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Chronique musicale. Robert le Diable. 2e article

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CHRONIQUE MUSICALE.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
Robert-le-Diable. La musique, premier acte. Deuxième représentation.
(IIe article.)

Comme le CrociatoRobert-le-Diable n’est pas précédé par une symphonie complète, une ouverture. L’intention du compositeur était d’en écrire une, mais les proportions immenses du nouvel opéra ont fait craindre que cette symphonie n’en prolongeât trop la durée. C’est dommage, M. Meyerbeer a fait ses preuves en composant des ouvertures brillantes et mélodieuses, parmi lesquelles on distingue celles de Margaritad’Angiu, de Semiramide ; cette dernière sert maintenant de prélude à la Fausse Agnès, et figure dans nos concerts sous ce titre. Un musicien renonce difficilement au désir d’écrire une ouverture, quand elle doit être exécutée par le merveilleux orchestre de l’Académie royale. Nous n’avons donc qu’une introduction, et ce morceau, bien que peu étendu, me fournira la matière de réflexions un peu longues.

Une ouverture est assez ordinairement, pour les grands ouvrages surtout, un abrégé du drame, un tableau musical dont les effets les couleurs se rapportent aux principales scènes de l’opéra. Celle de Robin des Boisest un drame complet dont on a l’intelligence dès la troisième représentation.  

Une introduction symphonique est un prélude dont le dessin, l’expression, les images n’ont de rapport qu’avec la première scène de l’opéra ; c’est une longue ritournelle du chœur, du morceau d’ensemble placé au lever du rideau, une imitation pittoresque de ce qui se passe sur le théâtre. Dans le Crociato, l’orchestre exprime les plaintes des captifs et leurs efforts pour venir à bout des travaux pénibles qui leur sont imposés ; le rideau se lève, et l’on voit ces malheureux exécuter avec la symphonie ce que la musique seule avait d’abord imité. Dans Zelmira, c’est une tempête ; dans Richard Cœur-de-Lyon, le calme d’une belle matinée, la gaîté d’une noce villageoise. M. Meyerbeer a suivi une route tout à fait opposée. Le rideau se lève, et nous voyons des groupes de chevaliers couverts d’armures brillantes, chamarés, blasonnés, richement caparaçonnés, buvant à pleins verres le vin de Sicile, chantant de gais refrains. Pourquoi donc cette scène si joyeuse a-t-elle un prélude si sombre et si lugubre ? Pourquoi ces trombones à l’unisson, d’une marche lourde, d’un éclat effrayant, au lieu des trompettes, des hautbois, des flageolets qui devraient annoncer cette fête, cette orgie chevaleresque ? Pourquoi ? Regardez ce diable peint sur le rideau, ce diable gravissant les rochers qui cachent le trou de l’enfer ; et si une telle représentation ne vous fait pas comprendre la pensée du musicien, il ne vous restera plus aucun doute quand vous aurez retrouvé les motifs de l’introduction dans le duo que Bertram chante avec Alice. Les chevaliers boivent, chantent ; mais le diable est avec eux, et la présence de cet être surnaturel doit être annoncée par la musique.

Le premier chœur, Versez à tasse pleine, est plein de franchise et d’éclat. Écrit dans le ton de fa, la transition en  bémol, quoique très usitée, est d’un bon effet, surtout à cause de la marche ascendante par demi-tons, que l’auteur emploie pour revenir au point du départ. Ce chœur, à deux-quatre, se termine par une strette à six-huit très animée. Je fais remarquer ce changement de mesure, attendu que le six-huit abonde dans le nouvel opéra. Le pèlerin Raimbaud entre sur un refrain qui rappelle d’une manière très piquante la mélodie des anciens noëls. La ballade a le dessin, le rhythme boiteux de la Sicilienne ; l’orchestre en est riche et pittoresque, les pédales graves du second cor en ut, le chant à l’aigu du premier, les clarinette ; mugissant dans le chalumeau, tous ces détails s’accordent pour rembrunir le récit de l’histoire épouvantable du fils du démon racontée par le pèlerin. La réponse des chevaliers qui figure dans le refrain est d’une mélodie originale et d’une excellente modulation. L’orchestre, plus orné au second couplet, produit de nouveaux effets. Une entrée de trompettes, un trait de violons ascendans à grosse notes, un trille de petite flûte en varient les jeux et les nuances.

La scène où Alice, entraînée par les écuyers, se débat et se jette aux pieds de Robert, étincelle de jolis détails. Le chœur : Non, non, il faut qu’il soit puni, a bien la teinte de l’époque ; aussi n’est-il pas tout à fait sans rapports avec le vieux air : La boulangère a des écus, air très prisé des connaisseurs et l’un des monumens les plus précieux qui nous soient parvenus de la musique du moyen-âge. Cet air module d’une manière si étrange que les amateurs, invités à le jouer sur le piano dans les bals de société, l’accompagnent toujours d’une basse et d’une harmonie exécrables et dignes de faire fuir tous les chats du quartier. Il est juste de dire qu’il faut avoir la clef de cette énigme pour ne pas se fourvoyer, ou, du moins, posséder de bonnes notions d’harmonie et de la constitution des tons du plain-chant. Ces airs gothiques sont disposés de manière à recevoir un travail harmonique, élégant et plein d’intérêt ; on serait étonné du parti que l’on peut tirer de l’air du Curé de Pompone. Il n’est pas étonnant que M. Meyerbeer ait reproduit quelques tours d’un des vieux airs dont il a si bien saisi le caractère. Ce chœur des chevaliers se termine par un effet très simple et dont le résultat est bien puissant. Il est écrit en mi naturel ; après le premier repos, toutes les voix attaquent ce mi, le battent syllabiquement pendant plusieurs mesures sur ce vers :

Avez-vous oublié votre refrain joyeux ?

Ce mi tonique, devient sensible du ton de fa dans lequel on arrive par un ensemble frappé vigoureusement par toutes les voix et tous les instrumens.

La romance d’Alice est un morceau d’un fini parfait ; l’orchestre en est disposé avec une rare élégance, et ses jeux offrent une extrême variété. Ce sont d’abord les violoncelles exécutant un gruppetto terminé par un trille et dont la retour dialogue avec un trait de cors ; la timbale même se mêle à ces divers dessins. La romance est en mi bémol, le second couplet commence en ut majeur qui devient dominante de fa mineur ; ce ton ramène tout naturellement la mélodie au ton primitif après les deux premiers vers dont l’expression est plus mordante et plus sombre, grâce à cette innovation du compositeur. La fin de cette romance est délicieuse, elle repose sur un jeu de violons sans basse dont l’effet est charmant.

Je dois signaler le trait que l’orchestre exécute à l’entrée de Bertram et quand Alice trouve qu’il ressemble à Satan, le si tenu en trémolo par les violons, le trait de cors, la progression ascendante de l’harmonie par demi-ton. Les passages qui coupent le récitatif de la scène suivante sont d’un joli travail pendant ces vers :

Tais-toi, je crains ta funeste influence.
En moi, j’ai deux penchans : l’un qui me porte au bien,
Naguère encor’ j’en sentais l’influence.

En lisant ce couplet sur le livret avant la représentation je fus frappé de la richesse des rimes ; ceux qui citent Andalousie et jalousie comme les rimes les plus parfaites ont tort, influence rime bien mieux avec influence et l’uniformité de sons est aussi exacte que dans somnambule et somnambule. Cependant j’avais quelques craintes, je ne supposais pas que MM. Scribe et Delavigne eussent adopté aussi franchement les principes de la nouvelle école. C’est une faute d’impression, disais-je, voyons l’errata, il va marquer sans doute ; page 10, ligne 19, lisez :

Naguère encor’ j’en sentais la puissance.

Point d’errata, pas plus que sur ma main. N’importe, je n’étais pas tout [texte manquant] dit a été chanté à haute et très intelligible voix, que j’ai reconnu que telle était l’intention invariable des auteurs. Dans les Deux Nuits, nous avions déjà remarqué ces rimes riches :

Si tu ne te dépêches
De porter ces dépêches.
Au détour d’une gorge,
Il me prend à la gorge.

Mais il y a progrès dans Robert-le-Diable ; les Deux Nuits étaient encore de l’école de Racine. 

La rime est si souvent inutile dans les vers mis en musique et chantés, que les critiques doivent encore savoir gré aux poètes qui prennent la peine de reproduire le même mot pour faire un acte de déférence en faveur des règles.

La scène de la partie aux dés tient tout le finale du premier acte, qui commence par un temps de barcarole chanté d’abord par Robert en ut, et que Bertram reprend ensuite à la quinte basse ; cette réponse est très bien enchaînée. L’accompagnement change lorsque Bertram fait entendre la même mélodie et prend le caractère du sombre personnage. Un trait d’orchestre pittoresque imite le roulement des dés dans le cornet et sur la table. Ce finale, commencé gaîment, se rembrunit et s’anime à mesure que Robert perd son argent et se désespère. Les perfides consolations de Bertram contrastent avec les transports furieux de son protégé. L’ensemble, malheur sans égal, bien que vigoureux, n’a point assez de chaleur ; trois rimes dures, suivies d’une féminine, présentent une disposition contraire aux exigences de la musique. Le finale se réchauffe ensuite pour la strette à la rentrée de Bertram.

Cet acte est celui de l’exposition, il n’offre par conséquent pas le mouvement et la passion que l’on trouve ensuite quand l’intrigue est [texte manquant] plus fort et plus coloré, son reflet porterait tort aux suivans, tandis que le musicien suit celte progression croissante sans laquelle on ne pourrait pas écouter avec une égale attention un ouvrage de cette importance.

L’exécution est admirable. Levasseur déploie avec autant d’artifice que d’habileté les deux octaves de sa voix agréable et puissante, il monte au fa et descend au mi bémol. Comme acteur il mérite beaucoup d’éloges pour la manière dont il a saisi le rôle de Bertram : son aplomb impassible, sa colère, son ironie satanique, produisent tour à tour le meilleur effet. Le rôle d’Alice a fait grandir Mlle Dorus, comme actrice et comme cantatrice elle s’est placée au premier rang. On connaissait déjà le charme et l’agilité de son organe ; on ne pouvait présumer qu’elle attaquerait et tiendrait ferme jusqu’au bout un rôle aussi éclatant, aussi passionné. Nourrit chante et joue fort bien le personnage de Robert ; il a souvent excité l’enthousiasme par d’heureuses inspirations. Mme Damoreau chante délicieusement la première partie de son rôle, et dit avec une expression entraînante la cavatine du quatrième acte, Robert, toi que j’aime ! La voix de Lafond est très belle ; cet acteur s’acquitte bien du rôle de Raimbaud et chante en comédien le grand duo du second acte. On ne s’étonnera pas que mes éloges s’étendent jusqu’aux simples coryphées quand on saura que les plus petites annonces sont faites dans Robert-le-Diable par Massol, Dupont, Prévost, Ferdinand Prévost, Wartel, Heurtaux, qui tous sont capables de jouer des premiers rôles sur nos premiers théâtres.

Les choristes ont exécuté leur partie non pas comme des gens qui veulent bien remplir leur devoir, mais avec une verve, une vigueur, une justesse d’attaque, une fermeté d’intonation qui prouvent qu’ils partagent aussi l’enthousiasme inspiré par la belle musique de M. Meyerbeer. La grande salle de l’Opéra n’a pu admettre toute la foule des curieux ; le succès de Robert s’est encore accru à la seconde représentation. [texte manquant]

[X.X.X.]

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CASTIL-BLAZE

(1784 - 1857)

Composer

Giacomo MEYERBEER

(1791 - 1864)

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