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Les premières. Frédégonde

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LES PREMIÈRES
Opéra – Frédégonde, drame lyrique en 5 cinq actes, poème de M. Louis Gallet, musique d’Ernest Guiraud et M. Camille Saint-Saëns. 

Ce que certains biographes quelque peu fanatiques ont fait à l’égard de leurs héros : Oulibicheff pour Mozart, Méreaux pour Rossini, M. Menval pour Molière — et combien pour Wagner ! – ces détails minutieux jusqu’à la puérilité, ces analyses, ces notations d’heures et de minutes pour la fixation du temps où furent écrites telle lettre ou telle note, toutes ces aimables débauches de renseignements parfois superflus ne sont nullement passées de mode. Seulement, sans se soucier d’attendre un futur historien, les auteurs nous renseignent eux-mêmes avec tout le luxe désirable — voire même un peu plus. Belles prises pour les interviewers, ils se confessent à eux sans réticences, et vous avez évidemment appris tout ce que vous pouviez souhaiter de connaître sur l’histoire ab ovo de cette Frédégonde commencée par feu Guiraud et terminée par M. Saint-Saëns.

M. Louis Gallet ayant pris la peine de raconter lui-même au public le livret de Frédégonde, je ne le résumerai ici que pour la forme. En voici donc les lignes principales. 

Brunhilda, reine d’Austrasie, au milieu d’une fête qu’elle donne à ses bardes dans le palais des Thermes, est surprise, grâce à une trahison, par son beau-frère Hilpéric, roi de Neustrie, dont les troupes envahissent la salle royale. Soumis à l’ascendant de Frédégonde qu’il a épousée, après avoir permis l’assassinat de Galswinte, il commet son propre fils Mérowig à la garde de Brunhilda et décide d’enfermer la reine déchue dans un cloître à Rouen. 

Or, Mérowig qui, selon la phrase consacrée, n’a pu voir Brunhilda sans l’aimer, ne saurait se résoudre à obéir. Il s’enfuit avec elle dans un village éloigné de ce palais des Thermes où leur amour s’est déclaré. Ses partisans le proclament roi, et l’évêque Prétextat bénit, non sans répugnance, le mariage des fugitifs. Frédégonde continuant à faire faire à Hilpéric tout ce qu’elle veut le détermine à poursuivre le couple rebelle. Réfugié dans l’abbaye de Saint-Martin, Mérowig y coule des jours paisibles dans les bras de Brunhilda et dans la compagnie du poète romain Fortunatus, qui, revenu des égarements de la vie, cultive tranquillement son jardin.

L’arrivée d’Hilpéric et de Frédégonde ; vient détruire leur quiétude. Mérowig, étant imprudemment sorti de l’asile sacré pour se remettre au jugement de son père, celui-ci laisse aux évêques qui l’accompagnent le soin de prononcer la sentence. Tous, sauf Prétextat, condamnent le prince à la relégation dans un cloître. Mérowig ne saurait quitter Brunhilda ; il aime mieux se tuer d’un coup de poignard... 

L’action est simple et parfois languissante. Mais on conçoit que certaines situations aient séduit les musiciens, et bien des livrets, à coup sûr, ne valent pas celui-là. Examinons donc la partition sans chercher — ce qui serait pourtant intéressant — à retrouver la part individuelle de chacun de ses auteurs.

Ce que je louerai sans réserve, c’est la « tenue » générale de l’œuvre, sobre, sans affectation, sans recherche de couleur locale plus ou moins justifiable et d’une indéniable probité musicale.

Le premier acte a du mouvement ; les contrastes y abondent. Nous y signalerons l’entrée de Brunehilda, le madrigal du poète Fortunatus, le tumulte des guerriers, en apprenant l’irruption des soldats neustriens, et un bel ensemble, dans la phrase principale, que nous entendrons encore maintes fois, est d’une coupe très heureuse.

Elle revient, dès le début de l’acte suivant, soulignant les plaintes amoureuses de Mérowig. Charmant aussi, l’aveu de Brunhilda, et si j’ai moins goûté, je l’avoue, l’élan final de leur amour, d’un rythme plus enlevant que véritablement passionné, j’admire sans réserve la noble gravité des exhortations de l’évêque, hésitant à unir Mérowig à Brunhilda. Les sollicitations des deux amants, les répliques de Prétextat, l’intervention des Austrasiens, enfin les chants liturgiques des enfants qui terminent sur une note apaisée cette belle scène, tout cela est largement, et à mon avis, irréprochablement traité. Le final guerrier est d’un bon effet. Dans le ballet qui suit et termine ce troisième acte, nous avons particulièrement apprécié l’allegro qui renferme un effet de « trilles», dont la succession, — la persévérance, dirai-je — est d’un pittoresque étrange et charmant. Le dernier morceau qui comporte d’incessantes modifications rythmiques, et remarquablement conçu. Brusquement interrompu par le tintement de la cloche, il fait place à une belle phrase religieuse déjà entendue. L’évêque s’éloigne, et l’acte s’achève plus heureusement, ce semble, que dans la bacchanale traditionnelle qui termine généralement « l’acte du ballet ».

Est-ce la faute du poème ? Je confesse que les perfides manœuvres de Frédégonde, les protestations d’amour d’Hilpéric, enfin l’Allegro di bravura, comme disent les Italiens, dans lequel ils confondent leurs déclarations, et même leurs interjections passionnées, m’ont paru froides, et si ces pages sont aussi peu réussies, c’est que la matière ne prêtait décidément pas à l’inspiration.

Mais comme le délicieux début du cinquième acte va nous en sembler plus délicieux encore ! Quelles calines harmonies sous la douce phrase que chante Fortunatus : « Ô bienheureuse solitude, Ô la seule béatitude ! » — Soit dit en passant, les anciens avaient raison de nommer « devins» les poètes, puisque celui-ci nous cite une exclamation de Saint-Bernard cinq cents ans avant la naissance du célèbre moine...

Qu’elle est exquise aussi la mélodie que soupirent Brunhilda et Mérowig : « En cette paisible demeure» ! L’harmonie, le rythme syncopé de l’accompagnement, enfin l’interruption de Fortunatus venant mêler sa voix aux voix de ses amis, tout cela est proprement un charme... Ici-bas, rien n’est durable. Le lieu d’asile est envahi par Hilpéric, Frédégonde et les évêques qui les suivent. La scène est d’un bon sentiment dramatique. À noter la sentence des prélats, phrase saisissante construite sur trois notes, et que le prélude du premier acte nous avait déjà fait entendre. Cette fin, largement développée, couronne dignement la partition. 

Dans Frédégonde se révèle la prodigieuse maîtrise de M. Saint-Saëns, dont on ne saurait rien dire qui n’ait été cent fois dit… L’œuvre est inégale, sans doute, mais par de belles pages — plusieurs l’ont véritablement nobles et puissantes — elle mérite les suffrages du grand public et les louanges des musiciens.

L’orchestration, réellement originale en sa sobriété, est digne du maître dont un critique a pu justement dire « qu’il se sert comme personne des instruments de tout le monde ».

On sait que Mlle Bréval, qui, samedi, avait chanté Brunhilda à la répétition générale de gala, a dû, pour cause d’indisposition persistance, céder son rôle à Mlle Lafargue, devenue le terre-neuve de l’Opéra. Sachons gré à cette estimable et zélée pensionnaire du tour de force qu’elle vient d’accomplir. Mme Héglon a eu le talent de tirer un grand parti d’un mauvais rôle : elle a chanté et joué Frédégonde en véritable artiste. M. Alvarez mérite les mêmes éloges dans le personnage de Mérowig.

Enfin, M. Renaud, peut-être un peu trop paterne sous les traits du farouche Hilpéric, est toujours le remarquable chanteur que l’on sait.

Dans le délicat et ingénieux ballet — dont la musique est tout entière de la main de M. Saint-Saëns — se sont fait applaudir Mlle Sandrini, très jolie, et Mlle Hirsch, très nerveuse. Bonne mise en scène et décors réussis.

Et, pour conclusion, accueil poli, après l’effet inutilement et malheureusement escompté par une répétition publique et payante, poli, mais sans enthousiasme... Nous craignons, s’il faut tout dire, qu’en dépit de réelles beautés, Frédégonde ne tienne pas longtemps l’affiche. C’est d’autant plus fâcheux que les aimables directeurs de l’Opéra nous menacent d’une reprise de la Favorite

INTÉRIM.

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Louis GALLET

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date de publication : 23/09/23