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La Belle au bois dormant de Silver

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Un ouvrage inédit.

Je me proposais de dire encore quelques mots de Siegfried, quand j’ai reçu de Marseille le compte rendu suivant. Je lui cède la place avec joie pour deux raisons : la première, c’est parce qu’il annonce le succès d’un jeune compositeur français ; la seconde, c’est parce qu’il témoigne d’une excellente camaraderie entre deux musiciens rivaux. En effet, il s’agit d’une partition de M. Silver, le Grand Prix de Rome de 1891, louée avec une spontanéité charmante par M. Émile Trépard, l’auteur de Martin et Martine.

P. M.

LA BELLE AU BOIS DORMANT[1]

Si la Belle au Bois dormant vous était conté, y prendriez-vous un plaisir extrême ? Oui, certainement, si les conteurs étaient, comme au Grand-Théâtre de Marseille, MM. Carré, Collin et Silver. Les auteurs du livret ne se sont que peu écartés du conte de Perrault, et, s’ils y ont apporté des éléments nouveaux, s’ils y ont introduit des petites intrigues dont il n’est point question dans la jolie légende, il faut les en féliciter, car ils ont donné au compositeur l’occasion de montrer, sous diverses formes, son incontestable talent.

Point n’est besoin, je pense, de raconter la Belle au Bois dormant, personne ne l’a oublié. Je vous dirai seulement que les auteurs ont eu de fort gracieuses idées, celle-ci, par exemple : dans le conte de Perrault, la princesse Aurore doit s’endormir pour cent ans, si elle se perce la main avec un fuseau ; MM. Michel Carré et Paul Collin ont remplacé le fuseau par le baiser d’un jeune prince, ce qui doit certainement procurer à la princesse un sommeil plus doux et des songes plus charmants.

Il ne pouvait guère y avoir unité de temps dans cette féerie, aussi n’a-t-il pas fallu plus d’un entr’acte pour arriver au réveil de la princesse.

L’action pourtant se complique avec les méchants projets d’un traître. Le Prince Charmant a un rival, un paysan, qui, soutenu par la fée Urgèle, voudrait réveiller la princesse afin d’être roi... Vous devinez que le Prince Charmant l’emporte sur le paysan, et que la pièce se termine par une superbe apothéose.

La Belle au Bois dormant est le premier ouvrage de théâtre de M. Silver, et je crois qu’il n’est pas possible de mieux débuter. M. Silver a toutes les qualités nécessaires au compositeur que le théâtre séduit ; il a le sentiment exact des situations qu’il doit traiter, et s’il n’a pas donné à une scène ou deux le trait distinctif qu’elles m’ont semblé exiger, je suis convaincu que s’est plus par inexpérience que par manque d’idées. Si son œuvre enfin n’est pas toujours originale, elle est du moins remplie de promesses. Le charme, la chaleur, et, par-dessus tout, la sincérité, sont les principales qualités de la partition : avec cela, on peut faire une brillante carrière.

L’orchestration de M. Silver est fort intéressante ; et de nombreuses recherches attestent qu’il tient à ne pas faire ce que les autres ont déjà fait ; cela le mène quelquefois un peu loin ; c’est ainsi qu’en plusieurs parties de son ouvrage il abandonne trop souvent les instruments de bois à eux-mêmes. Il en résulte de la fatigue et même des défaillances chez les exécutants, et ce n’est peut-être pas tout à fait de leur faute. Pour mon compte, je garde la conviction que l’orchestre tout entier doit généralement s’appuyer sur le quatuor qui en est l’unique base ; de trop fréquentes exceptions à cette règle ont pour conséquence inévitable un manque d’équilibre. M. Silver ne paraît pas être de mon avis.

Si je devais citer tous les jolis passages de la partition, je n’aurais pas assez de place ; je tiens cependant à signaler ce qui m’a paru vraiment remarquable. Au commencement du Prologue il y a une marche d’un bel effet, qui accompagne l’entrée des Fées. Le prélude du premier acte, d’une exécution assez difficile, est réellement délicieux. Puis, je louerai sans réserve la première scène du même acte ; les chœurs de femmes y sont fort bien disposés. Toujours dans le premier acte, une inspiration délicate traduit le sentiment de la Princesse Aurore qui doit se résigner à ne pas connaître le mauvais sort qui pèse sur elle ; et une autre inspiration heureuse marque un peu plus loin la rencontre de la princesse avec le prince Errant, qui doit lui donner le baiser fatal. Au troisième acte (la caverne de la fée Urgèle), une danse de lutins est de tous points réussie. Dans cette scène, M. Silver prouve qu’il pourra, quand il le voudra, faire de l’orchestration parfaite je ne saurais trop le dire, cette danse est absolument exquise. Enfin, un joli duo d’amour au dernier acte et une apothéose d’un grand effet.

L’interprétation de la Belle au Bois dormant est excellente. L’éloge de Mme Brejean-Silver (la princesse Aurore) n’est plus à faire ; l’excellente artiste a sa large part dans ; le succès de l’œuvre de son mari ; elle est tout simplement parfaite dans ce rôle écrit pour elle, où pourtant on ne rencontre aucune vocalise ; c’est donc purement de l’art, de l’art sans gymnastique vocale. Mme Passama n’a que peu d’occasions de faire vibrer sa belle voix dans le rôle de la fée Urgèle qu’elle a tenu le mieux du monde. Mlle de Very est délicieuse dans un personnage épisodique, et elle laisse le regret de n’être point vue et entendue davantage. MM. Chalmin et Dufour se sont montrés tous deux bons chanteurs et bons comédiens. M. Cornubert personnifie le Prince Charmant, et il a déployé de réelles qualités dans ce rôle légèrement tendu pour lui ; le public de la première n’a pas à mon avis apprécié suffisamment le mérite de M. Cornubert. Quant à l’orchestre et aux chœurs, sous la direction de M. Michaud, ils ont été à la hauteur de leur tâche.

Les décors et les costumes sont superbes et les Marseillais ont bruyamment manifesté leur satisfaction. Bravos, fleurs, nombreux rappels, rien n’a manqué au succès de cette charmante soirée.

M. Massenet, le maître de M. Silver, et M. Bernheim, délégué par le ministre des Beaux-Arts, assistaient à la représentation ; ni l’un ni l’autre n’ont ménagé les compliments aux heureux auteurs.

ÉMILE TRÉPARD.

[1] Théâtre Municipal de Marseille, première représentation de la Belle au Bois dormant, féerie lyrique en quatre actes, de MM. Michel Carré et Paul Collin, musique de Ch. Silver.

Personnes en lien

Compositeur

Charles SILVER

(1868 - 1949)

Œuvres en lien

La Belle au bois dormant

Charles SILVER

/

Michel CARRÉ Paul COLLIN

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date de publication : 18/09/23