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Rentrée de Mme Scio. Médée

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Rentrée de Mme Scio.

Le premier frimaire, on a donné une Représentation de Médée, Opéra en trois actes et en vers par M. Hoffmann, Musique de M. Cherubini, dans laquelle a reparu Mme Scio qu’un voyage au retour duquel elle a essuyé une maladie aiguë qui l’a mise aux portes du tombeau, avoit éloignée pendant plusieurs mois de ce Théâtre.

C’est donc pour la première fois que nous nous trouvons avoir à parler de cette Cantatrice célèbre qui depuis long-temps est en possession de plaire au Public, et qui, dans le rôle de Médée surtout, s’est acquis une très haute réputation.

Nous profiterons de cette occasion pour dire quelque chose de Médée, l’un des Opéra les plus estimables qui ayent paru depuis long-temps ; remarquable par sa coupe très heureuse, la force des caractères, la pureté du style et l’adresse avec laquelle l’Auteur a su rendre Médée intéressante, sans avilir Jason.

On sait avec quelle dépense l’Administration a monté cet Opéra. Il en est peu qui ayent exigé d’aussi fortes avances, et qui soyent mis avec autant de soin. Superbes décorations, d’un effet admirable d’optique et d’une composition aussi ingénieuse que neuve costumes remarquables, moins encore par leur richesse que par leur sévérité ; pompe des accessoires ; superbe embrasement, exécuté avec une vérité vraiment effrayante ; ensemble étonnant des chœurs tant dans le chant que dans les marches et généralement dans tout ce qui tient à la pantomime ; exécution parfaire de la part de l’Orchestre ; rien n’a été négligé ; et il faut voir cet ouvrage pour se faire une idée de l’accord, peut-être unique, qui règne dans toutes ses parties.

Celle qui laisse peut-être encore quelque chose à désirer, c’est le jeu des Acteurs. Cette Pièce est une véritable Tragédie et aucun de ceux qui y jouent n’a probablement exercé son talent dans ce genre ; cependant on doit louer en général, non-seulement leurs efforts, mais même l’expression qu’ils savent mettre dans des passions qui jusqu’ici ont dû leur être étrangères.

Les morceaux de déclamation sont donc beaucoup mieux rendus que nous ne nous y serions attendus. M. Dessaules met de la dignité de l’intelligence et un beau développement d’organe dans le rôle de Créon ; M. Gaveaux, beaucoup d’expression dans celui de Jason. Il est fâcheux que son organe un peu lourd et son accent méridional ôtent beaucoup de charmes à sa manière de dire mais dans les momens de chaleur, on oublie ces deux défauts pour ne voir que l’âme et la sensibilité qui les réparent. Il articule avec une grande netteté, et marque bien ses finales, (peut-être même un peu trop) ce qui, dans les vers surtout, plaît aux oreilles exercées. Nous louerons de plus en lui, dans ce rôle, son entente, de la Scène, sa noblesse, et un déployement d’attitudes bien tragiques. Enfin cet Artiste qui, comme Compositeur a déjà tant de droits à la reconnoissance du Public mérite comme Acteur beaucoup d’encouragemens. Nous ne l’avions pas encore vu aussi bien placé que dans ce rôle.

Nous avons vu avec peine, dès son entrée, que Mme Scio n’avoit pas encore recouvré la plénitude de ses moyens que sa maladie a dû nécessairement affoiblir. Elle paroissoit même très souffrante et nous avons craint plus d’une fois qu’elle fut hors d’état d’achever son rôle. Son zèle l’a emporté, sur ses forces, et elle a suppléé par une rare intelligence à celles qui lui manquoient. Cette adresse n’en faisoit que plus regretter qu’elle ne fût pas secondée par la Nature ; et le plaisir qu’on éprouvoit en la voyant aussi bien jouer, quoique souffrante, étoit un plaisir pénible. Il est peut-être à désirer, pour le bien même de l’Administration qu’elle prenne encore quelques jours de repos pour achever de raffermir sa santé encore chancelante.

Au reste, on s’est beaucoup moins aperçu de sa foiblesse dans les morceaux de chant ; soit que soutenue par l’Orchestre, elle ait eu plus de courage, ou soit que le chant en lui-même exige moins d’efforts de poitrine que la déclamation passionnée. La netteté de son organe, sa flexibilité, le soin avec lequel elle prononce, méritent les plus grands éloges. On voit qu’elle est vraiment Actrice et qu’elle joint beaucoup d’âme au gosier le plus agréable : réunion qui n’est pas, comme l’on sait, très commune (2).

On peut voir, par ces détails que cette Représentation a vraiment été intéressante. Nous ne reviendrons pas sur les éloges que nous avons donnés à l’Ouvrage même en commençant cet Article, nous nous bornerons à dire que si, sur chaque Théâtre toutes les Pièces étoient exécutées avec le même ensemble et le même soin nos fonctions de Censeur seroient parfaitement inutiles. 

(2) Ce n’est que depuis bien peu d’années que les Chanteurs se sont occupés de mettre de l’âme, de l’intelligence et de l’action dans la partie de leurs rôles qui est seulement parlée. Nous les avons vus long-temps la réciter comme une leçon, et réserver tout leur talent pour les Ariettes. Plusieurs même que nous pourrions citer paroissent encore pénétrés d’un profond mépris pour le Dialogue, à en juger au moins par le peu de soin qu’ils y mettent. Clairval et Mme Dugazon sont les premiers peut-être qui ayent eu le bon esprit de sentir que la prose d’un Opéra-Comique doit être jouée. Mais le Théâtre de Feydeau est celui où cette vérité nous paroît maintenant le mieux reconnue et le plus souvent mise en pratique. 

Le Censeur dramatique, 1797, p. 26-30.

Personnes en lien

Compositeur

Luigi CHERUBINI

(1760 - 1842)

Œuvres en lien

Médée

Luigi CHERUBINI

/

François-Benoît HOFFMAN

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date de publication : 24/09/23