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Namouna de Lalo

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MUSIQUE
Académie nationale de musique. — Namouna, ballet en trois tableaux, livret de M. Nuitter, chorégraphie de M. Lucien Petipa, musique de M. Edouard Lalo.

L’œuvre nouvelle donnée lundi dernier sur la scène de l’Opéra, pourrait être ainsi annoncée : Namouna, symphonie pour ballet.

Ce simple rapprochement dit mieux que toutes les appréciations quels sont les qualités et les défauts de l’ouvrage de M. Lalo.

Namouna a été assez mal reçue, et cet accueil est dû surtout à ce qu’elle se présentait mal.

Le précepte d’Horace :

« Si vis me flere, dolendum est primum ipsi tibi », ne s’applique pas seulement aux œuvres tragiques mais à toutes les productions de l’esprit humain ; si tu veux que je pleure, pleure toi-même ; si tu veux que je sois ému, touché, égayé, sois émouvant, touchant, gai ; c’est-à-dire, fais parler tes héros dans un langage qui réponde aux sentiments qu’ils éprouvent, aux passions qu’ils ressentent.

Il y a souvent dans telle œuvre littéraire et artistique, un vers, un trait, une phrase, qui secouent tout un auditoire : ce vers n’est parfois pas bien rythmé, ce trait bien nouveau, cette phrase bien construite, mais ils frappent l’esprit parce qu’ils expriment une idée, et traduisent sous une forme facile à comprendre et à saisir l’impression générale qui se dégage de l’œuvre.

Il y a dans toutes les œuvres d’art certaines conditions que l’on ne peut ni dédaigner, ni méconnaître. L’artiste peut tout oser, mais à une condition, une seule, c’est que la grande loi d’harmonie ne soit pas violée, et qu’en forçant la note, il ne sorte pas du ton.

L’œuvre de M. Lalo étudiée en elle-même et sans tenir compte du libretto est dans certaines parties fort remarquable, elle constate chez le compositeur des qualités que l’on avait pu déjà apprécier dans les diverses œuvres qu’il avait produites, mais dont aucune n’avait été représentée à la scène ; un grand sentiment musical, une inspiration un peu courte mais puissante, des idées exprimées dans un style un peu vague, mais berçant agréablement ceux qui l’écoutent.

On a voulu, nous ne savons trop pour quoi, présenter M. Lalo comme un rénovateur de l’ancienne musique, comme un précurseur de la nouvelle musique ; nous ne savons trop ce que signifient ces termes d’ancienne et de nouvelle musique ; il y a la musique qui charme et celle qui ennuie, tout au plus, y a-t-il quelques procédés, non pas nouveaux, rien n’est nouveau, mais inusités et qui surprennent plus ou moins agréablement, mais en dehors de ces questions de procédés, nous ne voyons guère, en quoi un musicien peut composer une œuvre, en repoussant toute idée mélodique et en bornant tout son art à combiner des phrases construites selon certaines recettes.

Nous nous méfions toujours de ceux qui attaquent l’imagination en littérature, le lyrisme en poésie et la mélodie en musique ; ce sont généralement des impuissants qui dissimulent mal leur pauvreté d’invention sous des formules qu’ils décorent du nom de scientifiques.

M. Lalo n’est pas un scientifique, quoi que sa musique soit fort savante, son tort et c’est ce qui lui a nui dans le ballet de Namouna, c’est qu’il ne semble pas assez, lorsqu’il compose, se souvenir qu’au théâtre les situations scéniques doivent trouver dans l’œuvre du compositeur une expression exacte qui les traduise et les fasse en quelque sorte parler.

M. Lalo suit son idée et quelquefois son rêve, semant à travers ses motifs d’agréables broderies musicales, que l’on apprécierait pour ce qu’elles valent, si l’esprit n’était pas distrait par le sujet de la pièce. M. Lalo néglige malheureusement et quelquefois oublie qu’il écrit pour un théâtre, ce qui produit souvent une discordance entre la musique et la pièce ; quand il se souvient qu’il s’agit d’un ballet, qu’il importe de donner à sa musique un caractère dramatique ou jovial en rapport avec ce qui se passe sur la scène, M. Lalo ne compose plus, il jette un air quelconque et revient bien vite à sa rêverie de poète.

C’est évidemment à cette tendance d’esprit qui le porte à négliger la partie scénique du ballet qu’il faut attribuer certaines défaillances regrettables ; elles ont provoqué des murmures et désagréablement surpris. La scène du carnaval à Corfou a été notamment fort mal comprise par le musicien, car ce n’est pas tout à fait une musique de foire, mais il ne s’en faut guère que ce ne soit une parade d’opérette. À côté de ces parties faibles de l’œuvre, il y a des qualités de facture, un sentiment artistique, une inspiration très fraîche qui font de Namouna, sinon une œuvre scénique bien intéressante, du moins une œuvre artistique fort recommandable. Les deux actes du ballet sont montés avec un grand soin ; le dernier tableau représentant la maison d’un marchand d’esclaves dans une île de l’Archipel est fort agréable à voir.

Mlle Sangalli a été fort applaudie, et c’était justice.

Elle tourbillonne, pirouette, s’élance, vole, sans que l’effort paraisse, avec une légèreté et une grâce qui lui ont valu une ovation méritée.

Mlle Subra a fort gentiment exécuté un pas d’autant plus difficile que le rythme musical, ressemblait moins à un air de danse.

En résumé, succès de musicien pour le compositeur, mais de musicien qui ne songe pas assez qu’un ballet n’est pas un concert ; succès pour la direction qui n’a rien épargné pour monter Namouna d’une façon digne de l’Opéra. Le public reviendra sur l’impression de la première soirée, quand il aura mieux pu apprécier le mérite de l’œuvre symphonique de M. Lalo.

Upsilon.

Related persons

Composer

Édouard LALO

(1823 - 1892)

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Namouna

Édouard LALO

/

Charles NUITTER

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