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Frédégonde. Cinq actes de musique française à l'Opéra

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FRÉDÉGONDE
CINQ ACTES DE MUSIQUE FRANÇAISE À L’OPÉRA
Deux compositeurs pour un livret – Mort et vivant – Brunehilde et Bérénice – M. Gallet et Racine – Succès partagé – Bonne interprétation.

Brunehilde, reine d’Austrasie, règne à Paris dans une cour fleurie de musiciens et de poètes. Elle supporte impatiemment le souvenir de sa sœur, tuée par Chilpéric et remplacée par Frédégonde dans le lit royal. Austrasie contre Neustrie. Chilpéric attaque les troupes de sa belle-sœur, les met on déroute, entre dans Paris, s’empare de la dame et l’exile dans un couvent. Frédégonde a conduit l’aventure. Elle prétend être maîtresse des deux royaumes d’Austrasie et de Neustrie. Femme brutale, elle hait la grâce séduisante de Brunehilde. Le succès aidant, elle l’humilie et la force à se découronner de son diadème. 

Elle triompherait dans la politique et l’envie, quand l’amour intervient qui déconcerte ses astuces. Brunehilde, condamnée à vivre dans un couvent, doit être conduite à Rouen par Mérovig, fils de Chilpéric. Le jeune prince s’éprend des douleurs de la reine, lui déclare son amour. La princesse se montre sensible. Le prince s’exalte : « Elle est sa prisonnière il est en son pouvoir. » Sur ce vers racinien, il requiert un évêque, Prétextat, et réclame sa bénédiction nuptiale. Après quoi, il entre en révolte contre son père. 

Des batailles s’ensuivent, où Mérowig est vaincu, dans la coulisse. Que va faire Chilpéric de ce fils déchu et rendu à sa discrétion ? Il pardonnerait parce qu’il est père. Il renonce à l’indulgence parce qu’il est amant. Frédégonde, mère de deux rois, prétend leur assurer le trône. Si M rovig, fils du premier lit, ne disparaît pas, les fils du second lit sont à jamais privés de tout espoir d’empire. Frédégonde, femme avisée et maîtresse savante, arrache à Chilpéric un arrêt destructif et moyen. Qu’il ne tue pas son fils, soit. Mais qu’il le condamne à la réclusion éternelle et à la tonsure d’un cloître. Qu’il vive, mais en Dieu, loin des ambitions. Chilpéric consent. Pour satisfaire Frédégonde, il attire Mérovig dans un guet-apens. 

Mérovig, avec Brunehilde, s’est réfugié près de Rouen, dans un lieu d’asile. Même l’autorité royale ne peut le frapper en l’enceinte où il se cache. Chilpéric vient. Par des paroles doucereuses, il le décide à sortir de sa retraite inviolable. Une fois son fils dehors, sur la consultation des évêques, il le fait saisir et prétend l’enfermer à jamais dans un couvent. Ainsi, Frédégonde n’aura plus à redouter ses revendications. Le trône importe peu au tendre Mérowig. Séparé de Brunehilde, il se déclare incapable de vivre et se tue en maudissant la perfidie de Frédégonde.

Une reine délicate poursuivie par une reine jalouse ; un fils désobéissant par amour aux volontés de son père, manquant à sa parole et prenant parti pour la prisonnière qu’il a chargé de garder ; une souveraine placée entre son affection et le danger de perdre le trône ; une autre reine pliant les cœurs passionnés à la sensualité dominatrice ; c’est RodoguneTristanBérénice : un admirable sujet de drame lyrique. Le librettiste ne s’en est pas douté. Il a ajusté des mots quelconques sur des situations factices, encombrant d’événements arbitraires la marche simple de la tragédie. Les musiciens ont suppléé à cette insuffisance.

M. Guiraud

Les musiciens ils sont deux, M. Guiraud pour les trois premiers actes ; M. Camille Saint-Saëns, pour les deux derniers. 

Si on veut bien concevoir Brunehilde comme une espèce de Bérénice gallo-romaine, on sera mieux disposé pour apprécier les demi-teintes, les mièvreries même du premier acte. L’air des violons, à l’entrée de la reine, représente mieux l’arrivée d’une souveraine élégiaque que d’une souveraine guerrière. Après cette évocation frêle et mélancolique, on comprend mieux le madrigal alambiqué de Fortunatus, poète des préciosités. Brunehilde est d’ailleurs tellement tendre, que le compositeur, effrayé de lui avoir prêté de la vigueur, négligera ensuite de développer le thème de tristesse accompagnant ses lamentations sur la mort de sa sœur et son accusation contre Chilpéric. Les soldats, d’ailleurs, lui répondent mollement dans un chœur convenu, car il n’y a pas de grandes batailles à soutenir pour une reine de littérature qui, dans une jolie phrase — point assez entendue — préfère les étoiles aux combats et les ballets aux querelles. Facilement vaincue par Chilpéric, elle dit sa douleur en une mélodie qui serait pénétrante si elle dominait le quatuor auquel elle sert d’origine, mais que Merovée retiendra et qu’il mêlera à ses plaintes propres au cours sentimental du deuxième acte.

« Ah ! qu’elle est belle en sa tristesse, » chantent les instruments au début symphonique de cet acte, et cette phrase discrète et voilée court tendrement au travers d’un duo d’amour prolongé, où passent des intentions musicales exquises comme « C’est à vous que je dois ces retraites fleuries » ; et les esprits éclectiques ne se plaindront pas si le même duo emprunte parfois des accents au troisième acte de la Favorite et au final du premier acte de Lohengrin. Les tonalités même ajoutent à la ressemblance, mais l’épisode, solidement construit, se développe aimablement jusqu’au moment où viennent à sonner des trompettes banales. 

La cérémonie du mariage, précédée d’un récitatif majestueux de l’évêque, n’a point de suavité spéciale, un musicien de l’adresse de M. Guiraud ne trouvant point d’originalité spéciale à faire traverser de chants religieux une cérémonie nuptiale, et à combiner telles manières mélodiques de la marche du Lohengrin avec le dessin de basses accompagnant la péroraison de la marche du Tannhäuser. La déclaration de Fortunatus, Joconde ecclésiastique, repenti d’avoir « tant couru le monde », affecte un style prétentieux, et le final d’appel aux armes « Ahmra ! » reproduit malheureusement, en son début, le thème ironique des guerriers du Petit Faust

Ici finit l’œuvre de M. Guiraud, œuvre inachevée, sinon incomplète, mais qui contient à tout le moins un deuxième acte singulièrement honorable pour la mémoire du compositeur défunt. Il a été fort applaudi. 

M. Saint-Saëns.

Le travail de M. Saint-Saëns avait commencé avant le quatrième acte. Dans deux ballets jetés au milieu de l’action, pour justifier sans doute l’enseigne de l’Opéra, la seule enseigne révolutionnaire depuis la prise de la Bastille : « Ici l’on danse, » il avait montré sa science des sonorités et des rythmes compliqués. Auparavant, il avait organisé le prélude, commençant par l’air de condamnation des évêques, exposant ensuite brièvement, avec un fragment du duo d’amour, dominé par la malédiction de Chilpéric et suivi de l’acclamation d’hyménée, les intérêts principaux de ce qui aurait pu être le drame. Quand M. Saint-Saëns intervient définitivement, il nous révèle enfin cette Frédégonde donnant son nom à l’ouvrage, et dont la cruauté jusqu’ici ne nous était apparue que par un motif de croches pointées suivies de doubles croches, motif assez hérissé d’aspect, dans la partition. 

Désormais, l’orchestre se raffermit et l’action lyrique se précise. Sur une phrase persistante des cordes, l’amour de Chilpéric se déclare. La perfide et voluptueuse princesse abuse énergiquement des faiblesses du roi, et, après les débats d’un dialogue passionné et haletant, le décide à punir son fils. 

Il fallait employer l’inutile Fortunatus. M. Saint-Saëns a donné de la simplicité à ses satisfactions de retraite en Dieu. Ensuite, il a dépensé toute sa puissance dramatique et son art d’expression dans le final où Chilpéric, sur l’avis solennel des évêques, relègue Mérovig dans un cloître, cependant que le chœur tour à tour implore et maudit l’implacable Frédégonde.

L’ordonnance de cette page magistrale est telle qu’on la pouvait attendre de M. Saint-Saëns, l’homme de France qui, à l’heure présente, sait et pratique le mieux les ressources techniques de la musique. Le compositeur, complaisant au souvenir d’un ami, a repris la partition de M. Guiraud au point exact où la partition faiblissait avec le livret. Sans nuire aux mérites de son collaborateur involontaire, il s’est créé un succès légitime et personnel. M. Guiraud avait fait valoir la grâce obscure du sujet, M. Saint-Saëns en a exprimé la cruauté religieuse et sensuelle.

L’exécution vocale mérite des éloges. Le ténor Alvarez, dans Mérovig ; l’autre ténor, Vaguet, en Fortunatus ; le baryton Renaud, en Chilpéric ; la basse Fouraets, en l’évêque Pretextat, tiennent avec une autorité sans défaillante les personnages qui leur sont confiés. Mme Heglon, dont les progrès s’accentuent à chaque création nouvelle, représente avec une sauvage tendresse l’ambitieuse Frédégonde ; et Mlle Lafargue est une cantatrice de talent et d’à-propos, puisque, en moins de deux jours, elle a pu soupirer comme il convient le rôle de l’élégiaque Brunehilde, devenu vacant par suite de la maladie de Mlle Bréval.

L’orchestre, un peu mou dans les premiers actes, sans doute par la faute de M. Guiraud qui estompe volontiers ses sonorités et semble avoir peur de l’éclat, interprète vigoureusement les derniers actes, sans doute parce qu’il trouve en M. Saint-Saëns une fermeté plus grande et une instrumentation plus sûre d’elle-même. Les décors, par leur évocation des paysages du Paris gallo-romain, réjouiront les archéologues. Dans la contemplation de l’art du décorateur, ils oublieront que les dames du ballet portent des tutus et des jupes bien peu mérovingiens. Mais l’agrément de la chorégraphie les rendra indulgents pour l’anachronisme. 

Personnes en lien

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Ernest GUIRAUD

(1837 - 1892)

Compositeur, Organiste, Pianiste, Journaliste

Camille SAINT-SAËNS

(1835 - 1921)

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Louis GALLET

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date de publication : 05/10/23