Premières représentations. Frédégonde
PREMIÈRES REPRÉSENTATIONS
THÉÂTRE NATIONAL DE L’OPÉRA. – Frédégonde, opéra en cinq actes, poème de M. Louis Gallet, musique de MM. Ernest Guiraud et Saint-Saëns.
Le souvenir de la fête brillante donnée à l’Opéra samedi dernier sur l’initiative de notre directeur, est encore trop vivace pour que nous n’ayons plaisir à remercier MM. Gallet et Saint-Saëns du concours empressé qu’ils ont apporté à M. Fernand Xau, en livrant avant la lettre la partition de Frédégonde à la curiosité du grand public.
Ce rôle bienfaisant de Frédégonde atténue, dans une certaine mesure, la mauvaise réputation que l’histoire a faite à l’ennemie de Brunehaut, et MM. Gallet et Saint-Saëns ont achevé cette œuvre de réhabilitation, l’un en passant sous silence quelques faits compromettants, l’autre en insufflant dans l’âme de cette intellectuelle de la politique des accents de passion capables d’ennoblir la nature la plus sauvage.
Nous aurions mauvaise grâce à le leur reprocher, car ils nous pourraient répondre avec quelque justesse que leur procédé a permis de rendre acceptable cette terrible héroïne dont la silhouette légendaire n’a guère d’importance, si l’on admet avec Wagner que la contingence des épisodes historiques n’apporte au drame lyrique ni détriment, ni secours.
La genèse de Frédégonde et la conduite du poème sont connues par les études qui leur ont été consacrées ici-même. On sait que le pieux dévouement de M. Saint-Saëns a permis l’achèvement de l’œuvre entreprise par M. Guiraud, tâche difficile quand très loyalement, ainsi qu’il l’a fait, on efface sa personnalité derrière celle de l’ami disparu. Ce n’est pas qu’on puisse toujours réussir en cet effort d’abnégation, car, en l’espèce, comment ne pas voir se révéler, dans les airs de ballet du troisième acte, par exemple, la magistrale sobriété de la manière de M. Saint-Saëns ?
La part de M. Guiraud est limitée vraisemblablement au premier tiers de l’œuvre. Le reste revient à l’auteur de Samson, qui s’abandonna au caprice de son inspiration là où le portait son humeur vagabonde, soit à Poulo-Condor, soit à Ismaïlia, où il écrivit le quatrième acte. L’orchestre semble parfois déceler une main étrangère. Quoi qu’il en soit, personne ne s’est permis de croire que deux maîtres classiques par leurs tendances et leur éducation inaugureraient à l’occasion de Frédégonde, des réformes révolutionnaires. Aussi retrouvons-nous ici la coupe de l’ancienne tragédie lyrique, ses cinq actes et, dans le détail, ses divisions ordinaires : airs, duos, morceaux d’ensemble, voire même l’unisson conclusif des grands duos d’amour.
L’exposé de la pensée est toujours ferme de trait, pur de ligne. L’orchestre, coloré, n’écrase point la voix et présente le travail d’un habile ouvrier. Les reflets sinistres de Dalila glissent par éclairs sur les traits de Frédégonde. L’autorité de Prétextât, son onction sainte s’épanouissent avec une ampleur d’inspiration, dont M. Saint-Saëns a lieu d’être satisfait. Les chœurs ont du mouvement ou du charme, tel le chœur de quelques mesures : À ses genoux chanté à l’arrivée de l’évêque. Le duo d’amour de Chilpéric et Frédégonde, formant à lui seul le quatrième acte, est un long épanchement où l’esprit retors de Frédégonde se manifeste sous la plume du maître avec une variété surprenante de dessins et d’accents : qu’il nous soit permis toutefois de lui préférer les violences du tableau final où l’inflexible formule de proscription, proférée par les évêques, domine les accents indignés de Prétextat et traduit avec vérité la servilité ou l’abrutissement de ces fonctionnaires mitrés.
L’interprétation est bonne.
Mlle Bréval, qui a prêté son concours au spectacle de gala donné à l’occasion de la répétition générale, personnifie à souhait la belle Wisigothe affinée que la Destinée transplanta, parmi les hordes d’Austrasie. Trop consciencieuse pour ne se point donner sans réserve à ses rôles, cette artiste risque, en son ardeur généreuse, de compromettre sans retour sa voix, qu’elle soumet à de rudes épreuves. Des ménagements s’imposent tandis qu’il en est temps encore. Elle a été remplacée, hier, par Mlle Lafargue, trop fraîchement émoulue des bancs du Conservatoire pour qu’on puisse, sans injustice, exiger d’elle les qualités qu’apporte avec soi l’expérience.
Mme Héglon donne à Frédégonde les séductions de sa personne et la lumière de son éclatant organe.
Bien que M. Alvarez tire bon parti des situations où le place la mauvaise fortune de Mérovée, il n’y déploie pas à l’aise ses ressources habituelles.
M. Renaud n’abdique point sous les attributs royaux de Chilpéric la noblesse d’art qu’on se plaît à lui reconnaître.
M. Fournets paraît tout à son avantage sous les habits pontificaux de Prétextât.
Grâce à son talent aimable, M. Vaguet Fortunatus remplit excellemment son office d’arbitre de toutes les élégances. Nous lui savons gré de ne pas nous faire prendre trop au sérieux sa conversion.
M. Ballard-Landéric s’acquitte à souhait du message impératif dont le Roi l’a chargé pour son fils. Cette scène naturelle et simple est une des meilleures de l’ouvrage.
Mmes Hirsch et Sandrini triomphent dans le dernier divertissement du ballet.
M. Taffanel conduisait l’orchestre avec sa précision analytique ordinaire. Citons enfin, avec éloge, le décor de M. Amable au 5e acte.
La considération que méritent certains hommes s’attache tout, naturellement à leurs œuvres. En rappelant au public la physionomie sérieuse et douce d’un de nos meilleurs maîtres, Frédégonde aura, nous l’espérons, pour conséquence heureuse d’inspirer à MM. Colonne et Lamoureux le désir de reprendre la célèbre suite d’orchestre dans laquelle se trouve enchâssé l’épisode brillant du Carnaval, qui fonda la renommée de M. Guiraud.
L’administration de l’Opéra a monté Frédégonde avec le luxe dont elle est coutumière.
F. RÉGNIER.
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Ernest GUIRAUD Camille SAINT-SAËNS
/Louis GALLET
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date de publication : 29/09/23