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Médée de Cherubini

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Quelle admiration ne doit-on pas avoir pour les inventeurs de ces belles fictions qui forment ce qu’on appelle l’histoire héroïque de la Grèce, quand on voit qu’après tant de siècles, à une époque où la Religion et les mœurs ont éprouvé de si grands changemens. C’est toujours là qu’il faut puiser les traits les plus capables de réussir au théâtre, et dans tous les arts d’imitation : l’expédition des Argonautes, la guerre de Thèbes, celle de Troye, le retour des Grecs, les aventures tragiques de la maison des Atrides et de celle d’Œdipe, voilà où se trouvent les grands effets, les grands tableaux, les passions véhémentes, terribles, touchantes et sublimes ; ces sujets, reproduits cent fois sur la scène, le seront encore autant, et avec un égal avantage ; il est même à remarquer que, plus on se rapproche de la simplicité avec laquelle les tragiques anciens les ont traités, plus on est sûr du succès. C’est ce qu’ont prouvé Iphigénie en Tauride et l’Œdipe à Colone de Guillard, qui ont produit plus d’effet que les mêmes ouvrages, traités par ses prédécesseurs ; parce que l’action est moins complexe, parce qu’elle est plus conforme à la simplicité antique.

C’est sur-tout à l’Opéra que ces grands sujets peuvent être traités avec avantage à cause de la facilité d’y introduire le chœur et de faire ainsi participer tout un peuple à l’action. La pompe du spectacle et la beauté des décorations ajoutent encore à l’effet.

Parmi les sujets dont j’ai parlé, Médée est un de ceux qui a été le plus souvent traité depuis Euripide et Sénèque. Nous avons plusieurs tragédies, plusieurs opéras sous ce titre. La Médée de Longepierre est le seul de ces ouvrages qui soit resté sur notre théâtre.

C’est le sujet d’un Opéra donné dans le courant du mois dernier au théâtre de la rue Feydeau. Jason a fui Médée, il s’est retiré à Corinthe, et il va épouser Dircé, fille de Créon, roi de la contrée. Au lever de la toile on voit une place de Corinthe le chœur célèbre l’hymen de Jason ; et vante le bonheur de Dircé. Créon et Jason se mêlent à ces chants, et veulent dissiper les craintes qu’inspirent à Dircé quelques sinistres présages. Les Argonautes portans le simulacre du navire Argo et de la Toison, viennent témoigner leur joie d’une union qui assure leur repos dans les états d’un roi puissant. Aussitôt on annonce une femme voilée qui se dit prêtresse d’Apollon ; elle paroît elle-même ; c’est Médée qui réclame son infidèle époux. Tout fuit à son aspect ; il est odieux à Jason ; livré à de nouvelles amours, il n’a plus que le souvenir de ses crimes, il la repousse. Créon lui ordonne de quitter Corinthe ; il la proscrit. Médée feint de céder ; elle ne demande qu’un jour de délai. Quoique ce jour puisse lui être fatal, Créon ne veut point marcher sur les pas des tyrans, il le lui accorde ; Médée saura en effet en profiter pour le crime ; elle aperçoit la pompe nuptiale qui s’avance vers le temple de Jupiter ; Jason y conduit sa nouvelle épouse accompagnée de son père. On entend l’hymne des prêtres. On voit fumer l’encens sur les autels ; les sons de l’épithalame frappent les oreilles de Médée, et elle est témoin de la joie qui brille dans tous les yeux au retour de l’autel ; elle ne respire plus que jalousie, fureur et vengeance ; elle veut effacer tous ses crimes par un crime nouveau qui les surpasse tous. L’ingrat Jason croit l’apaiser en lui offrant des présens et des secours pour sa fuite. Sa rage s’en augmente ; elle demande à voir ses enfans une seule fois, puisqu’on lui refuse de les lui laisser emmener ; cette grâce lui est accordée, Médée les charge de remettre à Dircé la robe et le diadème, présens du Soleil dont elle descend ; ses enfans reviennent ; elle veut punir par eux l’ingrat qu’elle abhorre ; elle va les frapper ; leur timide innocence la désarme elle recommande à sa fidèle esclave de les cacher, de les déposer au pied des autels dans le temple pour les soustraire à sa fureur. Bientôt des cris sortis du palais font connnoître que le crime s’y consomme. Dircé et son père sont consumés par la robe fatale. Leurs cris font la joie de Médée mais elle s’étonne de n’avoir commis que la moitié du crime. Il faut, dit-elle, qu’il soit complet ; furieuse, elle reprend son poignard et marche dans le temple pour immoler ses enfans. Jason paroît à la tête des Argonautes et des habitans de Corinthe ; il veut punir par le fer tous les forfaits de Médée ; le temple s’ouvre elle paroît au milieu des Euménides auprès de ses fils égorgés, et lui refuse même de leur donner la sépulture. Un nuage de feu la met hors de toute atteinte. Le palais de Corinthe s’embrase et elle descend dans les enfers après avoir contemplé le succès de ses fureurs.

On voit que l’auteur s’est peu écarté du plan de Sénèque, qu’il a principalement imité ; seulement Médée n’est point venue à Corinthe avec Jason ; elle n’arrive qu’au moment où il va célébrer son nouvel hymen et il fait descendre Médée dans les enfers au lieu de la faire enlever, comme Euripide et Sénèque dans un char de feu traîné par des dragons, présens du Soleil ; ce qui dans Sénèque produit cette belle apostrophe de Jason, que le spectacle de tant de crimes porte à un excès d’impiété. « Oui vole, dit-il, et dans ce ciel que tu vas parcourir atteste à l’Univers qu’il n’existe aucun Dieu. »

C’est à tort aussi que le citoyen Hoffmann a changé le nom de Creüse en celui de Dircé ; les noms employés par les classiques sont consacrés, et doivent être scrupuleusement conservés.

Du reste son poëme marche bien ; l’action est simple, d’un grand intérêt ; la scène difficile où Médée veut égorger ses enfans est tracée avec beaucoup d’art.

La musique de Chérubini est riche et savante ; la fête nuptiale du second acte est du plus bel effet. 

Les décorations sont magnifiques et l’incendie qui termine la pièce d’une vérité surprenante. On connoît d’ailleurs le mérite du machiniste et des décorateurs de la rue Feydeau, dont le génie lutte toujours avec succès contre les difficultés que leur offre un local très-resserré ; mais nous devons surtout des éloges à la justesse des costumes, à la sévérité des accessoires. Une critique sur cette partie si essentielle du spectacle à l’occasion d’Anacréon, et d’autres ouvrages de ce genre, a prouvé combien nous sommes difficiles sur ce point, et nous ne pouvons pas trouver ici le plus léger reproche à faire. Créon et Jason assis sur le trône l’un avec le sceptre d’or, l’autre avec le sceptre orné de clous d’or nous retracent ces chefs au milieu des héros, qui conquirent la toison d’or ; la pompe nuptiale du second acte et ses accessoires sont également bien tracés (1). Tout est imposant, magnifique et juste.

Madame Scio mérite les plus grands éloges, et comme cantatrice et comme tragédienne ; elle dit les vers en artiste exercée au talent de la déclamation, et captive tous les suffrages. 

Les autres rôles moins importans sont très-bien remplis par les citoyens Gaveau, et de Saule, et la citoyenne Rosine.

(I) Nous désirerions seulement que l’administration défendit aux actrices des chœurs de paroître dans les loges pendant les entr’actes avec leur costume, ce qui détruit totalement l’illusion.

Personnes en lien

Compositeur

Luigi CHERUBINI

(1760 - 1842)

Œuvres en lien

Médée

Luigi CHERUBINI

/

François-Benoît HOFFMAN

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date de publication : 19/10/23