.

M. Cherubini est l’auteur de la musique des Abencérages. Certes, c’était un choix digne d’envie que celui d’un tel maître, et il est honorable pour M. de Jouy d’avoir réussi à faire reparaître sur une scène digne de lui, après un si long silence, l’auteur de tant de beaux ouvrages qui ont fait la gloire d’un autre théâtre lyrique, et qui pour être négligés par te théâtre ne sont oubliés de personne. Médée, Elisa, Lodoïska sont des ouvrages où le cachet d’un talent original et brillant se trouve empreint à côté de celui d’une science musicale sur le degré de laquelle il n’y a qu’une voix parmi nos professeurs et chez l’étranger. Malheureusement ce degré même de savoir qui a élevé si haut la réputation de M. Cherubini dans les écoles, ne lui a jamais concilié qu’un parti parmi les amateurs : il a les suffrages les plus éclairés, il n’a pas les plus nombreux : au lieu de s’asservir à l’opinion générale, de restreindre lui-même l’usage de ses moyens, et d’être moins prodigue des richesses de son imagination, il paraît s’être roidi contre le vœu même des plus zélés partisans de sa gloire, et ne vouloir pas acheter un succès qu’il regarderait comme un signe de décadence. Il y a dans tous les arts, il y a même en littérature des exemples peu encourageants de cette opiniâtreté d’un talent qui s’égare quelquefois lorsqu’il croit uniquement ne pas fléchir, et qui manque l’occasion de briller et de plaire, pour ne pas renoncer à la prétention d’être un objet d’admiration et d’étude. Personne n’est plus pénétré que le maître dont il s’agit des beautés grandes et pures de l’école où il a été formé. Italien, il sait mieux que personne avec quelle simplicité de moyens les grands musiciens de ce pays se sont élevés au plus haut degré de l’expression, soit pour l’église, soit pour le théâtre ; il sait avec quel succès les compositeurs ont réussi à allier les formes de leur style élégant, expressif et clair, à nos convenances théâtrales, et quel appui ils convenaient eux-mêmes avoir trouvé dans nos règles dramatiques. Il le sait, et peut-être est-ce pour cela même qu’il a prétendu réussir par d’aunes moyens, en s’abandonnant sans réserve à un système justifié ailleurs qu’en Italie par de grands succès.

Cependant que résulte-t-il en général de ce système ? Deux choses presqu’également fâcheuses ; ou le désir et l’insatiable besoin de se monter profond harmoniste et de justifier le renom de premier contrepointiste de l’Europe distrait du recueillement nécessaire, du sentiment indispensable pour trouver de beaux chants : ou si des chants de cette nature sont trouvés, on profane ces dons heureux de l’inspiration et du génie en les étouffant sous un vain luxe d’ornements ; on les possédait et on les perd ; la mélodie les avait tracés, l’harmonie les efface ; le compositeur s’indigne que le public ne les saisisse ni les retienne ; le public se plaint de ne pouvoir les reconnaître dans leur succession trop fugitive ; les détails les plus brillants lui sont prodigués ; mais il en est ébloui et bientôt fatigué ; la contrariété qu’il éprouve le rend injuste, et il confond dans un commun anathème des beautés réelles et d’inextricables difficultés ; bien plus, il insulte au talent du compositeur, en applaudissant avec transport, ce que dans son propre système, le compositeur estime le moins.

Par exemple, au sortir des Abencérages, interrogez la très grande majorité des auditeurs : de quel morceau ont-ils conservé le souvenir ? qu’ont-ils entendu, et qu’ont-ils remarqué ? La romance du troubadour, naïve d’expression, touchante de simplicité. Quelle leçon pour un homme qui a sacrifié à la science les moyens les plus séduisants de son art ! n’est-ce pas le mélomane auquel Francaleu croit prodiguer l’encens en disant : j’ai trouvé telle rime… ?

Mais c’est assez combattre avec le grand nombre un système qu’il s’obstine à repousser ; il faut aussi se rendre l’interprète de ceux des auditeurs qui, familiarisés avec les productions instrumentales les plus compliquées, peuvent suivre à la scène l’application d’un tel style, et saisir à la fois le double tribut payé à la science musicale et à l’expression dramatique. Il est d’ailleurs dans les Abencérages un assez grand nombre de morceaux écrits avec clarté et d’une expression que le travail de l’orchestre n’empêche pas de sentir. Tels sont le premier air d’Almanzor, Enfin j’ai vu naître l’aurore, qui a de la grâce et de la fraîcheur ; le récit du troubadour aux rives du Darro, la romance, car l’opinion des professeurs est ici d’accord avec l’opinion générale ; le chœur final, Écoutez, le clairon sonore ; le chœur, la Gloire le couronne ; celui, Voyez ces nombreux étendards, plein de verve et d’enthousiasme et parfaitement en situation ; toute la scène d’Almanzor, Suspendez à ces murs mes armes, ma bannière, la pierre du troisième acte, trop tôt suivie d’un morceau dont le caractère ne paraît pas assez élevé, le quatuor final du dernier acte, qu’on remarquerait partout ailleurs où l’attention ne serait pas épuisée, etc.

On assure qu’aux répétitions des sacrifices considérables ont été faits ; il reste peut-être encore des coupures utiles : parmi les morceaux qui réussissent le moins, on remarque les duo entre Almanzor et Noraime, l’air de cette dernière, celui du visir devant le conseil. Le rôle du visir paraît écrit bien bas, même pour la voix de Dérivis ; l’élévation de celui de Gonzalve fatigue la Vigne d’une manière sensible : une indisposition a forcé Mme Branchu à céder le sien dès la seconde représentation. Nourrit et Eloi, sous le rapport du chant, méritent beaucoup d’éloges : nul doute cependant qu’en cherchant ce qu’on appelé du feu et de l’expression, Nourrit n’encoure l’imminent danger d’altérer sa voix, encore si fraîche et si pure.

Cet opéra est monté avec le plus grand soin, et malgré ses défauts, il renferme assez de beautés, il offre un spectacle assez varié et assez pompeux pour présager que ses représentations seront nombreuses. Les décorations font le plus grand honneur à M. Isabey, la galerie des armes du palais de l’Allambra est une composition d’un ordre très élevé ; celle des jardins du palais par un clair de lune est d’un effet mélancolique et doux très bien en harmonie avec la scène ; celle du champ clos a paru manquer de caractère et de perspective.

M. Gardel a dessiné tant de ballets qu’on ne saurait désormais où il pourrait puiser des idées originales, s’il ne les trouvait avec goût dans les mœurs des peuples que le poëte a mis en action ; et hors de ce système il n’y a que vague, lieux communs et monotonie. Mais après avoir tant produit, quelque sujet qu’il traite, il a presque toujours à lutter contre lui-même. Heureusement il est si bien servi par les sujets de la danse qu’on préfère toujours le pas qu’on voit à celui qu’on a vu, alors même que l’idée n’aurait pas tout le mérite de l’invention et de la nouveauté.

S.

Persone correlate

Compositore

Luigi CHERUBINI

(1760 - 1842)

Opere correlate

Les Abencérages ou L’Étendard de Grenade

Luigi CHERUBINI

/

Étienne de JOUY

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data di pubblicazione : 31/10/23